C'est le 14 février que le groupe Vialle, basé à Thiviers (24), a été placé en redressement judiciaire par le tribunal de commerce de Périgueux. Cette procédure, assortie d'une période d'observation de six mois, concerne la Holding Groupe Vialle regroupant onze sociétés françaises. Dix d'entre elles sont actives dans le transport routier : Vialle et Fils, Viala, VLV alias Vente Location Véhicules, Transports Frigorifiques du Périgord, Migot (toutes basées en Dordogne), Castandet & Fils et Mora (dans les Landes), Garrigue (47), Bourbon (72) et TAV (76). Picon FL (24), la onzième entreprise du pôle France, effectue, elle, du négoce en fruits et légumes. Les filiales étrangères, Polska Logistique en Pologne, Keulders International en Belgique, Transteam Groupo en Espagne et les Transports Frigorifiques Vialle au Maroc, ne sont pas pour l'instant touchées par la faillite de leur maison mère.
Le dépôt de bilan aurait été provoqué par un litige avec une société de recouvrement de créances. « Nous travaillions auparavant avec la Société Française de factoring (SFF) qui a fusionné avec le Crédit Lyonnais pour créer le groupe Euro Factor. Ce qui a entraîné des erreurs de gestion, affirme Henri Vialle, président du directoire du groupe. Aujourd'hui, Euro Factor nous doit des sommes importantes. La procédure à son encontre, engagée en octobre 2001, n'a pas encore abouti. Nous avons dû changer de prestataire et couvrir les dépenses supplémentaires de garantie. Tous ces éléments pèsent lourdement sur notre trésorerie ». Mais celui-ci admet que cet incident est venu aggraver une situation financière déjà difficile en raison de la progression des charges liées aux 35 heures (paiement des heures compensatoires), de la flambée du gazole et de la hausse des polices d'assurance... Les prix de revient du transporteur en ont été sensiblement augmentés. « Et nous ne parvenons pas à répercuter la totalité des surcoûts sur nos tarifs », souligne Henri Vialle. C'est d'autant plus pénalisant que le transporteur, spécialisé dans la longue distance, fait face à une « concurrence européenne de plus en plus féroce ». Ces difficultés se traduisent par des résultats négatifs pour certaines sociétés du groupe. Pour l'année 2000, les Transports Bourbon ont accusé une perte d'exploitation de 420 000 €, Vialle et Fils de 580 000 € et TAV de 50 000 €. « Les déficits sont toutefois compensés par les plus values réalisées sur les ventes de matériels », affirme Henri Vialle. Le passif total du groupe s'élèverait à plusieurs millions d'euros.
Pour les employés de l'entreprise, le redressement judiciaire serait surtout la conséquence d'une politique trop ambitieuse, les onze filiales françaises du groupe étant issues d'opérations de croissance externe. « Ils ont vu trop grand en achetant trop de sociétés, dont certaines étaient boiteuses », estiment les délégués du personnel. Aujourd'hui, ces derniers craignent que Vialle ne ferme ses agences en France pour se concentrer sur ses filiales à l'étranger, qui bénéficient de législations plus favorables. « Nous serons vigilants sur les délocalisations », a déclaré Didier Moreau, délégué CGT. « Nous ne souhaitons en aucun cas réduire nos implantations en France, promet de son côté Henri Vialle. Nous ferons le maximum pour sauvegarder les emplois ». L'Union fédérale route de la FGTE-CFDT exige, pour sa part, le règlement de l'intégralité des salaires et frais des conducteurs dans toutes les filiales du groupe. La direction de Vialle a assuré que les versements étaient en cours de régularisation. Chez les Transports Bourbon (85 salariés, 50 véhicules, CA de 8,84 M€), implantés à Conflans-sur-Anille (72), les conducteurs étaient en grève les 18 et 19 février afin de réclamer le paiement de leurs salaires et frais du mois de janvier. L'un des deux administrateurs judiciaires, nommés par le tribunal de commerce de Périgueux, leur a accordé une avance sur les paies de février de 600 € et de 300 € pour les frais. Les rémunérations de janvier seront prises en charge par l'AGS (assurance générale des salaires).
Avec près de 130 M€ de chiffre d'affaires, Vialle revendique la 10e place parmi les entreprises nationales de transport routier. Fondée en 1926, elle emploie 1 200 salariés, dont 340 à l'étranger. Avec une flotte globale de 750 véhicules, le groupe périgourdin est actif dans le lot complet en longue distance (68 % du CA), le transport frigorifique (5 % du CA), l'acheminement de matières dangereuses en citernes (5 % du CA), le rail-route (10 % du CA) et la logistique (5 % du CA). Il fait appel à l'affrètement à hauteur de 8 % de son volume d'affaires. Ces sous-traitants, petits et moyens transporteurs, risquent de pâtir lourdement de son dépôt de bilan.
Dans le cadre de ses implantations à l'étranger, le groupe Vialle est suspecté d'avoir commis des infractions au code du travail. « Des enquêteurs s'emploient à vérifier la légalité des contrats de conducteurs polonais qui travaillent pour l'entreprise », indique le procureur de la République de Périgueux. Les 26 véhicules Vialle immatriculés en Pologne appartiennent-ils à une filiale régulièrement enregistrée ou à une société « factice » ? Dans ce dernier cas, ces Polonais pourraient être assimilés à des travailleurs clandestins. Henri Vialle s'en défend : « Nous sommes une société européenne qui travaille dans des pays où les clients préfèrent avoir affaire à des conducteurs parlant leur langue. Nous disposons d'une filiale en Pologne, Polska Logistique, qui emploie du personnel polonais. L'implantation dans ce pays est très longue sur le plan administratif. Depuis un an, nous essayons d'obtenir des « concessions » (équivalentes aux anciennes licences) ». Suite à l'émission de télévision Capital (M6) en 2001 - où témoignait un de ses conducteurs - le groupe Vialle a été soumis à une enquête préliminaire du Parquet de Périgueux, accompagnée d'une perquisition. Convoquée en février 2001 devant la Commission des sanctions administratives (CSA), la société avait été blanchie de toute accusation. Depuis, deux inspections supplémentaires ont été entreprises. Vialle doit donc comparaître de nouveau devant la CSA le 5 mars prochain.