Les transporteurs européens à l’heure du Paquet mobilité 1

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Le Parlement européen a adopté le 8 juillet 2020 le paquet Mobilité 1. Cet ensemble de textes qui entrent en vigueur par étapes vise à harmoniser la concurrence au sein de l’Union européenne, notamment entre transporteurs de l’ouest et de l’est du continent, où les salaires sont moins élevés. Sur le terrain, l’application des différents éléments du paquet Mobilité 1 dépend de leur transposition par les juridictions nationales… Là encore, les disparités sont importantes d’un pays à l’autre.Dossier réalisé par Nathalie Versieux

Favoriser une concurrence saine chez les transporteurs en Europe. Tel est l’objectif du paquet Mobilité 1 en cours de déploiement au premier semestre 2022 au sein de l’Union européenne. Il réglemente trois aspects de la profession : le temps de conduite et de repos des conducteurs ; le détachement des travailleurs à l’étranger et l’accès au marché et à la profession. Il jette également les bases du futur tachygraphe intelligent qui entrera en vigueur par étapes au sein de l’Union.

Un premier chapitre – qui porte sur les temps de conduite et de repos – est en application depuis août 2020. La réglementation interdit notamment aux conducteurs de passer leur pause hebdomadaire dans leur camion et les oblige à dormir dans un logement adapté, équipé de sanitaires et d’un lit, aux frais de l’employeur. L’obligation de respecter ces règles sera étendue à compter du 1er juillet 2026 aux conducteurs de véhicules de plus de 2,5 tonnes s’ils sont actifs à l’international. Mais ce volet du paquet Mobilité 1 se heurte principalement à la pénurie au sein de l’UE en places de parking adaptées, sécurisées et bon marché. Un second volet – portant sur les règles du détachement – est entré en vigueur en deux étapes en février. Depuis le 2 février 2022, la réglementation oblige les conducteurs à enregistrer chaque franchissement de frontière sur leurs tachygraphes et précise les conditions du détachement. Les conducteurs en transit ou effectuant des courses bilatérales ne sont pas en situation de détachement. Ils peuvent donc continuer à toucher le salaire de leur pays d’immatriculation. À l’inverse, les conducteurs en situation de cabotage ou de cross trade, non détachés, doivent toucher le salaire minimum du pays où ils se trouvent. Ce volet du paquet Mobilité 1 avait démarré sous de mauvais augures. La Commission européenne n’avait finalement publié que tardivement, le 25 janvier, une liste (disponible dans un premier temps uniquement en anglais) de questions-réponses expliquant le cadre du cabotage à l’aide de 15 exemples précis.

Depuis le 21 février, les conducteurs sont par ailleurs obligés de rentrer chez eux toutes les huit semaines, et ne peuvent enchaîner plus de trois opérations de cabotage consécutives. Chaque cession de trois opérations doit être suivie d’une période dite de « cooling-off », une pause obligatoire de quatre jours consécutifs. Depuis le 21 février, les États membres sont également contraints de sanctionner les contraventions aux règles du cabotage. Le troisième volet porte sur les conditions d’accès à la profession. Là encore, deux dates sont importantes. Depuis le 21 février, l’accès à la profession est interdit aux entrepreneurs excessivement endettés. Et à compter du 21 mai, les véhicules actifs de plus de 2,5 tonnes dans les transports internationaux devront détenir une licence de transport accordée par les autorités compétentes de leur pays d’origine, comme les poids lourds. Ces modifications, qui obligent notamment les entrepreneurs à posséder des bureaux avec les documents relatifs à leurs véhicules et leurs salariés, vise avant tout à lutter contre le développement des sociétés–écrans.

