Quelle place a tenu le transport routier dans la conférence Smart Rivers ? Plutôt réduite au regard de sa part modale de 88 % en 2017 en France, contre 1,9 % pour le fluvial et 9,6 % le ferroviaire(1). Au regard, également, de la nécessaire combinaison de la route, du fluvial et du fer dans les schémas de transports innovants, tels que les envisage la stratégie européenne pour une neutralité climatique en 2050. Ou tels qu’ils s’expérimentent, par exemple, dans l’acheminement par la route et l’eau, des marchandises de Franprix à Paris.
L’approche intégrée gagne du terrain. Élisabeth Ayrault, présidente de la Compagnie nationale du Rhône (CNR), affirme ainsi que « le fluvial pollue quatre fois moins que la route », mais ajoute qu’il faut « adopter une posture intelligente et conciliatrice en matière de politique des transports. En France, la politique actuelle centrée sur la route doit être remplacée par une approche globale où chaque filière économique choisirait l’option de transport la plus compétitive et durable en fonction de ses spécificités. »
Cette vision à 360° correspond à celle de Medlink Ports. Née en 2008 à l’initiative du port de Marseille Fos, de Voies navigables de France (VNF) et des ports intérieurs du bassin Rhône-Saône, cette association affiche aujourd’hui une grande diversité. « Au début, Medlink visait à développer la stratégie de marque des ports, explique Fabienne Margail, sa secrétaire générale. Puis nous avons recruté un conseiller logistique, créé une agence de développement pour aider des clients à adopter des solutions de transport globales, et nous labellisons des professionnels de tous les modes. Depuis 2018, nous avons vraiment une vision globale de l’axe. » Parmi les partenaires et les fournisseurs accrédités se retrouvent Geodis ou la SNCF, huit ports marins ou fluviaux, mais aussi Sotradel, XPO Logistics et Allainé.
Cette intégration des différents modes répond à une logique continentale de corridors fluviaux (il y en a neuf en Europe) et à un besoin d’optimiser les moyens mis à disposition de la chaîne de transports. Ainsi, la zone du corridor Rhône-Saône représente 30 % du PIB français, une aire importante pour l’économie française, avec beaucoup de marchandises agricoles, des matériaux pour le BTP ou des produits industriels. De Marseille à Dijon, elle n’est certes pas reliée par les eaux au reste de l’Europe au Nord. « Cette voie fluviale est bien équipée, notamment en ports, tempère Charles-Elie Allier, chercheur en logistique au Cerema. Mais elle reste sous-utilisée, à 6 millions de tonnes transportées, pour une capacité de 20 millions. Pour améliorer la massification et convaincre les chargeurs, il faut améliorer les services logistiques, dans les ports fluviaux, comme la connexion à des systèmes d’information, le stockage ou la réparation de conteneurs. » En étant présents dans les ports, les transporteurs ne pourraient-ils pas éviter une rupture de charge et assurer des services complémentaires à valeur ajoutée pour les chargeurs ?
« Cette approche en corridor, avec notamment un souci de proposer de bons aménagements logistiques, a fait la réussite du Rhin(2) », conforte Kai Kempmann, du conseil de la commission centrale pour la navigation du Rhin (ZKR), qui rappelle que cette gestion coordonnée avait été engagée par la convention de Mannheim dès 1868. La vision globale d’axe apparaît aussi essentielle pour le nouveau canal de grand gabarit Seine-L’Escaut (Seine-Scheidt) qui doit relier Le Havre à la Belgique et aux Pays-Bas, comme le note Nicolas Bour, directeur des liaisons européennes et de l’innovation chez Voies navigables de France : « Plus que des infrastructures, il faut développer un réseau de ports équipés, multimodaux, en associant tous les intervenants. Et en raisonnant sur le long terme. »
« J’opère dans le transport fluvial, sur des courtes distances jusqu’à 60 km, avec des bateaux d’une surface de chargement de 210 et 270 m2. Nous souhaitons apporter une solution dans une chaîne logistique où le transporteur routier est indispensable. Tout le monde est conscient qu’on va avoir de plus en plus de mal à entrer en ville avec des 26-tonnes. Avec le fluvial, nous allons facilement jusque vers le centre, tandis que les transporteurs routiers, eux, sont experts de la livraison du dernier kilomètre. Je suis aussi un artisan. Je ne vends pas du virtuel, sur des plateformes d’échanges. Nous gagnons à travailler en partenariat. Nous pouvons même embarquer des petits camions ou des véhicules utilitaires électriques sur un bateau, qui se rechargent à bord, avant d’effectuer leur livraison en ville à l’arrivée. »
(1) Chiffres clés du transport – Édition 2019 – Commissariat général au développement durable
(2) Première voie navigable d’Europe, il permet le transport de 320 millions de tonnes de marchandises par an.