Olga Alexandrova : La directive Eurovignette a été révisée avant d’être publiée en février. Elle modifie les mesures de taxation du transport routier de marchandises avec plusieurs paramètres « verts ». L’Union TLF restera vigilante pour éviter toute double taxation des émissions de CO2. Les discussions sont en cours concernant le projet Fit for 55 et nous serons très attentifs si l’extension du marché carbone au TRM se profile, afin que les taxes prélevées restent dans la filière pour aider les entreprises à verdir leur parc. Cette extension aux transporteurs soulève plusieurs questions : comment la mettre en place compte tenu de l’existence de l’Eurovignette ? Comment flécher les fonds récoltés ? Et il y a plusieurs parties prenantes, les États sont à des stades différents quant à l’évolution de leur politique verte.
O. A. : L’écotaxe en Alsace a justement été prévue dans le cadre des possibilités définies par la directive Eurovignette. Son champ d’application n’est pas encore validée et les discussions au sein de la Communauté européenne d’Alsace à ce sujet viennent de commencer. Ce projet était déjà dans les tuyaux avant la loi climat et résilience du 22 août 2021, qui prévoit et cadre la possibilité de déployer des écotaxes dans d’autres Régions de France. Pour qu’une autre écotaxe régionale puisse s’appliquer, deux conditions doivent être remplies. Après sa demande, un transfert à la Région de la gestion du réseau public routier national en vertu de la loi 3D (n° 2022-217 du 21 février 2022) et une existence préalable d’un dispositif similaire dans une zone limitrophe (pays/région) ayant pour effet de créer un report ou un risque de celui-ci sur le territoire dans cette Région. Par exemple, en Alsace, la région frontalière des Ardennes pourrait également la mettre en place si elle constate une augmentation des flux routiers à cause de l’écotaxe alsacienne.
O. A. : Nous sommes pour un mix énergétique, et il ne faut pas oublier que les subventions au gaz concernent le biogaz. Si, dans tous les textes européens du paquet climat les deux énergies, électricité et hydrogène, sont mises en avant, la position française reste sur le développement de plusieurs énergies. Le mix énergétique est plus efficient pour les transporteurs car en fonction de la situation géographique et de l’activité dans l’entreprise, ils pourront choisir l’énergie la plus appropriée.
Jérôme Douy : Au niveau de la France, un grand travail a été effectué avec la task force transition énergétique. Sans vision concrète en matière de déploiement de la transition énergétique, on a œuvré – l’Union TLF et les autres organisations professionnelles – pour qu’une attention particulière soit donnée au TRM. Cette task force, menée par la DGITM et la DGEC, a eu le mérite de mettre tout le monde autour de la table : constructeurs, transporteurs, logisticiens mais aussi les énergéticiens. Il en ressort qu’aujourd’hui la vision de la transition énergétique n’est pas marquée sur le long terme. Il y aura probablement un mix énergétique selon des cas d’usage : la logistique urbaine sera probablement plus fléchée sur l’électrique, mais les autres activités sont beaucoup moins marquées. Le développement de l’hydrogène est encore trop embryonnaire. Les seuls équipements existants sont des rétrofits réalisés sur des basculements vers l’hydrogène mais ils coûtent extrêmement cher. En termes de TCO [coût total de possession], ce n’est absolument pas en rapport avec les besoins de la profession. Et pour l’électrique, la technologie d’autonomie reste très limitée et donc difficilement adaptable pour de la longue distance. Le gaz est aujourd’hui la seule énergie la plus en rapport avec les TCO en comparaison avec le diesel.
J. D. : La principale problématique reste les réseaux d’avitaillement. Pour l’hydrogène, il n’y en a pas. Pour l’électrique, il y a des bornes pour les particuliers dans certaines zones, mais pas pour les poids lourds. La réflexion porte sur une charge lente sur site. Mais est-ce que cela correspondra à tous les cas d’usage des entreprises ? Cette solution nécessite pour les entreprises d’avoir des espaces fonciers adaptés, ce qui est le cas de très peu de TPE-PME. Et le gaz, le carburant alternatif le plus développé aujourd’hui, ne dispose pas de réseaux partout en France. Chacune a des avantages et des freins. Mais il ne faut pas que les Régions fassent l’impasse sur cette mixité énergétique absolument nécessaire. Pour que la transition se réalise, elle doit être efficace autant écologiquement qu’économiquement pour les entreprises qui doivent pouvoir absorber les coûts au risque de voir des renoncements de transport ou des arrêts d’usage de transport (en particulier au niveau de la logistique urbaine).
