La reprise en main par les constructeurs

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Le tracteur étant de plus en plus traité comme un « produit jetable », il ne consomme pas de pièces au cours de sa première vie qui s’arrête typiquement à 36 mois. Or les réseaux des constructeurs, bien qu’ils manquent de mécaniciens, doivent générer du chiffre d’affaires « pièces et main-d’œuvre ». Pour cela, il est nécessaire de maintenir le parc roulant en France tout en l’entretenant dans lesdits réseaux. Le développement des garanties et des contrats d’entretien appliqués aux véhicules d’occasion rassurent leurs clients et limitent la fuite des activités d’entretien vers les indépendants.

Aujourd’hui, l’acheteur d’un camion d’occasion le cherche lui-même. De même l’entreprise qui exploite un véhicule et souhaite s’en séparer peut le vendre directement. C’est ce que permettent les multiples sites d’annonces comme agorastore.fr, europe-camions.com, mascus.fr, net-truck.com ou le petit nouveau, truckscorner.fr. Il y a quinze ou vingt ans, avant le développement des annonces sur le Web, le client appelait ses interlocuteurs locaux afin qu’ils lui fournissent le camion recherché. Les commerçants se chargeaient de la recherche et l’activité de négoce était locale. Avec Internet, les ventes ont lieu à l’échelle nationale, voire internationale. Internet a court-circuité les négociants. Face à cette concurrence, il est important pour un négociant d’avoir le matériel qu’il vend chez lui. C’est ce qui fait la différence avec les négociants dits « photographes » qui ne possèdent que la photo du matériel qu’ils souhaitent revendre. Les négociants sont ainsi pris en étau entre les services en ligne et la volonté des constructeurs. « Nous essayons de nous réapproprier le marché de l’occasion qui a été longtemps laissé à des négociants », rappelle Frédéric Brialy, directeur des ventes VO de DAF Trucks France. Comme leurs concurrents des autres marques, les concessionnaires DAF peuvent consulter le stock de leur réseau à l’échelle européenne. La clientèle a pour sa part accès au Used Trucks Locator. Les autres constructeurs disposent de services comparables. Selon Sébastien Soulié, directeur VO France de Renault Trucks, « le contexte est plutôt de qualité ». Les constructeurs professionnalisent et standardisent leurs activités véhicules d’occasion. Pour un véhicule, la bascule vers l’occasion a lieu, soit à la fin de son financement, soit à la fin de sa garantie, éventuellement complétée d’une extension. Le client d’un véhicule neuf souhaite disposer d’une garantie qui lui assure une visibilité sur ses coûts de maintenance. Les durées de financement et de détention des tracteurs étant plus courtes que celles des porteurs, les tracteurs revendus en France sont très majoritairement conformes à la norme Euro VI. En revanche, les porteurs d’occasion sont pour la plupart des Euro V. Les porteurs Euro VI sont actuellement encore rares en occasion, mais cette situation devrait évoluer au cours des deux années à venir. Même s’il n’est pas directement contraint par les limitations d’accès fondées sur les normes Euro (vignette Crit’Air), l’acheteur d’un véhicule d’occasion pense à sa revente et favorise donc les véhicules Euro V et Euro VI. Les normes antérieures ont du mal à trouver leurs clients en France. « En France, les rares demandes de tracteurs Euro V ne s’expliquent que par la recherche d’un petit prix », indique Frédéric Brialy ; les chargeurs ont tendance à imposer Euro VI.

Une offre en tracteurs surabondante et insuffisamment différenciée

Les tracteurs représentent 56 à 57 % des ventes de camions neufs et leurs constructeurs sont contraints de les vendre deux ou trois fois. En effet, les véhicules neufs sont fournis aux transporteurs dans le cadre de locations opérationnelles ou vendus avec un engagement de reprise (buy back). Le tracteur revient alors dans le réseau de son constructeur et doit être revendu, prioritairement en France pour y consommer des pièces détachées et des heures d’atelier. Or cette vente en VO est maintenant fréquemment assortie d’un buy back. Grâce à cela, le tracteur revient à nouveau dans son réseau d’origine, qui devra le vendre une troisième fois. Son âge et son kilométrage dépasseront alors les seuils d’acceptabilité du marché français et il sera donc exporté. « Il y a une barrière psychologique au-delà de 400 000 km », rappelle Sébastien Soulié. Les Espagnols ont la réputation de rouler jusqu’à 180 000 km/an – 50 % de plus que les Français – et d’accepter des tracteurs avec 600 000 km au compteur. Ces chiffres sont en cours de révision à la baisse.

