Lame de fond ou embellie conjoncturelle ? La croissance de l’économie allemande s’est accélérée au premier trimestre 2017 à + 0,6 % (contre + 0,4 % au quatrième trimestre 2016), portée notamment par la consommation des ménages et les exportations, a annoncé l’Office fédéral des statistiques, Destatis, le 12 mai. « L’économie allemande reste le moteur de la zone euro, affirme Laurent Guihéry, professeur des universités, sciences des transports à l’Université de Cergy-Pontoise (95). La croissance économique a d’ailleurs enregistré une progression de 1,9 % en 2016. En parallèle, l’Allemagne est en phase avec l’économie chinoise. Le TRM allemand va mieux avec une croissance des flux qui affiche + 1,5 % pour l’année 2015. En contrepoint, il y a un risque de surchauffe économique avec une pénurie de conducteurs routiers. D’après les statistiques les plus récentes du Comité national routier (CNR), le transport routier allemand représente 17,4 % du transport routier européen en 2015, soit 314 milliards de tonnes kilomètres transportées. Fait marquant, 86 % des flux sont réalisés sur le marché domestique. » Il n’en demeure pas moins que les résultats du TRM allemand présentent des différences selon l’activité. « Les résultats sont surtout positifs pour ceux qui sont spécialisés dans les transports de courte distance, à forte valeur ajoutée, avec par exemple des chauffeurs qui partent le matin et rentrent chez eux le soir, souligne Udo Schiefner, le député social démocrate (SPD) au Bundestag (lire interview p. 34). Mais les entreprises présentes sur les longs trajets rencontrent, elles, plus de difficultés. Car sur ce segment, l’activité profite surtout aux transporteurs des pays de l’Europe de l’Est, qui proposent des prix tellement bas qu’on se demande souvent comment ils peuvent y arriver. Ces entreprises-est européennes profitent de la bonne conjoncture sur le dos de leurs chauffeurs à qui elles imposent de très mauvaises conditions de travail. »
L’embellie du marché transport outre-Rhin a auréolé l’édition 2017 du salon Transport Logistic de Munich (9 au 16 mai). Les chiffres record de fréquentation parlent d’eux-mêmes : 2 162 exposants issus de 62 pays en progression de 5,4 % par rapport à l’édition 2015, une progression du nombre de visiteurs, soit 60 000 au total en provenance de 120 pays, une superficie totale de neuf halls d’exposition soit 115 000 m2. Parmi les nouveaux exposants : China Railway Container Transport, DP Word ; Heathrow Airport, Kerry Logistics et Maersk. Fait marquant, le salon munichois a accueilli 17 pavillons nationaux du Bahreïn à la Chine en passant par la Slovénie. Dans le top 10 des pays présents outre l’Allemagne, on dénombrait les Pays-Bas, l’Italie, la Belgique, la France, l’Autriche, l’Espagne, le Royaume-Uni, la République tchèque, la Pologne et la Chine.
La digitalisation a été la thématique principale du salon de Munich. Une tendance sur laquelle a insisté le ministre fédéral des transports et des infrastructures numériques, Alexander Dobrindt (CSU), dans son discours inaugural le 9 mai. « Les développements du e-commerce, de l’industrie 4.0 et de l’Internet des objets cela veut dire plus de produits, plus de transport et plus de logistique », a insisté Alexander Dobrindt (voir photo ci-contre). Avec la marque Fleetboard, le groupe allemand Daimler a fait florès sur son stand à Munich. La maison mère du constructeur Mercedes-Benz Trucks France déploie des solutions digitales qui révolutionnent le transport routier et la logistique depuis le début des années 2000. Le constructeur de Stuttgart a d’ailleurs organisé le 8 mai une présentation de ses plus grandes avancées dans le domaine logistique : numérisation, méga-données, solutions en nuage, Internet des objets, intelligence artificielle. « L’aspiration de Fleetboard n’est pas seulement d’améliorer des produits existants mais de développer pour nos clients des solutions nouvelles et effectives », a expliqué Daniela Gerdtom Markotten, administratrice de la société Daimler Fleetboard GmbH. Une manière de dire que Fleetboard proposera dorénavant davantage de solutions télématiques. Pour consolider son approche start-up, le constructeur fait appel au Fleetboard Innovation Hub à Berlin, dirigé par Harald Marx et son équipe d’une vingtaine de 20 personnes experts en base de données (« big data scientist »). L’équipe berlinoise a ainsi mis au point une lunette en 3D, baptisée le HoloLens, capable d’entrevoir l’avenir de la gestion des parcs de véhicules. Une simple table (Fleetboard HoloDeck) sur laquelle est posée une carte routière abstraite permet au gestionnaire futur du parc de véhicules d’observer ses véhicules en direct. La gestion d’un parc ainsi que les processus logistiques seront pilotés par des systèmes informatiques. Les informations sur le conducteur, le camion et le chargement seront obtenues d’un simple coup d’œil dans la lunette HoloLens.
