Sur les 200 000 marchés qui sont passés, en moyenne, chaque année, combien concernent les transports ? « C'est impossible à dire », reconnaît Sylvie Ploton, secrétaire général de la Commission nationale spécialisée bennes et travaux publics de la FNTR, à Saint-Etienne. En fait, il y a très peu d'appels d'offres directs qui concernent les transports. D'ailleurs, ils n'apparaissent pas en tant que tels dans la nomenclature ». Ils sont généralement rattachés à d'autres prestations et ne sont que rarement isolés, à l'exception des transports de voyageurs pour lesquels quelque 240 réseaux urbains et 6 500 liaisons régionales sont annuellement mis sur le marché et concernent environ 8 000 exploitants.
Pour les transports de marchandises, actuellement, seules quelques DDE, quand elles proposent un marché, dissocient le transport des fournitures ou des travaux, rubriques auquelles ils sont généralement rattachés. C'est également le cas d'EDF et de France Telecoms qui, cette année, a lancé un appel d'offres concernant le transport de câbles. Un marché auquel a soumissionné le réseau France-Bennes et qui a remporté la moitié d'un contrat portant sur deux ans et qui fera, passé ce délai, l'objet d'un nouvel appel d'offre.
Pour le reste « Fourniture et transport » est l'intitulé généralement employé dans les appels d'offres. Le maître d'ouvrage - que ce soit l'Etat ou les administrations territoriales - demande aux entreprises principales qui soumissionnent (entreprises de travaux publics, notamment) de proposer un prix global, transport inclus. En conséquence, sur le contrat comme sur le terrain, le lot spécifique transport n'est pas reconnu comme en témoigne Philippe Guérin, directeur général des Transports Ablo, à Saint-Herblain, près de Nantes, une coopérative qui regroupe une douzaine d'adhérents. « Quand une entreprise remporte un marché public qui comprend une prestation transport, explique-t-il, elle nous commande un ou plusieurs véhicules avec conducteurs. Nous intervenons comme des locataires à la journée, nous sommes payés par l'entreprise qui a commandé le travail, mais nous n'avons aucune influence sur les procé- dures. »
« Au lieu d'être englobés dans les fournitures, les transports pourraient être rattachés aux services », selon Sylvie Ploton. « Mais, une opération de transport n'est pas une opération de vente pure, fait-elle remarquer. En fait, les transporteurs se trouvent en situation de sous-traitance. Mais, la prestation de transport est rarement déclarée comme telle ».
De ce fait, le transporteur ne peut pas être payé directement par l'organisme qui a passé commande du marché et ignore jusqu'à son existence. « Le maître d'ouvrage n'a même pas connaissance du nom et des conditions dans lesquelles les partenaires de l'entreprise principale ont été engagés pour réaliser le chantier », note un transporteur du Nord qui a été placé en difficulté financière par la défaillance de son donneur d'ordre. « Parfois, il n'y a même pas d'engagement écrit, la prestation transport n'est pas chiffrée dans l'offre de couverture. Aucune transparence dans les coûts, pas de contrôles possibles... » poursuit-il.
La profession reconnaît que cela « ouvre la porte à tous les abus : prix tirés ce qui oblige parfois les transporteurs à s'écarter du cadre réglementaire, véhicules en compte propre utilisés pour effectuer du transport public, entreprises non déclarées, travail au noir, véhicules non conformes, etc. Et puis, surtout, il y a les délais de paiement... Alors que la plupart des entreprises principales sont payées à 45 jours, voir 40 jours, actuellement, selon la Commission centrale des marchés, les transporteurs sont le plus souvent payés à 120 jours ».
Dans les procédures actuelles, le transporteur est donc totalement tributaire de celui qui a remporté le marché pour sa rémunération. Et c'est lorsque celui-ci dépose son bilan et qu'il laisse une « ardoise » au prestataire de transport que les problèmes commencent...
« Il s'est instauré un long débat sur ce sujet qui dure maintenant depuis plus de cinq ans, souligne Sylvie Ploton. En matière de travaux publics, notamment, la profession demande avec insistance que les lots soient dissociés. Que la prestation transport ne soit pas noyée dans l'offre et, qu'au moins, elle soit déclarée comme une opération de sous-traitance ».
Mais, pour cela, il faudrait changer les textes. En effet, il semblerait qu'un transporteur et un loueur de véhicules ne puissent actuellement faire prévaloir la loi sur la sous-traitance dans un marché public. Le texte, en effet, exclut de son champ d'application les contrats de fournitures pour ne viser que ceux concernant les entreprises et assimile le transport à un contrat de vente, donc à la fourniture d'une marchandise.