D’autre part, les tracteurs sont renouvelés fréquemment car les entreprises veulent profiter des dernières améliorations. Elles recherchent la réduction de la consommation et l’attractivité du véhicule auprès des chauffeurs. C’est pourquoi des tracteurs âgés de trois à cinq ans sont nombreux sur le marché. Lors de son reconditionnement avant revente, un tracteur peut profiter de la mise à jour des logiciels de sa chaîne cinématique. Un Renault T de 2016 peut recevoir la configuration Euro VI Step D et ainsi, réduire sa consommation de 4 %. Malgré cette possibilité, les tracteurs d’occasion sont à la fois trop nombreux et trop uniformes en raison des reprises auprès des clients grands comptes. « Le tracteur est trop concurrentiel et le chauffeur a de plus en plus le pouvoir de choisir son matériel », constate Miguel Gonzalez, responsable VO Iveco France. Frédéric Brialy ajoute : « Acheter un tracteur en crédit-bail avec une faible VR pour espérer une forte plus-value à la revente est aujourd’hui un pari dangereux pour les transporteurs, indépendamment de la marque du véhicule. » Un tracteur d’occasion âgé de trois ans et ayant parcouru 360 000 km sera vendu 40 % moins cher qu’un tracteur neuf ayant une puissance et une configuration équivalentes. Cette différence de prix est constatée dans les réseaux des constructeurs pour des véhicules révisés et garantis.

Des porteurs très demandés, mais proposés en nombre insuffisant

En 2022, les véhicules porteurs de la vignette Crit’Air 3 (diesel Euro IV) ne pourront plus entrer dans Paris. Comme la capitale, d’autres grandes agglomérations restreignent leur accès en se fondant sur la vignette Crit’Air. Cela incite les acheteurs de porteurs d’occasion à privilégier les porteurs Euro V, les Euro VI étant encore rares. Les métiers de la construction sont parmi les principaux utilisateurs de porteurs, or les chantiers sont fréquemment urbains. De même, la distribution est une activité majoritairement urbaine. La contrainte de la norme Euro est donc forte sur le marché des porteurs. « Les porteurs sont conservés longtemps et leurs propriétaires sont en mesure de les vendre facilement eux-mêmes. Nous sommes donc très peu sollicités pour des reprises de porteurs », explique Jean-Marc Diss, président de Mercedes-Benz Trucks France. Les porteurs sont donc rares, voire totalement absents des parcs VO des constructeurs. On en trouve toutefois quelques-uns dans les réseaux. Le déséquilibre de l’offre entre porteurs et tracteurs est cependant criant. Pour mettre l’offre VO en conformité avec la demande, Renault Trucks a industrialisé la transformation de porteurs en tracteurs. Les autres constructeurs considèrent actuellement que cette démarche est trop onéreuse. Enfin, certains porteurs passent toute leur vie chez leur premier propriétaire et n’arrivent donc jamais sur le marché de l’occasion. C’est le cas des véhicules de voirie ou des hydrocureuses.

Des constructeurs piégés par le buy back

« Il y a beaucoup de tracteurs sur le marché à cause des buy back. Nous allons vers une maîtrise totale des buy back, notamment en les refusant quand le quota est atteint car le buy back engage le constructeur plusieurs années à l’avance alors qu’il ne connaît pas les conditions de recommercialisation du véhicule repris », déclare Kamal Iznasni, chargé des VO chez Scania France. Certaines durées de détention sont incompatibles avec une revente en France. Ainsi, un buy back après 60 mois correspond à un véhicule qui aura parcouru environ 600 000 km depuis sa mise en circulation. Invendable en France, il sera forcément exporté. Selon Miguel Gonzalez, « avec le VN, le buy back le moins toxique est sur 48 mois ». Face à cette opinion, on est tenté de nuancer en ajoutant qu’il ne faut pas que l’utilisateur soit gros rouleur car il dépasserait dans ce cas le seuil des 400 000 km, ce qui est rédhibitoire pour une revente en France. Les années 2018 et 2019 ont vu de très importantes ventes de tracteurs. Volvo les financent souvent sur 24 ou 36 mois et verra donc revenir en 2020 les FH mis à la route deux ans plus tôt. Jean-Philippe Wilmet, directeur VO de Volvo Trucks France, assure que des mesures ont été prises pour éviter trop de buy back.

