« Nous avons choisi le bio méthane avec nos transporteurs »

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L’enseigne de distribution a résolument pris le cap du biogaz. Après avoir testé la solution du biométhane avec le concours des « gaziers » GNVert et Air liquide, des constructeurs Iveco et Scania, et avec la participation active de son Cercle des 22 transporteurs, Carrefour a ouvert récemment « sa » première station de biogaz près de Brie-Comte-Robert (77). Huit autres devraient suivre d’ici la fin de 2017 et près de 200 véhicules au biogaz devraient sillonner les artères de cinq grandes villes de l’Hexagone, selon Jean-Philippe Mazet, le directeur des Transports de Carrefour France.
L’Officiel des Transporteurs : Carrefour a été moteur dans l’installation et l’ouverture d’une station de biogaz près de Brie-Comte-Robert. Quelles sont vos motivations ?

JEAN-PHILIPPE MAZET : Notre politique transport compte un certain nombre de piliers. Celui du biogaz figure parmi les tout premiers, qui repose sur notre volonté de livrer propre et en silence. Dans le « livrer propre » en centre-ville, il y a le développement de la technologie du bio méthane, celle que nous avons choisie après plusieurs tests, depuis 2013, dans le nord de la France et en région parisienne. Nous avons testé d’autres technologies (hybride, électrique) mais celle-ci nous a paru la plus adaptée à notre modèle de magasin.

Quel est le degré d’engagement de votre enseigne dans ce domaine ?

J.-P. M. : Nous nous projetons sur le déploiement de 200 véhicules dans les 5 plus grandes villes de France (Paris, Lyon, Lille, Marseille et Bordeaux), d’ici la fin de l’année. Comme l’avitaillement constitue l’un des points sensibles de notre déploiement, nous nous sommes rapprochés de nos partenaires que sont GNVert et Air liquide. Avec eux, nous allons mettre en place 9 stations en 2017, dans l’Hexagone, à proximité de nos sites logistiques. Ces stations seront publiques.

À quels types de véhicules allez-vous recourir ?

J.-P. M. : Nous avons procédé de la même manière qu’avec les fournisseurs de gaz, en lançant des appels d’offres. Et, au final, nous avons mis en place un contrat de référencement. Nous avons négocié un tarif avec ces acteurs. Ce sont les transporteurs qui contractualisent avec les gaziers et avec les fournisseurs de matériels aux conditions que nous avons convenues. En établissant ces contrats de référencement, nous permettons aux transporteurs qui nous suivent depuis longtemps d’accéder aux conditions que nous avons négociées.

Pour notre part, nous mettons en place des contrats de 6 ans (contre 3 ans pour le matériel classique) avec nos transporteurs pour le gaz afin de donner de la visibilité à nos partenaires qui s’engagent sur le sujet. Nous nous sommes engagés sur les quantités avec les gaziers. Ainsi, notre engagement vaut autant pour les quantités avec les gaziers que pour la durée du contrat avec les transporteurs.

Ces mises en place servent-elles de garde-fou aux transporteurs ?

J.-P. M. : Notre investissement dans le gaz va concerner essentiellement les tournées de distribution et les livraisons urbaines. On retrouvera deux types de matériels : des porteurs pour couvrir Paris et, également, un certain nombre de semis pour nos hyper urbains.

Quelle sera la forme juridique des stations de gaz ?

J.-P. M. : Air liquide et GNVert auront la propriété des stations. Comme je l’ai indiqué, Carrefour va leur dire : «  Sur une période de 6 ans, nous positionnerons X véhicules par jour chez vous et nous nous engageons sur tant de litres de consommation ». Cette consommation ne sera pas de nature exclusive. Nous savons que, pour qu’un gazier puisse lancer son réseau, il faut une quarantaine de véhicules captifs. La dimension publique de ces stations est une donnée importante pour le développement d’un réseau de stations de gaz.

Cet engagement de Carrefour vers le biogaz est-il annonciateur de la politique de votre enseigne pour le transport du futur ?

J.-P. M. : Exactement. Nous ne sommes pas des spécialistes en la matière, mais nous avons bien établi la différence entre le méthane, qui est une énergie fossile, et le bio méthane qui est issu du traitement des déchets organiques. De fait, nous avons la possibilité de récupérer des déchets dans nos magasins – il se trouve que nous en avons certaines quantités, notamment au départ de nos hypermarchés – puis nous les plaçons dans des usines de méthanisation, et nous les mélangeons avec d’autres déchets organiques. Nous récupérons ainsi du biogaz (du bio méthane) que nous remettons dans le circuit.

