Selon la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced), 793 millions de conteneurs équivalent vingt pieds (EVP) ont été manutentionnés dans les ports mondiaux en 2018. Malgré une croissance moins vigoureuse par rapport aux années précédentes, ce volume a progressé de 4,7 % (+ 6,7 % en 2017) ; le transport maritime conteneurisé demeurant l’un des segments les plus dynamiques du mode et ce, au moins jusqu’en 2025 pour la Cnuced. Un contexte favorable pour le transport routier de conteneurs sachant qu’en matière de pré– et post-acheminements portuaires de « boîtes », le camion domine le plus souvent. En France par exemple et au Havre en particulier, 87 % des conteneurs échangés avec son hinterland sont transportés par route soit environ 1,8 MEVP* l’an passé ! Si ce déséquilibre modal sur le port normand est, pour beaucoup d’analystes, un handicap de compétitivité et limite sa conquête vers un hinterland plus vaste, il est partagé avec les deux autres ports nationaux aux volumes conteneurisés significatifs : Marseille-Fos (1,4 MEVP) et Dunkerque (422 000 EVP en forte croissance chaque année). La part modale de la route dans leurs pré– et post–acheminements de « boîtes » y est comprise entre 70 et plus de 80 %.
Incontournable dans les trois ports, le transport routier de conteneurs est loin d’y avoir la reconnaissance qui devrait lui revenir. « Les choses évoluent favorablement », note Richard Gazeau, président du groupe Gazeau-Brelet. Ces améliorations sont davantage perceptibles à Marseille-Fos grâce « au dialogue instauré entre les transporteurs, transitaires, l’autorité portuaire et les gestionnaires de terminaux, explique Michel Mattar, délégué général de TLF Méditerranée, artisan et animateur de ces échanges. Dès qu’une difficulté apparaît, le sujet est mis sur la table. C’est ainsi que nous avons conçu un système de rendez-vous assorti d’une remontée d’information de la part des terminaux sur les temps d’attente. » Toujours perfectible pour l’ajuster à la croissance des flux conteneurisés phocéens et lors de fortes affluences de navires qui absorbent les moyens de manutention, cette organisation « a permis des améliorations significatives », reconnaît Philippe Texier, à la tête des Transports MCP, qui exploitent une flotte de 130 cartes grises dont une trentaine de moteurs. « Les transporteurs prennent leurs rendez-vous directement sur les plannings en ligne des terminaux de Fos selon les créneaux horaires proposés. » Quant aux temps moyens passés sur ces derniers, ils s’élèvent à trente-cinq minutes seulement. Cette performance est à tempérer, car les relevés encadrent la durée passée sur les terminaux sans tenir compte des files d’attente, de plusieurs heures parfois, à leur entrée.
Si les volumes traités sont plus faibles, à Dunkerque aussi le dialogue entre toutes les parties prenantes améliore le quotidien desexploitantsetconducteurs.Entémoigne la solution trouvée lors de l’extension du quai des Flandres hébergeant son terminal à conteneurs. Achevé en 2019, « cet aménagement consolide le trafic conteneurisé dunkerquois, salue Jérémie Bogaert, patron des transports éponymes etdelaholdingCN’J. Il a nécessité en revanche la fermeture à proximité d’un parking poids lourds en accès libre. » Face à ce changement, les transporteurs routiers, le Grand Port maritime de Dunkerque (GPMD) et le gestionnaire du terminal se sont mis autour de la table. « Leurs réunions ont débouché sur la création de l’association Transporteurs portuaires dunkerquois composée d’une quinzaine de transporteurs concurrents », insiste Jérémie Bogaert. Depuis près de trois ans, cette association gère avec succès un nouveau parking sécurisé de 200 places PL mis à disposition par le GPMD. » Rendez-vous payants. Malgré plusieurs tentatives, cette approche consensuelle semble aujourd’hui manquer au Havre où chaque maillon de la chaîne conteneurisée travaille davantage « en silo ». Quelques améliorations ont vu le jour comme le déploiement d’un système de rendez-vous sans atteindre, toutefois, les résultats obtenus à Marseille-Fos. Sur les terminaux conteneurisés havrais, les temps d’attente moyens pour les transporteurs routiers sont encore supérieurs à une heure et demie avec des pics fréquents de trois à quatre heures en intégrant les files à leur entrée.