Contrôler les passages de frontière

Le paquet Mobilité 1 jette enfin les bases du futur tachygraphe électronique, dit aussi tachygraphe intelligent, qui doit permettre d’enregistrer les franchissements de frontière des camions actifs à l’international, les arrêts des véhicules pour charger et décharger, de contrôler le respect des règles sur le temps de conduite et de repos, de cabotage et d’augmenter la sécurité sur les routes. La Commission européenne a défini à cet égard un agenda précis : obligation pour les constructeurs d’équiper en série les nouveaux camions d’un tachygraphe intelligent de la deuxième génération à l’automne 2023 ; obligation pour les transporteurs d’équiper leur flotte d’un tel équipement d’ici l’hiver 2024 ; obligation de remplacer les tachygraphes intelligents de la première génération en place dans les véhicules anciens par un modèle de seconde génération d’ici l’automne 2025. Le coût de ces équipements – estimé à entre 700 et 1 000 euros par véhicule – est pris en charge par les transporteurs. Le véritable défi posé par le paquet Mobilité porte sur les contrôles, tant que n’est pas généralisé le tachygraphe électronique. « Sur la route, il est très difficile de contrôler que le paquet Mobilité est bien respecté, estime Dirk Saile, chef du bureau bruxellois de la fédération allemande des transporteurs BGL. Se trouve-t-on dans une situation de cabotage, de transit, de transport bilatéral ? Les contrôles seront plus faciles à appliquer avec le tachygraphe électronique. » « Le paquet Mobilité ne connaîtra le succès qu’en 2025, avec la généralisation des tachygraphes intelligents », tranche Götz Bopp, consultant en transport de marchandises.

Une législation nationale disparate

Les contrôles sont d’autant plus difficiles que la mise en application de la réglementation est loin d’être harmonisée d’un État membre à l’autre. « On demande aux entreprises de respecter à la lettre depuis le 2 février des règles que les États membres n’ont pas intégrées dans leur législation nationale, souligne Götz Bopp. Comment contrôler leur application dans ces conditions ? Et pour un policier, il est plus facile de contrôler les excès de vitesse et le port de la ceinture de sécurité que de contrôler le respect des règles de cabotage ! » Si la France, la Belgique et la Slovaquie ont été les premiers à appliquer la nouvelle règlementation sur le détachement, l’Allemagne – qui a enregistré en 2021 le passage de 3,4 millions de camions (soit la moitié du trafic européen, estimé à 6,2 millions de passages de camions par an) – n’a toujours pas transposé la directive dans sa législation, du fait des pénuries en personnels liées à la pandémie et à des difficultés supplémentaires liées au fédéralisme. Quant au Danemark, il attendra le 30 avril pour commencer à pénaliser les contrevenants. De leur côté, les pays Baltes et plusieurs pays périphériques de l’UE, comme la Roumanie et la Bulgarie, ont porté plainte devant la Cour de justice de l’Union européenne contre les nouvelles règles, s’estimant pénalisées par la règle du retour obligatoire toutes les huit semaines. Un jugement est attendu en octobre 2022, voire début 2023. Dans la pratique, rien n’a vraiment changé pour l’instant dans le patchwork de réglementations nationales concernant le détachement. « Certains pays comme l’Allemagne avaient déjà leur propre réglementation depuis 2015, rappelle Dirk Saile. La France, l’Italie, l’Autriche, les Pays–Bas, le Luxembourg ont à leur tour adopté leurs propres règles sur le détachement, à chaque fois différentes, si bien que la Commission a décidé qu’il fallait une harmonisation. Il faut bien se rendre compte que certains conducteurs des pays de l’Est – Pologne, Lituanie, Roumanie, Bulgarie – ne travaillent jamais dans leur pays d’origine. Pour les pays de l’Ouest, il n’y avait pas d’autre issue que de leur dire : “si vous travaillez chez nous, faites-le aux mêmes conditions que nous !” » Cette disparité est aussi visible du côté des pénalités. « Globalement, on peut dire que plus on va vers l’est et vers le nord, moins elles coûtent cher, résume Dirk Saile. En Suède et en Allemagne, le montant est moins élevé qu’en France, en Espagne ou en Italie. » « En France, le tarif d’une infraction sur la route démarre à 250 euros, contre 30 euros en Allemagne. En Espagne, on a même vu des amendes de 1 001 euros pour non-respect de l’obligation de déclarer un passage de frontière ! », explique Götz Bopp.

