Tous ensemble », tel pourrait être le credo des acteurs concernés par le redécollage du fret ferroviaire à l’issue de la 9e Journée fret ferroviaire et OFP. Organisée à la mairie de Levallois-Perret le 20 novembre, ce rendez-vous annuel a été marqué par une nouvelle participation record, supérieure à 350 personnes. C’est bien la preuve que, d’année en année, les attentes sont toujours plus fortes vis-à-vis d’un mode de transport répondant pleinement aux enjeux de la transition énergétique. Du fret ferroviaire à la logistique ferroviaire, il existe, cependant, un pas qui n’a pas encore été tout à fait franchi. Quand bien même l’exemple du partenariat noué entre Nestlé Waters et VFLI constitue assurément un des exemples à suivre en la matière. Surtout lorsqu’il implique la circulation de la première locomotive hybride électrique-diesel de forte puissance, une première en Europe. Grâce à son double équipement, l’Eurodual propose, ainsi, depuis le 26 octobre 2019, un service Vittel-Arles cinq fois moins polluant en CO2 qu’il ne l’était auparavant. Comme le souligne Mikael Le Ray, manager traction ferroviaire de Total Petrochemicals and Refining, « les émissions de CO2 représentent un des enjeux pour les deux-trois prochaines années. Cela va arriver très vite et très fort ». Pas sûr pour autant que les entreprises ferroviaires, voire leurs clients au travers d’un partenariat longue durée comme celui mis en place par VFLI et Nestlé Waters (cinq ans) acceptent de payer un surcoût de plusieurs millions d’euros pour l’acquisition de ces nouvelles locomotives hybrides. Mais la mise en place de liens plus étroits entre les opérateurs ferroviaires et leurs clients ne constitue pas le seul facteur de réussite éventuelle. Plus que jamais en effet, le ferroviaire a besoin d’être soutenu, comme il l’est déjà dans des pays limitrophes comme l’Allemagne et la Suisse. Cet accompagnement est d’autant plus nécessaire qu’il a un impact sur les coûts de distribution et par là même sur la compétitivité des entreprises. La réindustrialisation de la France que les dirigeants politiques appellent… enfin de leurs vœux passe donc par « la mise en place d’une véritable stratégie de la logistique au niveau national », souligne le représentant de l’Union TLF. De stratégie, il en a également été question dans l’intervention du député des Bouches-du-Rhône membre de la commission du développement durable, Jean-Marc Zulesi. Car c’est sous son action et celle d’autres députés qu’a été rajouté en dernier ressort un article clé dans la loi d’orientation des mobilités (LOM) adoptée à l’Assemblée nationale le 19 novembre 2019. L’article 51 stipule que l’État doit élaborer et présenter au Parlement la stratégie nationale du fret ferroviaire qui devrait être prête d’ici un an. Cette stratégie devrait, selon le député, « conduire à apporter une visibilité sur les aides au déploiement du fret ferroviaire. Elle doit également s’inscrire dans une cohérence territoriale associant l’ensemble des acteurs concernés dont les entreprises, les logisticiens, la SNCF et l’État. Nos infrastructures doivent, par ailleurs, assurer la promotion de la multimodalité, celle-là même qui permet au camion de passer sur le train le plus rapidement possible. Tout en visant un renforcement de la desserte ferroviaire des grands ports maritimes, il nous faut aussi inscrire, par ce biais, la France sur le plan européen et international ». Avant de conclure une intervention très applaudie par la salle en soulignant que « la France a besoin du fret ferroviaire, c’est un enjeu national ».
Cette promotion de la multimodalité passe, notamment, par le développement du transport de remorques routières P400. Les gabarits ferroviaires allemand, belge et suisse admettent déjà la circulation de semi-remorques de 4 m de hauteur chargées sur des wagons poches, dans le cadre du gabarit UIC P400. Ce dernier n’est, pourtant, pas compatible avec le réseau français, lequel admet des gabarits moins généreux sur ce plan.
Gottfried Eymer, P-dg d’Euro Cargo Rail (ECR), le confirme dans sa présentation sur les enjeux et les potentiels du P400 lorsqu’il apporte les précisions suivantes : « Le gabarit P400 standard n’est pas autorisé sur le réseau ferré national (RFN). Seuls quelques axes acceptent un gabarit proche mais toutes les circulations sont soumises à une autorisation de transport exceptionnel (ATE), ce qui signifie que le gabarit n’est pas garanti sur la durée. » Il n’est pas étonnant, dans ces conditions, que ce trafic reste limité à quelques grands axes et que son développement apparaisse entravé à ce stade.
Preuve une fois encore que les choses bougent au sein d’un mode ferroviaire où le temps long reste trop souvent la règle, la plateforme nationale fret lancée dernièrement par SNCF Réseau s’est emparée du sujet. Dans le cadre du développement des trafics P400, « une expérimentation va être mise en place, d’ici fin 2019, de la faisabilité sur les tunnels vosgiens (axe Bettembourg-Bâle) par une comparaison entre le gabarit UIC P400 européen et le gabarit LGP 400 (issu du travail du groupe Coopere), en termes de coûts/délais/enjeux pour les entreprises ferroviaires et SNCF Réseau », explique Arnaud Sohier, directeur commercial de SNCF Réseau.
S’ils sont décidés, les travaux portant sur l’adaptation de 4,5 km de tunnels pourraient déboucher sur une enveloppe maximale estimée à 8 millions d’euros, laquelle « pourrait être amortie en un à deux ans et demi avec les volumes de P400 que nous anticipons », poursuit Gottfried Eymer. Une autre mesure prise à court terme pourrait être la simplification des ATE. Cette dynamique porteuse de bien des développements, en particulier dans le transport combiné, devra toutefois composer avec l’impact des grèves démarrées le 5 décembre. Tous les acteurs concernés sont dans l’expectative alors que se prépare le lancement de nouveaux services. Quel en sera l’impact, alors même que les entreprises ferroviaires ont déjà été fragilisées par les trente-six jours de grève de 2018 ?