Les Jeux olympiques (JO) de Paris 2024 s’annoncent comme l’un des événements les plus marquants de l’année, attirant l’attention du monde entier sur la capitale française du 26 juillet au 11 août, puis du 28 août au 8 septembre. Un événement phare qui va grandement perturber le transport de marchandises et qui nécessite une organisation de taille.
185 kilomètres de voies réservées
15 millions de visiteurs attendus ; 549 épreuves sur 35 sites de compétition, dont 25 en Île-de-France ; 185 kilomètres de voies réservées (sur l’A1, l’A4, l’A12 et l’A13 ainsi que les boulevards périphériques et circulaires) ; 14 périmètres de sécurité autour des sites sportifs et du village olympique ; plus d’un million d’articles de sport à livrer sur les sites olympiques ; plus de huit millions d’enlèvements ou de livraisons prévus chaque semaine pendant les Jeux (soit un flux de marchandise multiplié par deux)… Les chiffres ont de quoi donner le tournis. Il faudra distinguer des périmètres bleus, où la circulation motorisée sera réglementée, deux heures trente avant le début de la première épreuve, et désactivé une heure après la fin de la dernière épreuve. Dans cette zone, visant à éviter le transit, les forces de l’ordre en charge des contrôles exigeront des transporteurs de « présenter, en cas de contrôle, tout document de livraison permettant de justifier le besoin d’accéder à cette zone », précise l’Union TLF. S’il s’agit d’accéder à la zone rouge, « ils devraient pouvoir traverser la zone bleue et présenter le QR Code d’accès à la zone rouge ». Mais tout cela restait encore à confirmer à deux mois des JO. Dans le périmètre rouge, l’accès motorisé sera interdit sauf dérogation. En effet, certaines livraisons seront autorisées et nécessiteront un enregistrement préalable à travers la plateforme numérique anticiperlesjeux.gouv.fr
Des outils censés faciliter l’organisation
Cet outil a été lancé par le ministère chargé des Transports dans le but d’aider notamment les transporteurs dans leur organisation et de faciliter leurs déplacements grâce à une carte interactive indiquant, jour par jour, heure par heure, les périmètres de sécurité et de circulation autour des sites, l’emplacement des files réservées aux véhicules olympiques et paralympiques. Active depuis le 13 mai, avec un peu de retard, la plateforme n’était pourtant pas pleinement opérationnelle. Ce qui a de quoi agacer Ilhem Badis, la directrice générale de Blondeau Déménagement, localisé dans le 12e arrondissement de Paris, de ProConcept Déménagement (Taverny – 95) et de Gauvin Déménagements (Paris 13e), trois entreprises qui seront bien autorisées à circuler cet été dans toute la capitale. « Nos clients anticipent, nous aussi. Le planning d’exploitation est calé. Mais pas les autorités. Nous sommes dans le flou total à soixante jours des JO ! » Si cette patronne a bien accès à la plateforme, elle se retrouve « bloquée » pour l’obtention des laissez-passer. « Tous les jours nous scrutons la plateforme, mais rien ne bouge. » Et des questions restent en suspens.
« Ces laissez-passer seront-ils délivrés de façon instantanée ? Quels seront les délais d’instruction ? Nos clients doivent-ils renseigner eux-mêmes leurs motifs impératifs sur cette plateforme ? » Un véritable casse-tête alors que le mois de juillet est « la période la plus chargée avec sept à dix déménagements par jour et par structure » et que le trafic en Île-de-France est central dans les activités (60 à 70 %). « Aujourd’hui, nous avons déjà des dossiers validés par des clients qui se sont déjà positionnés sur des dates pendant les JO, mais n’avons aucune certitude de pouvoir assurer les déménagements. Des familles attendent et posent des questions. Nous ne sommes pas en capacité d’y répondre », se désole la dirigeante.