Face à ce constat, le plus grand manutentionnaire de conteneurs de la place normande, GMP, filiale de DP World et de Terminal Link (groupe CMA CGM), a instauré des rendez-vous payants baptisés Flex. De 15 à 20 euros, cette mesure est une première dans les ports français et vise à garantir les rendez-vous sous peine, en plus, d’une pénalité de 50 euros infligée par le manutentionnaire en cas de non-respect.
Critiquée lors de son lancement, sa mise en œuvre a eu des conséquences positives et négatives. Hors forte affluence de navires où, ici comme ailleurs, les moyens et personnels sont alloués en priorité aux manutentions bord à quai, elle a permis de fluidifier l’activité. « Le temps de transit moyen d’un camion sur le terminal de France opéré par GMP est de moins d’une heure avec un rendez-vous Flex », indique Antoine Tinel, de Seatruck, dont le réseau compte dix agences dont neuf en France et une à Anvers. Côté pile toutefois, « elle oblige à refacturer cette prestation aux clients qui la demandent pour avoir la certitude de récupérer leur conteneur dans les meilleurs délais, tempère le directeur du commissionnaire spécialisé dans le transport routier de conteneurs One Way, filiale de Sealogis (groupe SNCF). Cette refacturation est désormais acceptée par la majorité de nos clients pour leurs flux import. » Pour les transporteurs, dès lors qu’ils n’ont pas à supporter le surcoût du rendez-vous Flex via sa refacturation à leurs clients, la fluidité gagnée est synonyme de productivité dans la gestion de leurs conducteurs et ensembles routiers.
Au-delà, les goulots d’étranglement constatés sur des terminaux à conteneurs français, ou à leurs abords, soulèvent plusieurs failles dans la chaîne conteneurisée actuelle. Ils interpellent sur l’organisation du transport maritime de conteneurs et sur l’augmentation de la taille de ses navires. Ces évolutions ont pour conséquences la réduction du nombre d’escales dans chaque port et l’accroissement sensible des mouvements de boîtes par escale. Combinées, ces deux tendances alimentent la congestion sur quelques jours de la semaineoumoments de la journée au détriment d’un lissage et d’une plus grande fluidité de l’activité. Cette congestion est accentuée lorsque la franchise de stationnement des « boîtes » est courte, comme au Havre. Elle y est de trois à quatre jours avant facturation, alors qu’ailleurs des « souplesses » sont accordées grâce à un dialogue « gagnant-gagnant ». Au risque de ne plus figurer sur les lignes des nouvelles générations de porte-conteneurs XXL, ces tendances obligent aussi les ports et leurs terminaux à investir régulièrement des millions voire des dizaines de millions d’euros pour adapter leurs installations et outillages. Ces investissements sont consacrés en priorité au maillon « bord à quai » de la chaîne conteneurisée. Or, la fluidité de cette chaîne supposerait qu’en parallèle des investissements soient engagés pour développer les capacités de manutention sur l’interface terminal-route.