On observe également peu de changements en pratique sur l’interdiction pour le conducteur de poids lourd de passer sa pause de fin de semaine dans sa cabine. Alors qu’en France ou en Belgique, l’interdiction est contrôlée avec la plus grande sévérité, la loi allemande interdit à la police de frapper à la porte du camion lorsque ses rideaux sont tirés. Deux ans après l’entrée en vigueur de l’interdiction de passer le week-end dans les cabines, les aires d’autoroute allemandes sont saturées chaque week-end de camions garés en rang d’oignons, pendant que leurs conducteurs font cuire leur repas sur des réchauds improvisés ou font sécher leur linge sur des fils tendus entre deux véhicules. La plupart sont immatriculés en Lituanie, en Pologne, et dans le reste du bloc de l’Est. « La règle du week-end hors de la cabine ne concerne pas trop les conducteurs français ou allemands, rappelle Dirk Saile. Mais pour les conducteurs d’Europe de l’Est, c’est un vrai problème. C’est très décourageant de voir ça, et ça ne contribue pas à susciter des vocations ! Il y a de gros transporteurs qui construisent des hôtels pour leurs chauffeurs. Mais ça ne va pas assez vite. Les hôtels pour routiers ? Personne n’y dormira à plus de 10 euros la nuit ! »

Délocalisation polonaise en Allemagne

Pour respecter les nouvelles règles sur le cabotage, les entreprises de transport ont pris le parti de délocaliser leur activité dans d’autres pays que leur pays d’origine. Par exemple, le nombre de transporteurs polonais délocalisant leur siège en Allemagne pourrait rapidement augmenter suite à l’entrée en vigueur par étapes cette année du paquet Mobilité 1. En 2021, le ministère de l’Infrastructure et de la Planification du Brandebourg, Land allemand voisin de la Pologne, a enregistré 46 demandes d’implantation en Allemagne de la part de transporteurs polonais, soit un doublement par rapport à 2020. Et la tendance devrait se poursuivre. Depuis le début 2022, le ministère régional compte déjà 11 demandes similaires. « En règle générale, ce sont des PME de 20 à 200 camions qui étaient actives jusqu’ici sur le marché allemand sur la base des anciennes règles du cabotage, constate Eberhard Tief, le président de la fédération des transporteurs du Brandebourg LBBV. Leur modèle de fonctionnement était de réaliser trois petits cabotages en Allemagne sur une semaine, après avoir effectué une course transfrontalière par exemple entre la Pologne et la ville limitrophe de Francfort-sur-l’Oder. » Les règles sur le cabotage en vigueur dans l’Union européenne depuis le 21 février – qui prévoit une pause de quatre jours dans le pays d’origine après trois courses de cabotage – sont jugées défavorables aux transporteurs d’Europe de l’Est. Les camions polonais pouvaient auparavant aussitôt se remettre en route pour l’Allemagne après avoir rejoint la Pologne. Le transporteur Margo, de Kozuchow, à l’ouest de la Pologne, a ainsi créé une filiale allemande il y a un an et demi. « Le paquet Mobilité est trop contraignant pour nous car il nous ferme le marché, explique la cheffe d’entreprise Malgorzata Morman. Nous avons des contrats avec des transporteurs allemands, et nous ne pouvons pas risquer d’être en infraction. » Margo a donc créé à Francfort-sur-l’Oder sa dépendance allemande, Margo GmbH, avec huit camions, et réfléchit à délocaliser la totalité de son activité vers l’Allemagne. De son côté, le lituanien Girteka a annoncé pour fin 2022 l’ouverture d’une dépendance à Posen, en Pologne, toujours en raison de l’obligation de retour toutes les huit semaines.