À l’instar du dirigeant du groupe Dettendorfer, le discours des transporteurs allemands est assez unanime. « Si nous n’avons pas de conducteurs d’Europe de l’Est, nous ne pouvons pas travailler et développer notre économie », affirme Georg Dettendorfer, directeur général du groupe éponyme installé à Nussdorf-am-Inn (Haute-Bavière). La pénurie de conducteurs est une vraie problématique pour cette société qui a réalisé un chiffre d’affaires de 255 M€ en 2016 avec des clients chargeurs présents dans l’industrie du bois, la métallurgie, la grande distribution et le secteur automobile. Le groupe Dettendorfer emploie à ce jour 150 conducteurs en Allemagne et 80 conducteurs en Pologne. « Le dumping social est un réel fléau, déplore Georg Dettendorfer. Les pays d’Europe de l’Est sont assez éloignés de l’idée d’une harmonisation sociale européenne inhérente à la notion de salaire minimum et aux standards sociaux. Il est absolument fondamental de parvenir à une solution européenne pour développer l’emploi salarié dans le transport routier et la logistique. » Dans ce contexte, les « Initiatives routières » que la commissaire européenne aux Transports, Violeta Bulc doit dévoiler le 31 mai à Bruxelles iront-elles dans le bon sens ? « Nous ne pouvons pas attendre deux ans supplémentaires, tranche Georg Dettendorfer. Si nous avons des réglementations nationales différentes en Europe, cela sera difficile pour les conducteurs. » À l’évidence, l’instauration d’un salaire minimum en Allemagne n’a pas permis à ce jour de lutter contre le dumping social. « L’Allemagne et la France ont désormais des lois sur le salaire minimum qui, à mon sens, doit s’imposer même pour le transit, décrypte le député Udo Schiefner. Mais ce vers quoi il faut aller, c’est vers plus de contrôles. Nous n’avons pas encore en Allemagne le personnel suffisant pour cela. Et les situations nationales sont très disparates. » Dit autrement, l’idéal serait de parvenir à une uniformisation des contrôles avec une seule et même autorité au niveau européen. « Si nous ne réfléchissons pas en terme de standards sociaux européens, les législations nationales vont s’imposer, pronostique Jochen Quick, président de l’association BWVL, laquelle fédère près de 1 400 transporteurs pour compte propre et logisticiens. Il faut harmoniser les conditions de travail des conducteurs. À mon sens, mieux vaut attendre les propositions législatives qui seront présentées par la Commission européenne dans le cadre des Initiatives routières. » À l’instar de la France et de la Belgique, l’Allemagne a également voté fin mars au Bundestag une loi qui stipule que le repos hebdomadaire ne peut être pris dans le véhicule. « Sur le fond, c’est ce que dit la directive européenne sur le sujet, note le député social-démocrate Udo Schiefner. Le problème, c’est que cette directive, en raison de sa formulation très vague, laissait une marge d’interprétation telle qu’il a été impossible d’uniformiser les choses entre les États membres. » Lors de la conférence-débat organisée le 9 mai au salon de Munich sur le thème : « Politique des transports en 2018 : que faut-il attendre des élections législatives allemandes ? », le président de l’association BWVL, Jochen Quick et le directeur général du groupe Dettendorfer, Georg Dettendorfer, ont martelé que l’interdiction du repos hebdomadaire en cabine serait de facto transgressée dans la mesure où les entreprises infractionnistes obligeront leurs conducteurs à prendre ce repos hebdomadaire dans les États membres de l’UE qui ne bannissent pas l’interdition. Au reste, les deux décideurs économiques redoutent surtout que cette nouvelle législation ne puisse faire l’objet de contrôles en raison du manque de moyens de l’office fédéral du transport de marchandises (BAG, Bumdesamt für Gûterverkehr) et de la police affectée au contrôle du trafic routier. Seule certitude, l’Allemagne se positionne avant tout comme une économie incontournable pour les transporteurs d’Europe de l’Est, la Pologne en tête. « Nous sommes présents sur le marché allemand depuis 1994 », résume Rafal Marek Olszewski, président du groupe polonais PKS-Gdansk-Oliwa SA. Fait marquant, l’entreprise a réalisé un chiffre d’affaires de 59,3 M€ en 2016, en forte progression de 12 % par rapport à 2015. « L’Allemagne est un véritable “hub” pour notre société, ajoute le dirigeant polonais spécialiste du groupage pour des chargeurs présents dans l’industrie papetière, la grande distribution et le secteur de l’ameublement. C’est une force. Seul bémol, le salaire minimum imposé par l’Allemagne – comme la loi Macron en France – est une difficulté majeure pour nous. Il faudrait que cela soit plus simple pour éviter les complications administratives. » À suivre.