Iveco est passé par une période de saturation de ses parcs VO, qui a entraîné une mesure draconienne consistant à arrêter les buy back début 2018, et donc à cesser de vendre aux grands comptes avec d’importantes conséquences sur les parts de marché. Miguel Gonzalez nuance : « Le buy back n’a pas été totalement bloqué. Il a été limité à des véhicules faciles à revendre en VO. Le buy back revient chez Iveco avec la sortie du S-Way et sera contrôlé par le service VO. Nous allons essayer de n’être monotype ni en durée ni en puissance. Auparavant, nous n’avions que des Stralis âgés de 36 mois. Nous allons agir sur les buy back pour composer un parc VO avec des véhicules de 24, 36 et 48 mois afin de diversifier l’offre. » En effet, le même camion avec une année de différence, ce sont deux produits différents sur le marché de l’occasion. Il y aura par ailleurs des incitations à diversifier les puissances. Le buy back s’appliquant également aux VO, il doit intégrer une VR adaptée à l’exportation vers un pays où l’âge du véhicule n’est pas un problème, mais où de petits prix sont recherchés. Iveco exporte ainsi ses VO âgés de 60 mois ou davantage vers le Niger, le Nigeria ou le Soudan, mais aussi dans une moindre mesure vers l’Égypte et la Libye. L’engagement de reprise devient une double punition lorsque les frais de remise en état sont trop importants. S’ils sont prohibitifs, le véhicule est vendu en l’état à l’exportation. L’un des problèmes des constructeurs est le respect des conditions de retour dont le but est de faire assumer la remise en état au client qui restitue le camion. Pour le constructeur, les frais peuvent être très réduits lorsque les utilisateurs sont soigneux et que le véhicule a bénéficié d’un contrat d’entretien complet. À propos des frais de remise en état, Renault Trucks annonce 2 500 à 3 500 euros pour un tracteur. Volvo parle de 3 000 à 4 000 euros incluant une provision pour la garantie. Selon les marques, la remise en état est effectuée par le réseau, dans un atelier spécialisé du constructeur ou bien par un prestataire extérieur. Les pièces d’usure usées à plus de 50 % sont systématiquement remplacées.

Des services calqués sur ceux du neuf

« Il faut rassurer les clients VO en permettant la maîtrise de leurs coûts grâce à des financements, des garanties et des contrats d’entretien », souligne Sébastien Soulié. « Le but est d’apporter au VO les mêmes services que ceux dont profite le VN », ajoute Jean-Marc Diss. « Nous soutenons nos ventes VO grâce aux contrats d’entretien ; 80 % de nos ventes sont faites avec garantie complète et entretien. Plus le kilométrage est faible au départ, moins la garantie nous coûtera », explique Miguel Gonzalez. Pour sa part, Volvo propose des garanties 12 mois ou 24 mois (120 000 km par an) pour ses VO.

Un bon moyen pour désengorger les stocks de tracteurs d’occasion est le lancement d’une opération commerciale les proposant en location opérationnelle (790 euros pour un DAF XF) ou en location longue durée (850 euros chez Scania). Le crédit-bail s’applique également aux VO. « Avec Paccar Financial, nous pouvons proposer un véhicule d’occasion DAF en location tout en l’associant à une garantie d’un an, voire à une garantie totale, à une assurance tous risques et même à un contrat XtraLife jusqu’à la sixième année », commente Frédéric Brialy.

