« L’espoir meurt en dernier »

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Député social démocrate (SPD) au Bundestag, membre de la commission « transports et infrastructures numériques », Udo Schiefner reste optimiste sur les moyens de lutter contre les distorsions de concurrence entre les transporteurs en Europe. Analyse et tour d’horizon du TRM allemand.
L’Officiel des Transporteurs : La conjoncture économique allemande est excellente et crée des conditions favorables au développement du transport routier. Et pourtant, les transporteurs allemands restent inquiets pour 2017. Pourquoi ?

UDO SCHIEFNER : Du fait de la très bonne situation économique, le secteur est en effet en expansion. Mais avec des différences, selon l’activité : les résultats sont surtout positifs pour ceux qui se sont spécialisés dans les transports de courte distance, à forte valeur ajoutée, avec par exemple des chauffeurs qui partent le matin et rentrent chez eux le soir. Mais les entreprises présentes sur les longs trajets rencontrent, elles, plus de difficultés. Car sur ce segment, l’activité profite surtout aux transporteurs des pays de l’Europe de l’Est, qui proposent des prix tellement bas qu’on se demande souvent comment ils peuvent y arriver. Ces entreprises est-européennes profitent de la bonne conjoncture sur le dos de leurs chauffeurs, à qui elles imposent de très mauvaises conditions de travail. Il n’est pas normal que des conducteurs lituaniens ou roumains passent douze à treize semaines d’affilée dans leur camion sans pouvoir rentrer chez eux. C’est indigne. En outre, cela dégrade l’image de la profession et les sociétés de transport qui, elles, offrent de bonnes conditions sociales à leurs salariés, ont de plus en plus de mal à trouver des jeunes pour les former. Ce n’est donc pas seulement un problème de concurrence déloyale, c’est aussi une menace pour toute la profession.

Qu’attendez-vous, dans ces conditions, des « initiatives routières » que la commissaire européenne aux transports Violeta Bulc doit dévoiler le 31 mai ?

U. S. : J’attends que Bruxelles s’attaque à ces distorsions. Il va bien falloir s’entendre un jour sur des standards sociaux, même si je sais bien qu’il y a un grand écart sur cette question entre les pays de l’Est et de l’Ouest de l’Europe. Nous attendons tous une solution qui réunisse les attentes des uns et des autres… et nous savons également que l’on en discutera sans doute encore dans les prochaines années. Mais on ne peut tolérer les pratiques de certaines entreprises de transport — et on les trouve aussi dans les pays de l’Ouest de l’Europe — qui créent par exemple une fausse filiale en Bulgarie, une boîte aux lettres, pour opérer ensuite dans toute l’Europe à des prix compétitifs parce qu’elles payent leurs employés au tarif local. Il nous faut donc une réglementation qui permette de renforcer les contrôles au niveau européen. Il nous faut aussi des règles claires, par exemple sur le cabotage ou le repos hebdomadaire. Nous n’accepterons jamais qu’une situation de concurrence déloyale s’installe sur le dos des chauffeurs est-européens.

Vous ne rêvez pas un peu trop ?

U. S. : Je sais que cela sera très difficile à élaborer mais comme on dit en allemand, l’espoir meurt en dernier ! Il ne faut jamais renoncer à faire passer le message qu’un membre de l’Union européenne a aussi des devoirs en matière de protection sociale. Il n’a pas que des intérêts économiques nationaux à défendre. Et je vais vous dire : je suis optimiste car au cours des derniers mois, la situation de ces chauffeurs routiers, qui ne peuvent même pas s’offrir un café ou prendre une douche dans une station-service parce que c’est trop cher, cette situation est de plus en plus dénoncée publiquement. Les médias ont identifié le phénomène et l’ont rendu plus visible. C’est une pression de plus pour que l’on trouve une solution.

Beaucoup disent en tout cas qu’en Allemagne, l’instauration d’un salaire minimum n’a pas permis de lutter contre le dumping social. Que répondez-vous ?

U. S. : L’Allemagne et la France ont désormais des lois sur le salaire minimum qui, à mon sens, doit s’imposer même pour le transit. Mais ce vers quoi il faut aller, c’est vers plus de contrôles. Nous n’avons pas encore en Allemagne le personnel suffisant pour cela. Et les situations nationales sont très disparates. Chez nous par exemple, il y a trois administrations : la police contrôle le trafic routier, l’office fédéral du transport de marchandises (BAG, Bundesamt für Güterverkehr) est responsable des contrôles techniques et du repos hebdomadaire, et les douanes se chargent notamment des salaires. Cela rend le système moins efficace dès lors que l’on doit collaborer avec les administrations des autres pays. L’idéal serait donc de parvenir à une uniformisation des contrôles, avec une seule et même autorité au niveau européen.

On en est loin, prenons par exemple la réglementation sur le repos hebdomadaire, l’Allemagne a finalement choisi une solution nationale. Pourquoi ?