J. D. : Il y a eu un investissement sur la partie gaz, nécessaire puisqu’il y a un cadencement actuel fortement lié à la mise en place des ZFE-m [zones à faibles émissions mobilité], pour pouvoir répondre aux nouvelles normes mais aussi par les demandes des chargeurs d’avoir des entreprises qui basculent vers des énergies de transition. Le gaz, qui permet de répondre à des schémas de transport variés, est l’énergie de transition la plus adaptée.
O. A. : La crise actuelle montre que certains clients ne sont pas prêts à appliquer le prix nécessaire à la transition. Ils refusent d’accepter les hausses des prix du gaz, or ce serait encore plus élevé pour un transport au moyen de véhicules électriques. Peut-être que les transporteurs ne sont pas prêts, mais encore faut-il que tous les autres acteurs de la chaîne logistique, et donc les donneurs d’ordre, acceptent de payer des prix plus élevés. Car cette transition énergétique sera accompagnée d’une augmentation du prix de transport. Cette idée doit être intégrée par la société.
J. D. : Il y a un déploiement en cours qui répond aux ambitions de la LOM [loi d’orientation des mobilités] et de la loi climat et résilience. Mais tous les calendriers ne sont pas encore en place. La plupart des collectivités mènent des concertations, d’autres étaient déjà dans cette dynamique. La plus impactée reste Paris, avec la perspective des JO de 2024 dans une logique de jeux écoresponsables. Le transport pour autrui, qui garde un véhicule environ cinq à six ans, est moins impacté dans l’immédiat que le compte propre qui utilise un camion pendant une dizaine d’années. Mais cela commencera à jouer dans les cinq ans à venir, notamment avec la projection de l’interdiction des véhicules Crit’Air 2. D’ailleurs, la task force a démontré que le basculement de tout le parc en France vers des énergies alternatives ne pourra pas se dérouler en deux ans. Nous ne demandons pas de dérogations, qui pourraient finalement noyer l’objectif de la ZFE-m, mais une transition énergétique acceptable, avec un calendrier optimiste, raisonnable, engagé et adapté aux professionnels.
J. D. : Pour accompagner les adhérents, la commission logistique urbaine de l’Union TLF lancera à l’occasion de la SITL, du 5 au 8 avril à Paris, un abécédaire des ZFE-m en France, avec 11 métropoles pour l’instant. Cela donne une vue d’ensemble aux entreprises, avec les calendriers, les dispositifs de contrôle, les périmètres et les dérogations. Cette cartographie a aussi un intérêt pour les métropoles d’un point de vue pédagogique, surtout celles qui se mettront en place. Par exemple, on voit qu’il n’y a pas d’harmonisation dans les calendriers ni même dans les dérogations entre les métropoles. Concernant les périmètres, en France, comme ailleurs en Europe, les ZFE-m sont parties d’un petit périmètre, le centre-ville, puis se sont agrandies. Ce n’est pas neutre en termes d’impacts sur des territoires plus vastes. Cela affectera aussi les usages et l’implantation des zones logistiques.
J. D. : L’ambition de Paris est qu’en 2030, il n’y ait plus que les catégories Crit’Air vert. Le gaz ne rentrerait donc plus dans la métropole du Grand Paris. Il faut que cette transition énergétique continue mais en proposant des adaptations sur le dispositif Crit’Air, sur les prix du gaz, sur une adaptation au niveau des TCO et surtout par rapport au calendrier des ZFE-m. Il y a un besoin d’accompagnement pour les grands groupes et pour les TPE-PME, pour lesquelles les capacités d’investissement ne sont pas les mêmes. Des périodes de transition sont nécessaires afin d’envisager la possibilité d’utiliser par exemple le B100, le HVO. Mais dans ce cas, et même si le B100 montait en Crit’Air 1, il y aurait des freins. En effet, le B100 est aujourd’hui en flotte captive, les entreprises ne peuvent pas le distribuer aux sous-traitants. Des échanges avec les services de l’État sont en cours pour essayer de faire évoluer cette situation.
* L’interview a été réalisée avant l’annonce du plan de résilience économique et sociale du gouvernement et du financement à hauteur de 400 M€ pour les entreprises du transport.