La standardisation des conditions de sélection et de remise à niveau des véhicules s’illustre chez les constructeurs par des labels VO. On trouve ainsi les labels TopUsed chez MAN, First Choice chez DAF, Sélection chez Renault Trucks, Selected chez Volvo, Approved chez Scania et OK Trucks chez Iveco. Curieusement, Mercedes n’a créé son label Selected Trucks que très tardivement. Il devrait monter en puissance au cours de l’année 2020 afin d’offrir une solution packagée associée aux VO. Cela comprend une approche Internet, une démarche de diagnostic du véhicule, un CRM standardisé, une gestion du stock VO, mais aussi la création des bons de commande VO, le financement, la garantie et les contrats de service. Mercedes s’apprête à introduire ses services Fleetboard (télématique) et Uptime (maintenance prédictive) sur ses VO. Aux labels s’ajoutent les enseignes signalant la disponibilité de VO sur place. Il s’agit par exemple de TruckStore pour Mercedes ou de TruckPlus pour Renault. À travers TruckPlus, le réseau Renault Trucks déclare dédier 100 personnes à la vente de ses véhicules d’occasion et offrir un service de proximité. « On n’est jamais à plus de 50 km d’un point de vente TruckPlus », indique le commercial. Quant au site Web TruckPlus, il réunit le premier stock de VO en France. D’autres sites présentent davantage de véhicules, mais ils sont issus de différents vendeurs indépendants. Confiants en la fiabilité de leurs véhicules, les constructeurs repoussent les limites de leurs garanties. Ainsi, la garantie First choice de DAF comprend 200 points de contrôle (Dekra), couvre la chaîne cinématique pendant douze mois et apporte une couverture européenne. Depuis juin 2019, cette garantie chaîne cinématique passe de 500 000 à 600 000 km pour les véhicules de cinq ans. S’ils ont moins de quatre ans et moins de 500 000 km en début de contrat, DAF propose une garantie totale, semblable au neuf à l’exception du dépannage remorquage qui n’est pas inclus. Le but est de garder les véhicules kilométrés en France au lieu de devoir les exporter.

Les activités VO des réseaux sont très inégales. Chez Mercedes, l’activité VO du réseau au niveau local est faible. Miguel Gonzalez constate « Il est difficile d’impliquer le réseau dans les ventes VO. Dans toutes nos filiales, nous avons des vendeurs PL VO car le client PL nécessite qu’on aille à sa rencontre. Les concessionnaires privés commencent à suivre cet exemple. Il faut faire en sorte que les VO soient en conditions « “prêts à partir” depuis les concessions. Tout simplement parce qu’un beau véhicule met en confiance ». De même, DAF incite ses concessionnaires à augmenter leur activité VO, à la fois pour écouler les stocks VO et pour proposer des valeurs résiduelles plus élevées à ses clients. Dans ce but, DAF France et son réseau recherchent des vendeurs VO, une espèce difficile à trouver. Chez Volvo Trucks, le réseau gère ses propres reprises et 12 commerciaux déployés sur le terrain se consacrent exclusivement au VO. Ils prospectent les clients avec la même démarche qu’un vendeur VN et recommercialisent sur leurs secteurs.

« Avec le manque de conducteurs et la pression sociale chez les transporteurs, la “clim de nuit” est devenue incontournable sur les tracteurs neufs. Les chauffeurs français dorment peu dans leurs cabines, mais ils utilisent cette climatisation autonome pendant leur coupure. Un véhicule doit aujourd’hui disposer de plus d’options qu’auparavant pour être correctement recommercialisé », explique Jean-Marc Diss. Sur un tracteur, une grande cabine, un kit aérodynamique, une puissance d’au moins 450 ch et un réfrigérateur font partie des standards du marché. En France, le ralentisseur hydraulique entraîne une surcote et accélère la revente. Il est tout simplement indispensable à une revente en Italie ou en Espagne. En Europe de l’Est, les doubles réservoirs sont appréciés. L’équipement ADR et le groupe hydraulique ont leurs clientèles en France. Certaines demandes sont saisonnières. Les tracteurs « approche chantier » avec groupe hydraulique sont demandés avant la récolte des betteraves. Il arrive que certains équipements soient montés en retrofit pour faciliter la revente. C’est un choix onéreux et la tendance consiste à prédisposer les véhicules neufs pour leur seconde vie. Une prédisposition pour une prise de mouvement est souhaitable.

