Il se passe assurément quelque chose de nouveau sur les petites lignes ferroviaires. Souvent fermées dans l’indifférence générale, voire transformées en voies vertes, elles semblent aujourd’hui revenir sur le devant de la scène. L’instigateur en est le gouvernement, qui souhaite leur redonner un avenir. Cela devrait se matérialiser par la signature des premiers plans d’actions régionaux avec les Régions et SNCF Réseau d’ici la mi-février 2020.
Au sein de ces lignes, qui représentent un peu plus de 9 000 km ouverts aux voyageurs, Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État chargé des Transports, a différencié dans sa déclaration au Sénat du 7 janvier 2020 celles qui « présentent un caractère structurant pour le territoire », celles dont la rénovation est prévue dans les contrats actuels de plan État-Régions et les autres, dont les Régions devront décider du sort et sur lesquelles elles pourront mener des « expérimentations », « avec des solutions innovantes et adaptées à chaque ligne en termes techniques et de gouvernance ». Pour ces dernières lignes, quatre Régions, dont Nouvelle-Aquitaine et Occitanie, ont d’ores et déjà marqué un intérêt soutenu pour un nouveau concept dénommé NGV (navette grande vitesse), cette solution répondant bien à la problématique de solutions innovantes et adaptées à chaque ligne. Elle sera proposée à la fois en version voyageurs (NGV Rail) et en version messageries (NGV Microfret).
Les premiers éléments dévoilés par Philippe Bourguignon, concepteur du projet NGV Microfret, font état d’une navette autonome électrique capable de transporter jusqu’à 5 t de messagerie à la vitesse maximale de 70 km/h. Les marchandises seront transportées dans des Combi Cubs, des conteneurs amovibles et roulants de la taille d’une palette Europe (1,5 m3 de volume, 180 kg de charge utile). Développés par la société occitane ZE Combi, ces Combi Cubs seront équipés d’un système de roues rétractables breveté permettant leur chargement dans le véhicule ZE ONE également développé par ses soins. Ce véhicule utilitaire urbain électrique sera capable d’embarquer deux conteneurs mobiles grâce à un système d’ancrage breveté et à un plancher plat. Disposant d’une autonomie de 80 km à la vitesse maximale de 50 km/h, ZE ONE permettra, ainsi que l’indique son concepteur, « un gain de productivité de 30 % par rapport au modèle classique de livraison en véhicules thermiques ».
C’est donc ce couple NGV Microfret et ZE ONE-Combi Cub qui entend réinventer la desserte des petites lignes ferroviaires également ouvertes au service voyageurs. La circulation de ces navettes ferroviaires alimentées par des batteries lithium-ion leur conférant 100 à 350 km d’autonomie va permettre le développement des circuits courts (et donc le soutien de l’économie locale). Comme l’explique Philippe Bourguignon, « nous pouvons sur des lignes rurales mettant en œuvre jusqu’à trois navettes fret, parvenir à un prix de vente du service de transport de 0,3 centime d’euros du kg/km, régénération de la voie incluse, sans aucune subvention et avec une empreinte carbone ridiculement faible. Elle est de l’ordre de 15 g par tonne-km transportée, soit 200 fois moins que les transports routiers ». Avant d’ajouter que « ce matériel sera beaucoup plus sûr que les transports routiers grâce à ses équipements de sécurité faisant notamment appel à des lidars [télédétection par laser, Ndlr] et à des caméras thermiques. Nos navettes légères prendront en charge de manière automatique le transfert ferroviaire, les navettes ZE ONE effectueront la reprise de charge sur le dernier kilomètre. Ce microferroutage permet donc de tirer le meilleur du rail et de la route. Automatiser totalement le service du dernier kilomètre conduirait à le déshumaniser. Des véhicules de livraison routiers en autonomie complète ne pourraient pas être opérationnels avant 2045 et surtout je n’en vois pas du tout l’intérêt pour la collectivité ».
Pour ce nouveau matériel réalisé en open source, donc duplicable par n’importe quel constructeur partout dans le monde, les investissements d’étude seront très faibles puisque déjà pris en charge pour l’étude de la version passagers. Ils couvriront l’automatisation du chargement et du déchargement des conteneurs.
Les voies devront, néanmoins, bénéficier d’une remise à niveau pour accueillir ce nouveau matériel, dont l’exploitation sera assurée par une équipe de téléopérateurs à distance.
Un travail très important va devoir être mené parallèlement avec le service technique des remontées mécaniques et des transports guidés (STRMTG) pour préciser le mode d’exploitation. En dehors d’Aubusson-Guéret, qui comporte une section commune avec le réseau ferré national (RFN) à partir de Busseau-sur-Creuse, les autres lignes expérimentales présenteront une exploitation non interopérable.
Après réalisation de ces adaptations, les essais des premières navettes de messagerie légères construites par Socofer pourraient débuter à la fin 2022-début 2023 pour une durée comprise entre dix-huit et vingt-quatre mois. Ce matériel pourrait donc commencer à révolutionner la desserte des petites lignes démunies de dessertes fret à présent à partir de décembre 2024, date de leur entrée en service. Il offrira un bénéfice social aux collectivités rurales en créant des emplois locaux d’agents de maintenance, d’entretien de la voie, de livreurs et indirectement de commerce de proximité. Seuls les télé-exploitants assurant la surveillance à distance des navettes autonomes seront basés sur un site distant, idéalement dans la métropole de la Région. C’est donc une toute nouvelle économie… locale qui pourrait se mettre en place à cette occasion.