En l’absence d’alternatives modales suffisantes et faute d’investissement adapté pour optimiser cette interface, les dysfonctionnements constatés sont supportés par les transporteurs routiers et les chargeurs qui décident de passer par les ports français. Un raisonnement court-termiste et une épée de Damoclès pour les transporteurs routiers car les supply chain des chargeurs sont volatiles comme le sont les stratégies des compagnies maritimes ! L’insuffisance des investissements voire le manque de considération pour le maillon terminal-route a des conséquences sociales liées à l’accueil des conducteurs routiers. Malgré des temps d’attente de plusieurs heures au Havre et à Marseille-Fos, les chauffeurs ne disposent pas sur place de sanitaires ni de points de restauration même rapides. Pour des raisons de sécurité, ils sont obligés de rester dans leur cabine. À l’heure où le transport routier souffre d’une pénurie de chauffeurs et au regard du poids de la route sur les trafics portuaires conteneurisés en France, cette situation est qualifiée à juste titre d’« intolérable » par tous les transporteurs routiers. Sans exonérer la responsabilité et les actions durables à envisager par les gestionnaires de terminaux et les autorités portuaires pour remédier à cette situation, des innovations sont en cours pour optimiser le transit des camions et de leurs conducteurs. Au Havre par exemple, les Transports Gazeau-Brelet collaborent à un pilote. Son but est d’« automatiser, de fluidifier et d’anticiper la prise de rendez-vous ainsi que la sortie des conteneurs », résume Richard Gazeau, partisan d’une transition numérique plus rapide de la chaîne conteneurisée. « Ces quatre dernières années, notre groupe a investi massivement dans des systèmes d’information et leur interopérabilité. La numérisation des process et le partage des données entre tous les maillons de la chaîne seront de plus en plus déterminants. Ils contribuent à la performance des transits portuaires au bénéfice de tous ses maillons. Pour les transporteurs routiers, l’enjeu est majeur car les temps de service ne sont pas extensibles et les marges sont faibles. » Pour optimiser ses capacités ainsi que la gestion de ses conducteurs, le groupe Gazeau-Brelet a ouvert une nouvelle agence au Havre, il y a deux ans. Dotée d’installations d’accueil pour ses chauffeurs, elle apporte davantage de souplesse pour traiter les mouvements entrée-sortie de conteneurs sur les terminaux havrais. « Plusieurs conducteurs sont affectés aux seuls brouettages des conteneurs entre les terminaux et notre agence. Cette flexibilité a un coût à supporter dans un environnement tarifaire tendu », reconnaît le chef d’entreprise. Cette initiative s’intègre à un plan de transport fondé sur une offre One Way articulée autour d’un parc à conteneurs de 20 000 m2 à Chaudron-en-Mauges (49). Ce hub, qui compte les 12 premières compagnies maritimes mondiales comme clients, est équipé d’engins demanutentionlourds, « nous réalisons jusqu’à 35 transbordements par jour au service d’un schéma de transport optimisé. Avec six agences et une flotte de 220 cartes grises, ce schéma couvre le Grand-Ouest du Havre à Bordeaux en passant par Montoir et Gennevilliers. » Pour les flux import, les prestations de transport routier réalisées par les Transports Gazeau peuvent être complétées par les offres en logistique contractuelle et de distribution finale des Transports Brelet. Consolidé, le parc du groupe Gazeau-Brelet compte 500 cartes grises dont 220 moteurs.
Confrontés à une multiplication de systèmes d’information à renseigner et favorables à un partage des données simplifié pour limiter les ressaisies voire automatiser les processus, les Transports Bogaert et d’autres de la place dunkerquoise participent aussi à deux initiatives digitales. Elles font intervenir la SSII Busipart, une autre filiale de la holding CN’J. Avec le terminal des Flandres, la première s’appuie sur l’OCR, technologie de reconnaissance automatique des plaques des véhicules et des numéros de conteneurs. La deuxième s’intègre au projet européen Intercor qui, sur la base des télématiques embarquées véhicules et des infrastructures, suit le mouvement des marchandises de façon centralisée et anticipe leur gestion à chaque étape. En octobre dernier, la holding CN’J a lancé Bogaert Solution Logistique. Elle exploite un parc de 140 cartes grises dont 72 moteurs via plusieurs entreprises, telles que Bogaert, mais aussi Nectrans, spécialisée dans le transport de conteneurs reefer. Sur un terrain situé à l’entrée du terminal à conteneurs dunkerquois, cette filiale a été créée pour porter et commercialiser les offres du groupe en synergie avec ses capacités de transport. Depuis le 16 décembre, elle propose sur 20 000 m2 plusieurs prestations sécurisées : logistique contractuelle sous entrepôt pour un large référencement ICPE (stockage, contrôle qualité, préparation de commandes, cross-dock), services d’empotage et de dépotage avec pesée, transbordement de conteneurs avec engins de manutention affectés… Fin 2020-début 2021, le site hébergera un bâtiment tertiaire de trois étages. « Un restaurant-brasserie sera aménagé au rez-de-chaussée. Le premier étage accueillera les services du groupe CN’J et de ses filiales. Le deuxième proposera des bureaux à louer et le troisième des salles de réunion avec vue panoramique sur le terminal de Flandres », confie Jérémie Bogaert. Ces aménagements représentent un investissement de 9,5 M€.