Louis Guarino
Les bons chiffres de l’économie allemande, après une série d’autres, sera un apport précieux pour la chancelière Angela Merkel, laquelle veut briguer un quatrième mandat à l’occasion des législatives qui se tiendront le 24 septembre. L’Union chrétienne-démocrate (CDU) d’Angela Merkel accroît déjà son avance face à l’opposition sociale démocrate du SPD dans les sondages. Le SPD fait parti de la coalition actuellement au pouvoir mais rêve de déloger la chancelière au profit de Martin Schulz, son candidat à la chancellerie, et ancien président du Parlement européen. « Je veux une Allemagne européenne et non une Europe allemande », aime dire Martin Schulz, sans préciser que cette formule a été proférée par l’écrivain Thomas Mann (1875-1955). Avant le verdict des législatives, Angela Merkel peut d’emblée compter sur le nouveau président de la République, Emmanuel Macron, lequel promet plus d’Europe à la plus puissante économie européenne. Le hic, c’est que la loi Macron a imposé par la loi en juillet 2015 que les conducteurs étrangers soient payés au moins au smic dès leur entrée sur le territoire français. Une mesure jugée protectionniste qui a incité la Commission européenne à lancer une procédure d’infraction en 2016 contre la France, jugeant ces obligations disproportionnées. L’Allemagne a fait l’objet dès 2015 d’une procédure d’infraction similaire avec l’instauration de son smic routier pour les conducteurs étrangers. Sous la pression des pays d’Europe de l’Est (« Visegrad »), la Commission européenne pourrait bien s’opposer à ces législations nationales dans le cadre des Initiatives routières qui seront publiées le 31 mai. Emmanuel Macron a beau promettre une Europe plus juste à Angela Merkel, la loi qui porte son nom devient un sujet emblématique et sensible !
L. G.
Avec un stand en vue à Munich (voir photo), le groupe allemand Geis est implanté en Allemagne (3 300 salariés, 56 sites), Pologne (1 200 salariés, 47 sites), République tchèque (1 200 employés, 24 sites), et Slovaquie (240 employés, 8 sites). Le groupe familial dirigé par Hans-Georg et Wolfgang Geis illustre la notion de partenaire logistique outre-Rhin. L’entreprise a généré un chiffre d’affaires de 812 M€ en 2016 et a mis un terme à la joint-venture avec le groupe français Bolloré Logistics en 2015.
Avec un stand conséquent au salon munichois, le groupement Astre, présidé par Denis Baudouin, a pu engranger de bons chiffres jusqu’à la clôture du « Messe München » le 12 mai. « On peut parler d’une soixantaine de contacts commerciaux et autant pour le réseau européen, observe Lucie Van Den Broek-Pasquet, responsable de la région D.A.CH (Allemagne, Autriche, Suisse). Nous sommes en passe de recruter des entreprises allemandes qui souhaitent travailler avec la France. » Astre compte aujourd’hui 10 entreprises adhérentes pour la région D.A.CH dont huit allemandes, une autrichienne et une lituanienne. Le groupement s’est adjoint l’expertise d’un responsable du développement commercial européen, Julien Garioud. « Ma priorité, c’est la réponse aux appels d’offres mais aussi d’assurer un appui pour la coordination à l’international », souligne le responsable. Avec quatre filiales au sein de l’UE : Péninsule ibérique (20 adhérents), Italie (20 adhérents), Benelux (10 adhérents) et Allemagne (10 adhérents), la coordination est le nerf de la guerre. « Chacune des régions présente des spécificités et des cultures différentes, poursuit Julien Garioud. Par définition, le degré de maturité entre elles diffère. Ma vocation est de faciliter le business et d’apporter de nouveaux trafics aux adhérents. » La filiale D.A.CH a vu le jour en 2014. C’est la région la plus récente avec un degré de maturité en Allemagne qui est relativement embryonnaire. « L’outil Palet System a certes une très bonne presse en Europe, admet le responsable. Certaines entreprises sont séduites par cet outil précis ou souhaitent trouver plus facilement des retours depuis la France pour faire revenir leurs propres véhicules. » Pour renforcer le maillage européen, le groupement Astre a instauré un conseil européen l’an dernier pour structurer une véritable feuille de route. Le dernier conseil a eu lieu mi-avril à Barcelone. Le prochain aura lieu mi-juin 2017 à Milan. « Notre ambition est de recruter deux adhérents/an en Allemagne, résume Julien Garioud. Notre futur passe par l’Europe, c’est indéniable. »
L. G.