Eberhard Tief se félicite de la tendance : « Au final, le paquet Mobilité est ainsi respecté. Ces entreprises étaient jusqu’à présent actives sur le marché allemand. Elles le sont désormais aux mêmes conditions que les transporteurs allemands : elles paient des salaires allemands, des cotisations sociales allemandes. Ce n’est pas une surenchère de concurrence mais plutôt le respect des règles de concurrence. » La tendance est encouragée par la hausse des salaires en Pologne, selon la fédération des transporteurs polonais. Selon le président de la fédération Maciej Wronski, le salaire brut d’un conducteur polonais atteindrait entre-temps 2 800 euros. Elle ne pourrait toutefois concerner, selon la fédération polonaise des transporteurs internationaux ZMPD, que les transporteurs spécialisés dans les opérations de cabotage, soit une centaine d’entreprises sur les 38 000 que compte le secteur en Pologne.

La Suisse sur la même ligne que l’Europe

De son côté, la Confédération helvétique s’adapte au paquet Mobilité, qui entre en vigueur par étapes dans l’Union européenne depuis le début de l’année. En novembre dernier, le Conseil fédéral – le gouvernement suisse – annonçait son intention d’harmoniser sa réglementation avec celle de l’UE, dans un souci de respect de la concurrence et de bonnes relations avec ses voisins européens. L’obligation de détenir une licence pour les véhicules franchissant la frontière avec la Suisse s’appliquera aux véhicules de plus de 2,5 tonnes, et non plus 3,5 tonnes comme c’est le cas aujourd’hui. La principale nouveauté concernera le contrôle des sociétés-écrans, afin d’éviter que des transporteurs ne cherchent à contourner la législation sur le cabotage par ce moyen. La législation helvétique interdit strictement aux transporteurs européens de pratiquer des opérations de cabotage au sein de la Confédération. La Suisse envisage également d’adapter sa réglementation sur les travailleurs détachés à celle de l’Union européenne, en s’engageant notamment à fournir aux autorités étrangères les informations nécessaires en cas de contrôle du statut d’un salarié. Les acteurs suisses du secteur ont jusqu’au 31 mai pour faire part de leurs attentes à Berne. Le travail législatif débutera à l’issue de ce travail de consultation préalable, conformément à la législation nationale. L’entrée en vigueur des nouveaux textes est prévue pour le second semestre 2022.

L’Espagne privilégie les conditions de travail

En Espagne, les relations entre les transporteurs et le gouvernement sont plutôt tendues. Les routiers avaient menacé de faire grève, à la veille de Noël, pour obtenir une amélioration de leurs conditions de travail dans un contexte de hausse du prix des carburants, de concurrence accrue et de pénuries en conducteurs. Dans ce cadre, le paquet Mobilité n’est en Espagne qu’un aspect du dossier. Les mesures proposées par Madrid prévoient ainsi l’application « sans délai » de la réglementation sur les travailleurs détachés du paquet Mobilité, afin de lutter contre la concurrence déloyale des transporteurs étrangers. Sans une transcription rapide dans la loi espagnole, il n’est en effet pas possible de procéder au contrôle des pratiques de cabotage ardemment réclamé par les transporteurs espagnols. Mais les mesures proposées par le gouvernement vont au-delà des textes prévus par Bruxelles. Madrid prévoit ainsi l’interdiction pour les conducteurs de procéder eux-mêmes aux opérations de chargement et de déchargement des véhicules, à l’exception des déménagements, des transports de carburants et de voitures et de la livraison de colis. Le gouvernement espagnol rend par ailleurs obligatoire la réévaluation automatique du montant des contrats de transport pour intégrer les variations du coût des carburants dans le calcul du tarif des courses. Enfin, Madrid s’est engagé à investir 20 millions d’euros dans la construction de nouveaux espaces de parking pour les camions. Si le paquet Mobilité 1 vise à harmoniser la concurrence chez les transporteurs routiers en Europe, il subsiste des différences substantielles en matière de transposition et d’application au niveau de chaque pays, d’autant que l’article 10 modifié du nouveau règlement 2020/1055 qui permet aux États membres, « lorsque cela est nécessaire », d’appliquer les nouvelles règles sur le cabotage – évoquées plus haut – ou d’adapter la règle. Par exemple, les pays peuvent prévoir une période plus longue que le délai de sept jours et une période plus courte que le délai de quatre jours. Chaque pays doit par ailleurs en informer la Commission européenne et réexaminer tous les cinq ans les réglementations mises en place.

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