Le choix du bio méthane va être guidé par la mise en place d’une filière de méthanisation un peu partout en France, laquelle récupérera les déchets organiques dans les magasins ainsi que ceux des collectivités et du monde agricole. Ce dispositif devra permettre d’alimenter les 200 véhicules en bio méthane.

Le bio méthane possède tant de vertus ?

J.-P. M. : Comparé à un véhicule diesel Euro 6, le bio méthane réduit de 75 % ses émissions de CO2. Avec du méthane, l’écart avec le diesel ne serait pas aussi significatif. En dehors d’être une énergie un peu captive, que l’on peut produire localement, le bio méthane possède cet avantage notable en termes de CO2. Au-delà, il ne contient pas de particules fines – il est propre à 99,5 % d’après nos études – ce qui est un véritable avantage pour la distribution en ville. L’autre vertu du bio méthane, c’est que les moteurs qui l’utilisent affichent une technologie silencieuse (on est en dessous de 60 décibels).

Quel sera le modèle Carrefour, si l’on ose dire ?

J.-P. M. : Tout cela nous permet de nous dire : « on va entrer dans la ville avec des véhicules de 12 t à 26 t, qui n’émettent quasiment pas de particules fines, et performants en termes de normes Piek ». Ils se destinent, pour la première année, à nos magasins de centre-ville, les Carrefour City, les Carrefour bio. Sur le seul exemple de Paris, nous avons près de 120 véhicules qui entrent dans la capitale chaque jour : d’ici la fin de l’année, ils fonctionneront, pour l’essentiel, au bio méthane. Avec la station de Brie-Comte-Robert, nous pourrons nous appuyer sur 5 stations d’avitaillement qui couvriront la grande couronne, toujours à proximité de nos sites logistiques (Brie-Comte-Robert, Crépy-en-Valois, Bondoufle, Saint-Germain-lès-Arpajon, La Courneuve). Notre dispositif nous permet de dire, trois ans avant le délai mis en place par la Ville de Paris : « pas de diesel à Paris, d’ici fin 2017 ». Et ce, sur la base de notre modèle, dans ce sens où nous voulons pouvoir entrer dans Paris avec des véhicules qui permettent de transporter 10-15 ou 20 palettes correspondant aux besoins des magasins.

Comment cette offre au bio méthane s’articule-t-elle dans votre politique commerciale ?

J.-P. M. : Nous avons mis du temps à faire les choix de partenaires car il était important de bien s’aligner avec eux sur les aspects tarifaires. L’idée était de se mettre en ordre de bataille pour offrir une solution qui ait toutes les vertus souhaitées (particules, bruit) et qui soit équivalente, en termes économiques, au mode de distribution avec le diesel Euro 6. Nous sommes parvenus à le faire grâce à nos partenaires gaziers et aux fournisseurs de matériels que sont Iveco et Scania.

Comment êtes-vous parvenus à bâtir ce modèle tarifaire ?

J.-P. M. : Le matériel est effectivement plus onéreux. Le contrat prévoit que ce soit nous et le constructeur qui portions le risque, pas le transporteur. Lui l’achète au prix qui a été négocié et nous, nous le finançons par rapport à ce prix. Là où l’équation s’établit, c’est sur le prix du bio méthane par rapport au diesel. Sur la base des contrats de 6 ans (pour de la zone courte), nous parvenons donc à une équation équivalente au diesel Euro 6. C’est ce que nous avons voulu pour les transporteurs.

Notre certitude, c’est que 100 % de nos 270 commerces dans Paris seront livrés avec cette solution ; une bonne partie des commerces environnants de la petite couronne mais aussi nos hyper d’Auteuil et de Bercy, par effet de bord, seront également couverts. Les communes environnantes de la région parisienne feront l’objet de plans plus globaux dans les prochaines années.

Pourriez-vous nous rappeler comment s’articule votre politique transport ?

J.P. M. : Nous comptons 35 partenaires prestataires roulant au bio méthane. Nos prestataires sont, pour l’essentiel, des sociétés régionales (Altrans, Rautureau…) ou à vocation nationale, des sociétés de 10-15 véhicules jusqu’à de grandes entreprises comme Perrenot ou STG, ou de grands groupes comme XPO Logistics. Dans chaque région, nous sommes amenés à travailler avec les 20-25 acteurs régionaux majeurs. Ce sont des transporteurs qui possèdent un véritable savoir-faire dans leur spécialité, en phase avec les exigences de la distribution urbaine.

Carrefour s’appuie sur un Cercle de transporteurs, au nombre de 22. Quelle est sa philosophie ?