U. S. : La loi a été votée fin mars par le Bundestag et elle devrait entrer en vigueur d’ici à l’été prochain. Elle stipule que le repos hebdomadaire ne peut pas être pris dans le camion. Sur le fond, c’est ce que dit la directive européenne sur le sujet. Le problème, c’est que cette directive, en raison de sa formulation très vague, laissait une marge d’interprétation telle qu’il a été impossible d’uniformiser les choses entre les États membres. Des blocs se sont formés, empêchant une définition collective de la réglementation sur le repos hebdomadaire. L’Allemagne a longtemps voulu privilégier la voie d’une solution européenne mais s’il n’est pas possible à Bruxelles d’apporter de la clarté, alors il faut légiférer au niveau national.

En Allemagne, le fret ferroviaire représente 18 % de parts de marché (cf. encadré) et est considéré par ses voisins comme un modèle de référence. Ce n’est pas vraiment votre avis, pour quelles raisons ?

U. S. : Nous avons besoin d’un concept intelligent de transport combiné où chacun joue son rôle : la route, le rail et le fluvial. Le fret ferroviaire a un potentiel de développement certain, mais ce que propose actuellement la Deutsche Bahn n’est pas suffisant. Je peux vous donner un exemple. Dans ma circonscription un entrepreneur, qui vend des troncs d’arbres, a reçu une commande pour livrer à Paris. La DB n’a pas pu lui fournir une offre adaptée, pour livrer en temps et en heure la cargaison au commanditaire. Alors qu’avec une entreprise de transports, en trois jours, c’était livré devant sa porte. La Deutsche Bahn n’est pas assez flexible et son concept logistique n’est pas assez élaboré pour faire monter en puissance le fret ferroviaire. Cela ne semble pas faire partie de sa stratégie d’entreprise.

Est-ce que le gouvernement n’en est pas en partie responsable ? D’aucuns critiquent le fait qu’il approuve sur le principe le développement du fret ferroviaire mais que dans les faits, il encourage plutôt les infrastructures routières…

U. S. : Le schéma directeur des transports voté l’an dernier (Bundesverkehrwegeplan 2030), prévoit d’octroyer 270 milliards d’euros aux infrastructures et voies de communication, dont 40 % iront au rail. Ce n’est pas rien.

Que pensez-vous des fameux « megatruck » que le ministre allemand des transports, Alexander Dobrindt, a décidé d’autoriser fin 2016, à l’issue de la période d’essai, sans consulter les parlementaires ?

U. S. : D’abord je n’aime pas le terme de « megatruck » ou de « gigaliner » car derrière ces mots, on voit des monstres. Je préfère parler de « longs camions ». Alexander Dobrindt (CSU) n’a effectivement pas jugé bon de nous consulter avant d’autoriser ces types de véhicules à rouler. En tant que parlementaire, je n’ai toujours pas reçu les conclusions du rapport d’analyse annoncées à l’issue du projet pilote. Sur le principe, je pense qu’il est envisageable d’autoriser certains types de véhicules à rouler s’ils ne présentent pas de danger sur la sécurité et sur les infrastructures.

Que sera le transport routier dans les prochaines années ? Quelles tendances se dessinent ?

U. S. : La digitalisation va jouer un rôle encore plus important dans l’organisation des transports, avec un fort développement de l’utilisation des données et une plus grande mise en réseau de la chaîne logistique. On verra certainement aussi plus d’interactions entre les transporteurs, ainsi qu’entre les véhicules. Ce que je ne vois pas encore arriver dans un avenir proche, en revanche, serait une électrification des autoroutes européennes.

Le fret ferroviaire ne décolle pas

Le fret ferroviaire en Allemagne représente 18 % de parts de marché, une proportion qui, année après année, ne bouge pas. En 2016, le CA de DB Cargo, la filiale fret de la Deutsche Bahn, a même réalisé son plus mauvais résultat depuis 2008, avec une baisse de 4 % à 4,6 milliards d’euros. Elle a transporté trois milliards de tonnes/kilomètres en moins par rapport à 2015. Parmi les explications : une efficacité mise en doute, alors qu’un train de marchandises sur quatre arrive en retard, là où les transporteurs intègrent dans leurs livraisons le temps perdu dans les embouteillages. Par ailleurs, les bas prix du gazole avantagent le transport routier. Ainsi, selon l’organisation Allianz pro Schiene (Alliance pour le rail), les transporteurs payent 13 % de frais en plus pour le train par rapport à 2010 quand ils doivent s’acquitter de 6 % de frais supplémentaires pour la route. Enfin, le rail n’a pas encore réussi à résoudre l’équation des derniers kilomètres. Selon Ulrich Binnebössel, expert logistique et transport à la fédération du commerce allemand (HVD, Handelsverband Deutschland) « pour la grande distribution alimentaire, les grands magasins et les discounter, il n’y a pas d’alternative au camion ». La Deutsche Bahn en revanche peut mieux concourir sur les transports de matières premières ou de produits lourds (ciment, céréales etc…).

B.M.

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