La création d’une entreprise de transport, le renouvellement du parc d’une TPE du secteur, la nécessité de répondre sans délai à un surcroît temporaire d’activité, mais aussi les domaines d’utilisation ou les profils de mission n’entraînant que de faibles distances parcourues comptent parmi les motifs d’achat traditionnels d’un VO. Certains clients qui roulent peu n’ont pas besoin d’un véhicule neuf. C’est par exemple le cas des monteurs de charpente principalement intéressés par la grue auxiliaire, ou celui des entrepreneurs de BTP qui n’ont besoin d’un camion que pour déplacer leurs engins. Le VO est intéressant si l’on roule relativement peu, mais de nombreux VO sont utilisés comme des camions neufs et parcourent 120 000 km par an. Leur utilisateur choisit alors de profiter du prix d’achat réduit du VO et non des dernières baisses de consommation qui sont de l’ordre de 7 à 8 % au cours des trois dernières années. Selon Miguel Gonzalez, « on a créé de nouveaux acheteurs VO en apportant au VO les services du VN ». Jean-Philippe Wilmet ajoute : « On vend des véhicules de moins en moins kilométrés, assimilables à des neufs. Le VO se vend de plus en plus souvent avec les mêmes contrats de service que le VN, y compris les packs de suivi de consommation à travers Volvo Connect. Notre clientèle va du monopossesseur jusqu’aux flottes de 50 véhicules. Nos clients VO sont identiques à nos clients VN. Ils ont juste fait le choix du VO. » Éric Bonnard précise que « le rapport des clients au VO a beaucoup évolué ». L’attribution des marchés toujours plus tardive et les dates de démarrage toujours plus avancées incitent les transporteurs à se tourner vers le VO pour sa disponibilité. Cette dernière est également mise à profit lorsqu’il s’agit de remplacer un véhicule accidenté sans délai.

Entre négociants et constructeurs, les relations sont subtiles

Les négociants sont souvent les mieux informés à propos des pays qui s’ouvrent et se ferment à l’exportation des VO. Les constructeurs ont donc intérêt à entretenir le contact avec eux. Les forces des négociants sont leur réactivité et leurs fichiers de clients VO tandis que les constructeurs sont par nature plutôt concentrés sur la clientèle VN. Un négociant n’achète qu’en fonction du prix du marché alors que le réseau d’un constructeur peut être obligé de reprendre un véhicule au-delà de sa valeur pour conquérir un client. Pour une marque, reprendre le véhicule d’une autre marque oblige à vanter celle-ci auprès du client VO. Pour éviter cette situation, un tel VO est volontiers exporté. Pour Kamal Iznasni, « la vente à un négociant est la pire chose qu’un constructeur puisse faire ». Pourtant, tous les constructeurs vendent aux négociants, dans des proportions très variables.

« Il y a dix ans, les négociants vendaient les camions en l’état ou avec un minimum de travaux réalisés dessus. Aujourd’hui, les notions de parc roulant et la vente de services ont changé la démarche des constructeurs qui reprennent en main l’activité VO », raconte Sébastien Soulié. Les constructeurs développent leurs compétences pour exporter, y compris hors d’Europe, sans passer par les négociants. Volvo Trucks France n’écoule ainsi que 2 % de ses VO auprès des négociants, notamment quand il s’agit de véhicules trop kilométrés.

Souvent confrontés à des problèmes d’approvisionnement ou de débouchés commerciaux à l’exportation, les négociants ont vu leurs rangs s’éclaircir. BVI, Hénaux Bal ou Le Bris, pour n’en citer que quelques-uns, restent toutefois fidèles au poste. Gainville International exporte couramment hors d’Europe. Il y a aussi les très gros acteurs néerlandais comme BAS Trucks ou Klein Trucks capables de faire un chèque d’un million d’euros. À leur sujet, Miguel Gonzalez déclare : « Succomber aux prix d’achat très bas des gros faiseurs néerlandais, c’est déstabiliser le marché. Ils ne raisonnent qu’en termes de marge. » L’une des forces des plateformes VO néerlandaises est la possibilité qu’elles offrent à l’acheteur étranger de voir des milliers de véhicules dans un périmètre réduit. Les acheteurs du Moyen-Orient l’ont bien compris.

