Mark Maierl est du genre à voir le verre à moitié plein. À la tête de la PME « Spedition Maierl » (43 PL), située sur le port de Nuremberg, le quinquagénaire aborde l’année 2017 avec confiance. « L’an dernier, nous avons gagné un peu moins en réalisant un peu plus de chiffre d’affaires, remarque-t-il sans donner de détails. Rien de trop grave et je pense que ce sera à peu près pareil l’an prochain ! » Pourtant, sa société perd régulièrement des marchés, en raison de la concurrence des transporteurs est-européens. « Environ 10 % des commandes nous passent sous le nez parce que leurs salaires sont au moins 20 % moins élevés. Venez sur les parkings du port de Nuremberg le week-end et vous comprendrez : ils sont pleins de routiers slovaques ou roumains qui mangent dehors et campent dans leur camion. » Que faut-il attendre de Bruxelles dans ces conditions ? « Honnêtement rien du tout », répond Mark Maierl, en tournant avec envie ses regards vers la France : « bloquer les routes comme le font les collègues français, chez nous, c’est malheureusement interdit ! » À l’image de ce petit entrepreneur, la planète poids lourd en Allemagne n’attend pas de miracle des prochaines propositions de la commissaire européenne aux transports, Violetta Bulc. « J’espère qu’elle aura la main heureuse, soupire le député social démocrate Udo Schiefner, membre de la commission des transports au Bundestag, mais sa tâche est ardue ». Car les « initiatives routières », annoncées pour le deuxième trimestre 2017, visent, dans bien des domaines, à proposer un consensus entre des intérêts apparemment irréconciliables, qui opposent les pays de l’Est et de l’Ouest de l’Europe. Et outre-Rhin, sur la question du dumping social et du salaire minimum, personne ne croit à une solution.
Petit retour en arrière : longtemps en réserve, c’est l’Allemagne qui avait lancé l’offensive sur le dossier. Depuis le 1er janvier 2015, tout chauffeur routier, également étranger, en activité sur le sol allemand doit toucher un salaire minimum de 8,5 € de l’heure (8,84 € depuis le début 2017). Au départ, la règle s’appliquait aux transports internationaux avec chargement ou déchargement en Allemagne, au cabotage et au transit. Mais à la suite d’une vive protestation des pays est-européens à Bruxelles, Berlin a suspendu « temporairement » son smic pour le transit, en attendant l’avis de Bruxelles. Le 19 mai de la même année, la Commission lançait alors l’examen d’une procédure contre l’Allemagne pour déterminer si son salaire minimum appliqué aux routiers étrangers — qu’elle disait par ailleurs approuver sur le principe — pouvait constituer une infraction aux règles de la concurrence et provoquer un surcroît de bureaucratie freinant la libre circulation — comme l’affirment les pays de l’Europe de l’Est. Où en est-on aujourd’hui ? Berlin a répondu à cette mise en demeure et attend maintenant les éclaircissements de Bruxelles, indique une porte-parole du ministère allemand du travail sans entrer dans le détail. Entre-temps, la France a elle aussi instauré un salaire minimum au 1er juillet 2016. Et les secrétaire d’état/ministre des transports des deux pays ont décrété, dans un appel conjoint à Reims en avril, leur volonté de s’engager pour faire respecter les mêmes règles sociales dans toute l’Europe.
Mais sur le terrain, la situation ne change pas : des parkings bondés (à la différence de la France et de la Belgique, l’Allemagne n’a pas encore légiféré sur le repos hebdomadaire en cabine mais devrait le faire avant l’été) et, selon la fédération transport et logistique BGL, des contrôles trop rares sur le smic et le cabotage illégal qui ouvrent la porte à tous les abus. « La procédure à l’égard des transporteurs pour vérifier les déplacements de leurs chauffeurs n’est pas assez contraignante, tempête le porte-parole Martin Bulheller. Sans contrôle suffisant, le salaire minimum s’est avéré incapable d’empêcher le dumping social ». Alors que faire ? Le journaliste spécialisé dans les transports Jan Bergrath ne voit pas de solution : « l’Allemagne a engagé une épreuve de force en décrétant qu’elle ne pouvait tolérer les salaires est-européens. Mais elle n’a pas le pouvoir d’imposer ses tarifs en Roumanie. Tout cela risque bien de finir devant la Cour de justice européenne ». « Il faut davantage de contrôles, c’est la première étape, résume de son côté le député social démocrate Udo Schiefner. Mais ensuite, il ne faut pas lâcher prise et c’est la deuxième étape : continuer à mettre la pression sur les pays d’Europe de l’Est, en parlant d’une seule voix en France, en Allemagne, en Belgique, aux Pays-Bas… Leur faire comprendre que L’Europe est plus qu’une vague alliance d’intérêts économiques et que nous avons des valeurs sociales communes à défendre. Mais je vous l’accorde, cela ne sera pas résolu demain matin ! »