La Commission, dans cet exercice de style périodique qu'elle s'inflige (son précédent Livre blanc sur le transport date de 1994), est partie d'un constat alarmiste : « le système de transport est au bord de l'asphyxie ; le transport doit faire face à une contradiction permanente entre une société toujours plus demandeuse de mobilité, mais en même temps une société qui ne supporte plus la congestion et son cortège d'effets secondaires que sont les nuisances environnementales, les retards et l'insécurité. » Le fait est bien connu. L'automobiliste, comme le consommateur ou le chargeur est schizophrène et il faut maintenant faire son bonheur malgré tout. « Les déséquilibres modaux se sont aggravés, notamment dans le secteur du fret, a récemment rappelé François Lamoureux, directeur général de la DG transport et environnement venu présenter le Livre blanc à Paris fin juin. La route est devenue hégémonique et continue de gagner des parts de marché. Or le transport routier contribue fortement à l'augmentation de la pollution par le gaz carbonique et les conséquences en terme de congestion sont considérables. Si l'on observe les échanges de la Péninsule ibérique avec le reste du continent, les Pyrénées sont franchies à 95 % par la route et à 5 % par le fer, alors que les flux augmentent de 10 % par an. L'opinion publique ne s'y fera pas. »
La Commission s'est donc fixée comme priorité absolue de figer les parts modales. « Dans notre réflexion, nous avons choisi comme scénario raisonnable de geler la répartition modale actuelle, en stoppant l'accroissement des déséquilibres enregistré dans le passé, a poursuivi François Lamoureux. Un meilleur équilibre est espéré à partir de 2010. » La Commission se veut donc à la fois ambitieuse, mais réaliste et prudente, pour bâtir ce qu'elle appelle un scénario volontariste.
Ainsi, contrairement au précédent Livre blanc, elle n'a pas fait du transfert modal massif vers le rail un dogme absolu. Pour une raison simple : le déclin du ferroviaire a été analysé de manière objective, en mettant en exergue les propres carences du système ferroviaire. « Le manque de fiabilité et de flexibilité a été l'une des causes de la fuite de certains trafics vers le transport routier et des difficultés à conquérir de nouveaux marchés, note le Livre blanc. Si les chemins de fer veulent être compétitifs par rapport à d'autres modes, ils doivent proposer un prix avantageux, un temps de parcours adapté aux exigences des utilisateurs, un service porte à porte, un système de traçabilité des marchandises et une information précise sur la situation du voyage, sur les retards et les causes des perturbations ». La conclusion de la Commission sur ce débat est donc sans nuance : « l'enjeu de la qualité du service ferroviaire ne se gagnera pas uniquement sur une base juridique ; la meilleure façon de parvenir à cette amélioration des services impose que le système de transport ferroviaire en Europe soit repensé et qu'il s'ouvre de façon progressive, mais inéluctable à la concurrence. » Voilà la SNCF (entre autres) mise devant ses responsabilités. La Commission entend cependant apporter sa contribution à cette évolution. « Nous appuierons fortement le développement de l'intermodalité par l'accroissement des fonds Pact, qui seront portés à 30 millions d'Euros par an, a précisé François Lamoureux. Par ailleurs, nous allons également assurer la promotion des intégrateurs de fret, pour permettre le développement de chaînes intégrées de transport, comme les autoroutes de la mer entre l'Italie et l'Espagne. »
Reste que la Commission, dans ce Livre blanc, comme dans le précédent, n'a toujours pas renoncé au sempiternel débat sur la nécessité de faire payer à la route les coûts externes. « Une fois que le secteur du transport routier de marchandises aura retrouvé son équilibre financier, il faudra examiner sa contribution à la couverture des coûts internes et externes ce qui n'est pas le cas actuellement », rappelle le Livre blanc. La Commission envisage donc de proposer un nouveau système de taxation pour la route au cours des trois prochaines années. L'arsenal comprend entre autres l'extension du champ de la directive sur l'Eurovignette à tous les véhicules de transport de marchandises et à toutes les routes, la réforme des minima sur les taux d'accises pour les carburants, en fonction des dommages qu'ils causent à l'environnement et une réflexion approfondie sur les systèmes de taxation des autoroutes basée sur la distance parcourue. Sur ce dernier chapitre, la Commission souhaite que les péages ne couvrent plus seulement les coûts de construction, d'exploitation et de développement du réseau, mais intègrent également les coûts externes. Elle envisage même d'autoriser les Etats à augmenter davantage les péages et à affecter les surplus des recettes à un fonds spécifique destiné à financer les autres infrastructures.
La Commission souhaite également s'appuyer largement sur l'apport des nouvelles technologies pour réduire les nuisances environnementales et les encombrements. En ce qui concerne les émissions des moteurs, l'entrée en vigueur d'Euro 3 va amener un progrès considérable, puisque les normes prévoient, par rapport à Euro 2, une réduction de 72 % des émissions d'hydrocarbures imbrûlées, d'oxydes d'azote et de particules et de 85 % des oxydes de carbone.
Mais la Commission prête également un oeil attentif aux systèmes informatiques et de télécommunication qui permettent d'optimiser les unités de chargement dans la chaîne logistique.« L'introduction progressive de ces systèmes dans toute l'Europe demande que la communauté, les Etats membres, gestionnaires de réseaux et fournisseurs d'équipements et de services collaborent plus étroitement, afin de garantir l'interopérabilité des systèmes », insiste le Livre blanc.
La Commission envisage ainsi de développer le volet transport du 6e Programme Cadre de Recherche et de donner une nouvelle impulsion au programme Galileo, constellation de satellites destinée à se substituer au système américain du GPS. Mais aucune enveloppe financière n'est encore allouée à ces projets.