J.-P. M. : Ils ont été choisis pour leur position stratégique, en région, et par leur capacité à créer de la valeur en termes de solutions et d’innovations pour des activités comme les nôtres. Ils maillent le territoire autour de nos implantations. Nous partageons plusieurs sujets avec eux dans le cadre de groupes de travail. Le gaz en est l’un des exemples. À travers les groupes de travail ou les comités constitués avec le Cercle, nous échangeons sur la base de leurs expertises et de leurs positions. Nous avons procédé de la sorte pour le biogaz, par exemple. Une partie des membres du Cercle de transporteurs a été volontaire pour effectuer les tests avec nous et nos partenaires. À l’issue de ces tests, nous sommes entrés en phase de partage avec eux sur les résultats obtenus.

Au-delà du biogaz, avez-vous d’autres projets avec le Cercle ?

J.-P. M. : Nous avons un projet baptisé Conducteurs Carrefour. Nous partageons, avec nos transporteurs, le constat de la pénurie de conducteurs et du déficit d’image de ce métier, ce qui pénalise la profession, et nous dans le même temps puisque nous sommes engagés solidairement avec eux sur ces problématiques. Nous avons donc travaillé avec nos partenaires du Cercle sur l’excellence opérationnelle que nous souhaitons valoriser chez nos partenaires livreurs. Nous réfléchissons à l’adoption d’une tenue standard, d’un Guide du commandant de bord (les règles à respecter), à un principe de notation du magasin sur le conducteur et inversement. Nous allons déployer ce dispositif sur notre flotte dédiée (60 % des flux de transport de Carrefour, Ndlr), laquelle représente près de la moitié des véhicules qui circulent pour nous. Notre ambition est de replacer le conducteur comme un maillon fort de notre chaîne.

Sur un plan un peu plus global, au-delà du Cercle des 22, quelles relations avez-vous instauré avec vos transporteurs ?

J.-P. M. : Nous réunissons régulièrement les équipes du Cercle. Nous nous retrouvons également, chaque année, avec nos 100 premiers transporteurs afin de partager avec eux notre vision stratégique à plusieurs années. Nous pensons qu’il est important de leur apporter de la visibilité. Nous avons souhaité, ces 4 dernières années, tendre vers un meilleur partage de l’information et de la stratégie le plus en amont possible. C’est également ce que font nos transporteurs du Cercle, qui n’hésitent pas à partager, avec nous, leurs propres éléments stratégiques.

Votre engagement vers le gaz va-t-il vous rendre plus sélectif dans vos achats de transport ?

J.-P. M. : Ces dernières années, Carrefour s’est placé dans une logique d’achats par appels d’offres. Ces appels d’offres sont établis avec une contrepartie qui regroupe des critères connus, pas uniquement le prix, mais également la qualité de service ou des critères comme la RSE et le développement durable. C’est sur la base d’une dizaine de critères au total que nous déterminons nos choix. En contrepartie, nous nous engageons sur des contrats de 3 ans afin d’offrir une véritable visibilité à nos prestataires. Je précise que 85 % des transporteurs qui travaillent avec nous étaient déjà présents il y a 10 ans. Reste que dans nos choix d’achat, il existe des éléments de plus en plus prégnants comme l’aspect gaz durable et RSE. Quasiment 70 % de nos partenaires (du Top 100) ont signé la Charte CO2 : cela devient un élément important de notre politique en même temps qu’un pré-requis. Ce critère n’est pas éliminatoire mais ceux qui ne sont pas dans cette dynamique sont fortement incités à s’engager. Et puis, nous comptons parmi nos prestataires des transporteurs comme Breger ou Rautureau qui ont, de leur propre chef, fait évoluer leur organisation vers le Label CO2.

Carrefour appuie fort sur le levier de la transition énergétique…

J.-P. M. : Comme nos transporteurs, pour un certain nombre d’entre eux, se sont engagés sur la charte CO2, nous nous sommes investis dans le programme Fret 21. Il s’agit de la même transcription, mais côté chargeurs. Carrefour a fait partie des 10 premières entreprises signataires il y a deux ans, aux côtés d’entreprises comme Hénaff ou Coca Cola, avec des engagements proches de ceux de nos partenaires transporteurs. Nous nous sommes engagés à réduire nos émissions de CO2 de 30 % d’ici 2025. Nous sommes en mesure de dire que, depuis 2010, nous avons déjà baissé nos émissions de CO2 de 14 %. Le biogaz sera un levier important pour parvenir aux 30 %.

En chiffres

• 67 entrepôts en France (pour moitié en propre)

• 3 600 véhicules tous les jours sur la route (60 % dédiés)

• 7 500 livraisons/jour

• 5 600 magasins en France dont 230 hypermarchés, 1 000 supermarchés, 200 magasins Promocash et environ 4 000 magasins de proximité (City, Express, Bio, Contact marché).

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