L’importation est gênée par l’homologation

En théorie, le certificat de conformité européen (COC) doit permettre d’immatriculer des véhicules européens en France, mais ce n’est pas toujours le cas et cela dissuade les concessionnaires de se lancer dans l’importation. Ce problème concerne principalement les porteurs. Spécialistes des échanges internationaux, les négociants importent quand une opportunité se présente. Quant aux constructeurs, leurs positons ne sont pas uniformes à propos de l’importation. Quand ils la pratiquent, c’est pour pallier un décalage de l’offre VO française avec la demande du marché national. Elle peut concerner des tracteurs malgré leur abondance sur les parcs VO. Iveco n’importe pas de VO alors qu’il y a des Eurocargo disponibles en Allemagne tandis que Volvo Trucks France importe 250 camions par an (80 % de tracteurs, 20 % de porteurs) depuis l’Allemagne, l’Espagne, les Pays-Bas et la Slovaquie. Schématiquement, l’importation vers la France concerne des tracteurs faiblement kilométrés, alors que l’exportation sert à écouler des tracteurs fortement kilométrés. Auparavant, l’Europe de l’Ouest, notamment l’Allemagne, le Benelux et les Pays-Bas, était exportatrice de VO, tandis que l’Europe de l’Est était importatrice. « Traditionnellement, la France a toujours importé des VO. Elle le fait depuis l’Allemagne ou les Pays-Bas, qui sont des marchés matures. La nouveauté, c’est l’exportation de camions polonais vers la France pour des configurations de véhicules demandées en France, mais indisponibles », explique Kamal Iznasni. Ainsi, DAF a été conduit à importer des tracteurs low deck faiblement kilométrés tandis que Mercedes importe des tracteurs d’approche chantier ou ADR ou équipés de la « clim de nuit » afin de répondre à la demande. « On est de plus en plus concentrés sur les ventes de VO en France pour maintenir et développer le parc roulant, mais aussi parce que les ventes à l’export sont compliquées », résume Frédéric Brialy. En raison de leurs âges, kilométrages, états ou normes Euro, les VO français ne trouvent pas forcément d’acquéreurs en France. Ils sont alors, soit déconstruits pour alimenter le marché de la pièce d’occasion, soit exportés. Les débouchés à l’exportation évoluent selon les situations économiques et géopolitiques. L’Espagne reste un important marché VO où les exportations françaises sont appréciées. Ce pays a toutefois cessé d’importer des véhicules ayant plus de 800 000 km. L’Europe de l’Est devient progressivement autosuffisante en VO et réduit ses volumes d’achat de VO. Cette région reste par ailleurs un débouché pour les tracteurs Euro V réputés tolérants au gazole à forte teneur en soufre. Volvo Trucks a récemment réalisé des ventes supérieures à l’habitude vers les pays du « Grand Est » comme l’Azerbaïdjan et le Kazakhstan. « L’exportation hors Europe n’est pas régulière », rappelle Sébastien Soulié. Ainsi, la situation de la Libye après 2008 a entraîné des exportations massives de tracteurs en 2009-2010. Le négociant Select Poids Lourds 49 y a ainsi exporté une centaine de Renault Premium 420 DCI ex-Norbert Dentressangle en deux ans. Alors qu’il y a une demande en Iran, il est actuellement impossible d’y exporter. Parallèlement, les pays du Golfe persique réduisent leurs importations ; elles subissent ainsi la situation géopolitique de la région. Désormais, la Russie limite à 3 ans l’âge des VO importés depuis l’UE. L’Afrique du Nord (Algérie, Maroc, Tunisie) fixe l’âge limite des VO importés à 5 ans tandis que les pays d’Afrique de l’Ouest n’importent plus de VO âgés de plus de 10 ans. Ces derniers peuvent toutefois être vendus en Afrique centrale ou bien être exportés en pièces détachées. Afin de limiter la nécessité d’exporter, il est nécessaire d’augmenter le kilométrage au-delà duquel les clients français n’achètent plus. Les exportations doivent par ailleurs viser des territoires de plus en plus éloignés, en Amérique du Sud et en Asie.

Le VO doit innover

En 2018, Renault Trucks a répondu à un besoin ponctuel du loueur Clovis en lui fournissant des tracteurs de son programme Sélection. La réactivité que demande le marché pourrait être satisfaite par la création de pools de véhicules qui seraient, selon la demande, vendus ou loués. Pour 2020, Jean-Philippe Wilmet prévoit une année semblable à 2019 avec les mêmes volumes et la même proportion d’exportation. Afin d’optimiser la préparation de ses VO, Renault Trucks inaugurera début 2020 un nouveau Used Trucks Center sur 7 000 m2 couverts. Tous les savoir-faire liés à la préparation VO y seront réunis.

Chez Iveco, on s’apprête à voir revenir les tracteurs gaz vendus avec un buy back après 60 mois. L’évolution très rapide des chaînes cinématiques gaz obligera à exporter les Stralis 330 ch GNC qui seront restitués. Avec leurs boîtes manuelles, ils ne correspondront plus au marché français. « 2020 ne sera pas une année de fortes restitutions gaz. 2021 verra davantage de retours de véhicules gaz et des opérations commerciales seront mises en place », explique Miguel Gonzalez. Globalement, tous les acteurs du marché travaillent à l’établissement d’une confiance justifiée à propos des véhicules d’occasion. La qualité de ces derniers tend à perdre son caractère aléatoire.

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