Autre outil ayant vu le jour : le service numérique appelé « Joptimiz ». Lancée depuis le 26 avril par Lujop (pour Logistique urbaine du quotidien pendant les Jeux olympiques et paralympiques), cette plateforme offre, quant à elle, un accès direct et gratuit à quatre outils qui intègrent et s’approprient les réglementations de circulation d’exception activées pendant les Jeux afin de réduire et faciliter les flux de marchandises. Visualiz, une carte interactive couvrant l’Île-de-France, permet aux entreprises de mieux planifier leurs livraisons et transports en identifiant tous les points d’intérêt pertinents. Itinériz est conçu pour calculer le meilleur itinéraire jusqu’à la destination finale, en prenant en compte les restrictions de circulation en vigueur pendant les Jeux. CirQliz génère un QR Code, disponible en format numérique ou à imprimer, qui facilite les contrôles des forces de l’ordre tout en évitant la congestion dans les zones bleues. Et Numériz est un disque numérique conçu pour gérer les arrêts sur les aires de livraison. L’éditeur PTV Logistics a, quant à lui, mis en ligne sur son site Web un démonstrateur pour faciliter le transport de marchandises sur Paris et ses banlieues. Disponible gratuitement sur sa plateforme PTV Developer, il permet de calculer et de proposer de façon dynamique les meilleurs itinéraires de livraisons en tenant compte des restrictions de circulation.
À noter aussi que l’Union TLF, pour accompagner les entreprises adhérentes et leur fournir toutes les informations utiles pour anticiper au mieux cette période, a imaginé le guide Transport &logistique des Jeux 2024, accessible sur son site Internet. Mis à jour régulièrement, il rassemble tout ce qu’il faut savoir sur les contraintes qui vont affecter la chaîne logistique pendant les Jeux.
Anticipation, réactivité, flexibilité
Toutes ces perturbations obligent donc les transporteurs à prendre des dispositions pour être fin prêts le jour J. « Il y a deux mots d’ordre : anticipation et réactivité », confirme Olivier Mirio, sales et marketing director chez XPO Logistics (7 000 collaborateurs, 3 000 véhicules, 1,217 milliard d’euros de chiffre d’affaires en 2023). En juillet aussi, l’entreprise connaît un pic d’activité, notamment dans la distribution à la palette. « Nous nous y préparons depuis près d’un an avec un groupe de travail spécifique en interne dont le noyau dur est composé d’une dizaine de personnes. Nous avons également interrogé nos clients sur leurs attentes et besoins, et organisé un webinaire le 14 mai (100 clients inscrits) pour expliquer en détail la manière dont nous avons anticipé cet événement. » Les équipes dédiées à la relation client, qui font donc l’interface entre l’exploitation et les clients, ont également été renforcées avec 10 à 20 % de personnes supplémentaires.
Au moment de la cérémonie d’ouverture, l’activité sera aussi très forte chez Heppner (93). « La période s’annonce critique », craint Sébastien Loddé, directeur de la Messagerie France (75). « Nous avons sollicité nos clients avec l’idée de faire le point sur leurs prévisions pendant les JO, mais force est de constater que c’est difficile d’avoir une image fidèle. Nous nous attendons à avoir une légère augmentation des volumes, notamment en pharma, mais c’est difficile de la quantifier précisément. Peut-être 10 % », estime-t-il avec prudence. Chez Heppner, aussi, l’anticipation a été de rigueur. Depuis l’été 2023, un groupe de travail pluridisciplinaire, mêlant des compétences RH, juridique et marketing aux côtés des opérationnels, s’est mis à l’œuvre pour travailler sur les JO. « Par exemple, il a fallu réorganiser les congés, anticiper certains, en décaler d’autres, afin d’avoir les ressources humaines nécessaires. » Cette restriction de congés va concerner essentiellement l’agence de La Courneuve proche du village olympique (où 54 personnes œuvrant en messagerie nationale sont concernées, sur 64 salariés) et celle de Rungis (15 à 20 personnes concernées).
