Mis sous la pression depuis de longs mois par les organisations patronales du TRM qui lui ont fait remonter l’exaspération des transporteurs français face à la concurrence déloyale exercée par les pavillons d’Europe de l’Est, le secrétaire d’État aux Transports s’est alors engagé sur trois fronts : l’intensification des contrôles sur les lieux de chargement et déchargement (avec des consignes spécifiques données aux préfets et aux services régionaux) ; le renforcement des actions de lutte contre les fraudes au travers, notamment, de la constitution d’une « task force » destinée à renforcer la détection des fraudes au chronotachygraphe ; le durcissement des sanctions administratives et pénales en vue de rendre les contrôles plus dissuasifs, sur fond d’immobilisation ou de confiscation du véhicule en infraction.
Selon les services d’Alain Vidalies, les contrôleurs terrestres contrôlent en moyenne, chaque année, plus de 100 000 véhicules. La moitié d’entre eux ne seraient pas immatriculés en France. Les contrôles portent sur le respect des temps de repos hebdomadaires (découché), le respect des règles du cabotage, les temps de conduite… Mais également, depuis la loi Macron mise en musique le 1er juillet dernier, sur le respect de la directive détachement, l’application du Smic français au travailleur détaché et la coresponsabilité du donneur d’ordre français.
Pour donner du crédit à son discours, le secrétaire d’État aux Transports n’a pas hésité à mobiliser le ban et l’arrière-ban de l’administration du Centre-Val de Loire pour une opération de contrôle d’envergure, le 8 septembre dernier. Gendarmes, représentants des douanes et de l’inspection du Travail, appuyés par les contrôleurs terrestres de la Dreal du Centre-Val de Loire, se sont rendus sur l’A10, au niveau de l’aire de service d’Orléans-Gidy. Au bilan, sur les 35 véhicules ayant fait l’objet d’un contrôle, 11 infractions ont été constatées dont 8 délits. Dans la foulée, le secrétaire d’État a annoncé qu’il allait « se servir des éléments concrets de cette opération pour défendre, auprès de la commission européenne, la création d’une agence européenne de contrôle du transport routier permettant de faire en sorte que les règles européennes sur le transport routier soient appliquées de manière identique dans tous les pays de l’Union européenne ». Le 15 octobre dernier, Alain Vidalies est allé plus loin. À la tribune du congrès de l’OTRE, il a annoncé le lancement d’une initiative franco allemande, le 1er décembre prochain, à l’occasion du prochain conseil européen des ministres des Transports. France et Allemagne diront, à cette occasion, leur refus d’aborder toute reforme du paquet routier tant que le dossier du dumping européen naura pas été pris en main par la Commission européenne.
Sur le terrain, hors cette initiative médiatique sur l’A10, quelle est la réalité des contrôles ? Quelle perception les acteurs en région ont-ils des annonces gouvernementales en matière de contrôles ? Les réponses sont partagées, selon les territoires. Dans le Nord de la France, la dernière opération remonte à quelques semaines (fin septembre). À Maubeuge, sur la route de Mons, une série de contrôles a eu lieu à la frontière belge. Pas de quoi, toutefois, doper les statistiques et inverser une tendance bien en place. « Nous constatons en région l’existence de ces contrôles, mais ils ne sont pas suffisants et ne se concentrent que sur une partie de la région. Ce n’est pas suffisant pour dissuader les contrevenants et donner du sens aux 3 chantiers annoncés par Alain Vidalies », déclare Marie Omnes, secrétaire générale de l’OTRE Hauts-de-France (ex-Nord-Pas-de-Calais). Dans cette région, les organisations patronales et les services de l’État (Dreal, Direccte) se sont rencontrés en août dernier. « Les représentants de la Direccte et de la Dreal nous ont fait savoir qu’ils travaillaient ensemble pour mettre en place des contrôles en commun. Ils attendent de nous, organisations patronales, que nous les accompagnions dans leur chasse aux donneurs d’ordre contrevenants. Nous leur avons également fourni une liste des parkings sur lesquels il est possible de sanctionner les infractions aux temps de repos hebdomadaire », souligne Marie Omnes.