« Bien que quelques entreprises arrivent, maintenant, à soumissionner directement, je dois reconnaître que nous nous attaquons là à un grand chantier qui, malheureusement, ne progresse que très lentement », reconnaît Sylvie Ploton.
Si les tensions persistent entre transporteurs et donneurs d'ordre sur les marchés publics de l'Etat et de ses administrations parce qu'elles butent, principalement, sur un flou juridique, la situation est quelque peu différente en ce qui concerne les marchés passés avec les grandes entreprises nationales ou qui restent en partie affiliées à l'Etat.
Le plus souvent, les problèmes rencontrés relèvent du niveau tarifaire et la situation est pour le moins contrastée selon qu'il s'agit de la SNCF ou de son ancien service de messagerie, aujourd'hui filialisé et rattaché à Géodis, ou de La Poste. Ces entreprises, bien qu'elles disposent d'un parc de véhicules intégré important - 30 000 pour La Poste, 5 600 pour le Sernam - font largement appel à des prestataires extérieurs pour effectuer leurs tractions.
Dans le cas des entreprises qui travaillent avec ces établissements (de moins en moins) publics, les marchés se traitent de gré à gré et ne relèvent pas, en général, de la procédure des marchés publics.
Le groupe Prémat, spécialiste des travaux publics et du transport des produits en vrac pulvérulents, travaille à la fois avec les administrations dans le cadre de marchés publics ainsi qu'avec la SNCF
« En ce qui concerne notre activité travaux publics, explique Jean-Marc Lemoine, directeur commercial, nous ne soumissionnons pas directement. Nous sommes, le plus souvent, partenaires de sociétés qui construisent les routes et nous leur fournissons une prestation de transport qu'ils nous rémunèrent. Parallèlement, par le biais de notre activité de vrac et de pulvérulents, nous sous-traitons certains transports d'approche pour la SNCF. Notamment, nous déchargeons les wagons chargés de sel de déneigement et nous approvisionnons les centres de stockage par la route. Mais, il ne s'agit pas, à proprement parler, de marchés publics. Ce sont plutôt des marchés de gré à gré. La SNCF nous a choisi comme partenaires pour ces opérations et quand les contrats sont reconduits nous renégocions à chaque renouvellement le montant du transport. Cela se passe en général de manière assez satisfaisante avec nos interlocuteurs qui sont des gens de métier ».
Sans qu'il soit donné de façon officielle, on estime que le budget de sous-traitance du Sernam pour le transport de messagerie représente le tiers de son chiffre d'affaires, soit 1,5 MdF. Progressivement, au cours des dernières années, l'entreprise de messagerie a réduit le nombre de ses prestataires.
Compte tenu de son changement de statut, on ne connaît pas les orientations futures. On peut cependant penser que son rapprochement avec Géodis peut accélérer le processus de réintégration des transports qui étaient auparavant sous-traités.
Pour expliquer leur désintérêt à l'égard des marchés publics, les transporteurs routiers accusent souvent l'inexistence du lot transport dans les appels d'offres. « En réalité, beaucoup ignorent les procédures, reconnaît un responsable syndical. D'autre part, il faut avouer qu'en raison des délais de paiement excessifs et des prix pratiqués, les marchés publics sont taxés de mauvaise réputation et ne sont guère attractifs ».
Certains, pourtant, scrutent toutes les offres. C'est le cas de Géodis dont la branche Synergie et Développement dirigée par Jean Ellisèche, dépouille systématiquement le Bulletin Officiel des Annonces de Marchés Publics et transmet à la filiale du groupe qui peut être concernée les propositions de marchés afin qu'elle face acte de candidature.
Par ailleurs, outre les grandes entreprises publiques qui, comme La Poste, la SNCF ou, maintenant EDF, certaines administrations commencent à proposer des marchés transports dissociés des fournitures ou des services. C'est le cas d'un certain nombre de Direction Départementales de l'Equipement, ou de grands établissements hospitaliers.
Enfin, il faut noter que l'informatisation des appels d'offre et leur transcription sur Internet contribuent à une certaine clarification. L'activité transport fait désormais partie de la nomenclature des marchés proposés (rubrique 60). Dès lors, les transporteurs intéressés n'ont plus qu'à « surfer » dans une sorte d'inventaire à la Prévert où se côtoient : l'acheminement d'un goupe électrogène destiné à l'ambassade de Brazzaville, le transport d'oeuvres d'art du Musée Rodin de Paris à Meudon, le transport d'automobiles pour le secrétariat du gouvernement et la distribution d'imprimés pour le compte du ministère des Finances...