« Il va falloir être ultra-flexible », renchérit Guillaume Robert, directeur des Transports Bon (95), une entreprise de 60 salariés (dont 54 conducteurs) qui partage ses activités entre le transport vrac et l’acheminement de matières dangereuses, et qui comprend 60 moteurs ainsi que 100 cartes grises. Pour cette entreprise implantée à Vaudherland (95), le trafic en Île-de-France représente les trois quarts de l’activité. « Nous appréhendons difficilement cette période à venir et nous nous demandons ce qu’il va bien nous tomber dessus. Je crains que l’État ne change les règles au dernier moment. Nous verrons bien comment nous travaillerons. Il y aura certainement des changements d’un jour à l’autre. Nous devrons improviser et faire preuve d’une grande flexibilité. Il va falloir s’adapter au mieux », anticipe le transporteur, tout en déplorant « des messages contradictoires » entre les autorités publiques. Et pour lui aussi, il sera difficile d’anticiper le volume d’affaires durant cette période estivale. « La majorité de nos clients sont dans le flou. Quasi aucun n’a la capacité de nous dire leurs besoins. » Malgré tout, l’entreprise essaie d’avancer ou de décaler certaines livraisons et a d’ores et déjà réfléchi à une nouvelle organisation du travail. « A minima, 40 % des conducteurs sont habituellement en vacances durant cette période. Du coup, nous leur avons demandé de décaler leurs congés ou d’en prendre moins. Aurons-nous prévu trop ou pas assez de personnes ? Nous ferons alors comme nous pourrons avec les moyens que nous aurons. » Mais il est certain que les Transports Bon, comme d’autres, vont devoir allonger les kilomètres parcourus et mettre plus de temps à livrer. Ce qui n’est pas sans affecter ses coûts.
Chez Delisle (77) aussi on s’organise. Voilà un an que les équipes ont commencé à se pencher sur le sujet, d’après Antoine Colas, le directeur opérationnel, selon qui l’activité vrac en bennes sera la plus touchée pendant les JO. De plus, d’un point de vue organisationnel, la période s’annonce problématique dans les marchandises conditionnées, une activité pour laquelle le groupe compte de nombreux clients en région parisienne. Car 30 % des conducteurs (sur 110 personnes) sont habituellement absents (congés, arrêts) en juillet. Un chiffre qui grimpe à 45 % en août.
Des plans de transport chamboulés
De fait, les transporteurs n’ont d’autres choix que de revoir leurs plans de transport afin de contourner les itinéraires habituels. Par exemple, XPO Logistics a élaboré une nouvelle stratégie de livraison dans Paris. « Nous avons activé plusieurs leviers pour lisser l’activité selon la méthode des 4D : diminuer les volumes à transporter, décaler les horaires de trajet, dévier d’itinéraire et détourner le mode de transport. Nous avons donc retravaillé nos plans de transport en nous focalisant sur trois départements en région parisienne (75, 93 et 78), estimant que les impacts en province seront plus limités. Nous avons travaillé aussi sur nos plans de capacité en moyens humains (conducteurs et caristes) et pris la décision d’augmenter la quantité de personnel disponible sur la base du volontariat, ainsi que nos moyens roulants en misant sur un mix de solutions énergétiques (biocarburant, véhicules électriques). Nous aurons ainsi la capacité de mobiliser une dizaine de véhicules électriques, selon nos besoins », explique Olivier Mirio, avant d’ajouter : « Nous avons incité nos clients à surstocker autant que possible. Nos sites logistiques en région parisienne seront utilisés comme zone tampon et mis à leur disposition pour constituer des stocks de proximité. En parallèle, nous encourageons nos clients à faire preuve de plus de flexibilité en décalant les livraisons à J + 1 ou J – 1. » Olivier Mirio pense être bien préparé, mais ne nie pas une certaine appréhension. « Nous comptons sur notre capacité de réaction. Tout ce qui pouvait être anticipé l’a été. À deux mois des Jeux, nous sommes dans les derniers ajustements avec encore quelques incertitudes. »
Livraison en horaires décalés