En région Rhône-Alpes, on estime que les contrôles opérés sur le terrain ont plutôt valeur de symbole. « On nous annonce des opérations de contrôle ciblées sur le terrain mais on voit bien que l’efficacité n’est pas au rendez-vous, faute de moyens. Ils (les agents de l’État, Ndlr) reconnaissent eux-mêmes que c’est compliqué, précise Jacques Sorlin, délégué général de la FNTR Rhône-Alpes. Dans nos réunions avec eux, nous leur fournissons pourtant quelques cibles comme la vallée de la Plasturgie où pullulent beaucoup de flottes étrangères, notamment des – 3,5 t, avec un pigeonnier dans lequel ils dorment. Les agents de la Dreal et de la Direccte nous répondent qu’il leur faut une journée complète pour consigner un véhicule ».
Pour Jean-Louis Salva, le manque d’efficacité des contrôles terrestres est à mettre en corrélation avec les transferts de personnel de police et gendarmerie vers les opérations antiterroristes. « Nous sommes une région très empruntée par les véhicules étrangers car nous sommes un point d’entrée vers la Péninsule ibérique et le Maroc. Je pense qu’il existe toujours des contrôles mais je n’en perçois pas le renforcement tel que le ministre l’annonce. Il suffit de voir la liberté avec laquelle les conducteurs étrangers stationnent en masse près de chez nous, dans des zones où il n’existe pas d’hôtels. Je suis songeur sur les contrôles intempestifs du week-end qu’on nous annonce », assure le coprésident de l’Unostra Languedoc-Roussillon/Midi-Pyrénées. Lequel s’insurge contre « ces camionnettes polonaises, hongroises ou roumaines qui nous prennent des parts de marché et circulent en toute illégalité sur notre territoire. Ces camionnettes stationnent partout où elles peuvent capter la wifi pour décrocher des ordres tous azimuts, souvent pour le compte de gros faiseurs internationaux ».
Plus à l’Est, en Alsace, Michel Chalot déclare « n’avoir aucun retour sur un hypothétique renforcement des contrôles routiers. Ce qui ne signifie pas que les gens de la Dreal ne font rien ». Le président de la FNTR Alsace (Grand Est) dit ne pas se faire d’illusion sur l’efficacité des contrôles sur les découchés le week-end. Son confrère de l’Aquitaine/Midi-Pyrénées, Jérôme Bessière, estime que « la mise en musique semble délicate. Sur le terrain, nous sommes un peu dans l’attente. Tout comme les forces de l’ordre, d’ailleurs, qui m’ont avoué attendre eux aussi des précisions ». Le délégué général de la nouvelle région du grand Sud-Ouest s’interroge, par ailleurs, sur cette disposition de la loi Macron qui impose au transporteur étranger de disposer d’un référent sur le territoire français. « Quid de la qualité du dit référent ? Y a-t-il des prérequis ? Les personnes seront-elles agréées ? Par qui ? On a l’impression d’un vrai fourre-tout ».
Sur le port de Toulon où les transporteurs locaux sont en butte avec les tracteurs turcs qui débarquent chaque semaine par ferry « en toute illégalité », selon les dirigeants de l’OTRE locale, on pointe également du doigt « ces remorques turques tirées par des tracteurs bulgares, ce qui reste dans le cadre de l’Union européenne mais qui pose le principe même du fondement du cabotage », selon Jean-Marc Montagnac, secrétaire général de l’OTRE du Var. Lequel pense que les efforts consentis pour les contrôles « sont trop insuffisants dans la durée. C’est trop du one shot ». Jean-Marc Montagnac voit toutefois un point positif : l’obligation pour le transporteur étranger de fournir une attestation de travailleur détaché pour son chauffeur. « Certains transporteurs nous disent que quelques-uns parmi leurs clients ne veulent plus travailler avec des étrangers à cause de cette circulaire », rapporte Jean-Marc Montagnac. De son côté, Michel Chalot confie avoir reçu « beaucoup d’appels de transporteurs étrangers qui souhaitent être mis en rapport avec des transporteurs français qui pourraient être leur délégataire ». Quant à Marie Omnès, elle voit poindre « une mobilisation de certains donneurs d’ordre qui se demandent comment ils vont se mettre en conformité ». Comme nombre de ses confrères par ailleurs, la jeune Nordiste reste circonspecte sur la supposée intensification des contrôles sur les quais de chargement et déchargement.
En ont-elles reçu la consigne par la voie gouvernementale ? En tout cas, les préfectures se mettent à communiquer vers la presse pour annoncer leurs opérations de contrôles. Ainsi, récemment, la préfecture Auvergne/Rhône-Alpes qui a annoncé avoir sanctionné une entreprise polonaise pour cabotage illégal, et une entreprise française pour travail dissimulé.