Traitant 60 % des conteneurs du port de Marseille-Fos, le terminal PortSynergy-Eurofos a décidé de renforcer ses contrôles appliqués aux conducteurs et poids lourds circulant sur son site. Les premiers visent à sécuriser et à prévenir les risques du transport de conteneurs ADR. Ils font suite à une campagne de contrôles menée au début de l’année, qui a révélé que 42 % de ces trajets ne respectaient pas les règles de sécurité fixées par l’ADR. Les principales non-conformités portaient sur les documents de transport et les équipements de sécurité. Face à ce constat, à compter du 1er janvier 2020, le manutentionnaire appliquera de nouvelles règles et sanctions allant de la suppression du rendez-vous à l’interdiction totale d’accès sur le terminal en cas de fautes répétées. Tous les ans, les compteurs seront remis à zéro. La deuxième mesure concerne la vitesse sur le site. Là encore, elle s’appuie sur une campagne de contrôles qui a révélé que 25 % des poids lourds ne respectaient pas les vitesses limitées. À ce stade, PortSynergy-Eurofos appelle les transporteurs et leurs conducteurs à la vigilance « sachant que la vitesse est à la fois un facteur déclencheur d’accidents mais aussi un facteur aggravant », insiste le manutentionnaire.
E. D.
À compter du 1er janvier 2020, l’annexe VI de la convention Marpol fixe à 0,5 % la limite d’émissions des oxydes de soufre des navires. Cette division par sept par rapport au niveau autorisé jusqu’à présent témoigne de la transition en cours dans le transport maritime. Adopté en 2018 par l’Organisation maritime internationale (OMI), le calendrier de cette transition repose sur deux nouveaux objectifs principaux : « réduire d’au moins 40 % les émissions des gaz à effet de serre des navires mesurées à la tonne-km d’ici à 2030, et d’au moins 50 % le volume total de ces émissions en 2050 par rapport à 2008 ». Visant à ralentir le changement climatique, ce cap est une première marche vers la « décarbonisation » du mode et se concrétise dès aujourd’hui par plusieurs initiatives et un mix de solutions : réduction de la vitesse des navires, propulsion GNL et vélique, branchement électrique à quai… Pour se développer, certaines comme le GNL et le branchement électrique à quai supposent qu’en parallèle les ports, français compris, investissent dans des installations adaptées dont le soutage.
E. D.
Traitant 60 % des conteneurs du port de Marseille-Fos, le terminal PortSynergy-Eurofos a décidé de renforcer ses contrôles appliqués aux conducteurs et poids lourds circulant sur son site. Les premiers visent à sécuriser et à prévenir les risques du transport de conteneurs ADR. Ils font suite à une campagne de contrôles menée au début de l’année qui a révélé que 42 % de ces trajets ne respectaient pas les règles de sécurité fixées par l’ADR. Les principales non-conformités portaient sur les documents de transport et les équipements de sécurité. Face à ce constat, à compter du 1er janvier 2020, le manutentionnaire appliquera de nouvelles règles et sanctions allant de la suppression du rendez-vous à l’interdiction totale d’accès sur le terminal en cas de fautes répétées. Tous les ans, les compteurs seront remis à zéro. La deuxième mesure concerne la vitesse sur le site. Là encore, elle s’appuie sur une campagne de contrôles qui a révélé que 25 % des poids lourds n’y respectaient pas les vitesses limitées. À ce stade, PortSynergy-Eurofos appelle les transporteurs et leurs conducteurs à la vigilance « sachant que la vitesse est à la fois un facteur déclencheur d’accidents mais aussi un facteur aggravant », insiste le manutentionnaire.
E. D.
* Sur 2,85 MEVP traités en 2018, le trafic conteneurisé havrais avec son hinterland a représenté 2,1 MEVP, le reste étant composé de transbordements.