Si XPO Logistics n’a pas fait le choix d’un plan de report sur des livraisons de nuit, c’est en revanche le cas chez Kuehne+Nagel (77), qui va gérer la logistique des équipes olympiques allemande et anglaise. À ce titre, le logisticien va s’occuper notamment du transport du matériel et des équipements des athlètes, des produits alimentaires et gérera l’infrastructure des compétitions à Paris et en province avec des véhicules électriques. « Pour éviter les nuisances sonores et les congestions liées aux flux, certaines livraisons auront lieu vers 23 h 30. Cela concernera entre autres le montage d’un chalet place de l’Alma en juin », indique Éric Roignant, responsable de la branche expo & events, où un groupe de travail avec les acteurs majeurs de l’Île-de-France, allant du directeur régional au directeur d’agences (soit une dizaine de personnes), se réunit tous les mois pour affiner l’organisation pendant les JO. L’entreprise doit aussi s’adapter aux horaires d’ouverture et de fermeture du Musée Rodin. « Nous ne pourrons livrer qu’aux horaires de fermeture, seulement du mardi au vendredi entre 7 h et 10 h, sauf le lundi (jour de fermeture du musée), de 7 h à 18 h. »
Anticipant les difficultés à livrer dans les zones interdites à la circulation pendant les Jeux olympiques de Paris, le groupe Delisle a, lui aussi, élaboré des stratégies d’adaptation et a prévu de modifier ses horaires de livraison. « Nous allons livrer plus tôt, entre 4 h et 8 h du matin, contre 6 h et 11 h habituellement », indique Antoine Colas. Sa plus grosse crainte : les conditions de circulation : « On s’attend à de forts ralentissements. »
Le choix de la cyclologistique
Le vélo pourrait aussi être une bonne solution pour livrer les marchandises dans les zones sujettes aux restrictions de circulation. Certains transporteurs envisagent donc des transbordements de marchandises depuis des véhicules lourds vers des vélos-cargos. C’est le cas de XPO Logistics. L’équipe Last Mile teste la cyclologistique en Île-de-France, notamment à Paris dans sept arrondissements (5e, 7e, 8e, 9e, 12e, 13e et 14e). Cette nouvelle solution permet d’acheminer en moyenne 20 palettes (et jusqu’à 90 palettes) remises par jour dans différents points de vente. D’après l’entreprise, cette nouvelle solution de décarbonation en milieu urbain permet d’augmenter la capacité de livraisons, notamment lors des pics d’activité et les JO 2024.
Chez Heppner aussi. « C’est un pari assez vertueux qui va nous permettre d’avoir un meilleur service client », se réjouit Sébastien Loddé. Selon lui, ce modèle cyclologistique pourrait perdurer après les Jeux. Il présente d’autres avantages. « Avec les vélos-cargos, il sera possible d’accéder aux zones rouges quelles que soient les heures de la journée. Et nous pourrons y circuler librement sans avoir à faire de démarches administratives. »
Habituellement, son agence de la Courneuve livre environ 2 000 positions par jour essentiellement avec des camions notamment alimentés au gaz. Celle de Rungis, 1 100 à 1 200 positions par jour. « Nous utilisons déjà des vélos-cargos, mais uniquement pour les livraisons de colis de moins de 30 kg. Depuis le début de l’année, nous testons la livraison de palettes (plus de 30 kg). Pendant les JO, les marchandises seront alors acheminées en camion à proximité des zones rouges. Puis, les vélos-cargos (deux à quatre seront en service par camion), équipés d’un mécanisme de chargement rapide d’une palette, prendront le relais pour livrer sur les derniers kilomètres. Cette opération de transbordement s’effectue en moins de deux minutes. À mi-mai, nous comptabilisons entre 40 et 50 positions livrées par jour sur ce schéma, soit deux à trois positions par heure. L’idée est de monter en puissance pour atteindre une centaine de positions en zones rouges pendant les JO. »
Mais il faudra composer avec une contrainte : les dimensions des palettes devront être de 80 x 120 cm pour être acheminées par vélo-cargo. « Nous avons donc sensibilisé nos clients afin qu’ils modifient leur mode de conditionnement, mais tous ne pourront pas le faire. Les palettes 100 x 120 et au-delà devront donc être traitées en camion. » C’est dire si la flexibilité et la réactivité, qui sont le lot quotidien des transporteurs et logisticiens, seront mises à l’épreuve lors de ces prochains JO.