Les chiffres de l’assurance accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP), la branche de la sécurité sociale dédiée aux accidents du travail, restent stables mais ne sont pas très bons. La France se distingue toujours par une sur-sinistralité dans les secteurs du transport. Les salariés y sont 2 à 3 fois plus souvent accidentés que dans les autres secteurs d’activités. Et dans un mémento récent, spécifiquement dédié au secteur du du Transport, l’organisme public d’assurance rappelle que 9 accidents sur 10 ont lieu alors même que le véhicule est à l’arrêt. Le document pointe les causes : la manutention, manuelle (32 % des accidents) et mécanique (10 %), les chutes de hauteur (22 %) et de plain-pied (21 %) ainsi que les accidents de la route (8 %). Moins fréquents, ces derniers sont en revanche souvent les plus graves. Selon les données de sécurité routière issues des PV des forces de l’ordre (Bulletin d’analyse d’accidents corporels de la circulation — fiches BAAC), la part des poids lourds impliqués dans un accident de la route est stable depuis plusieurs années et a baissé en dix ans. En 2015, bien qu’ils soient responsables de 5 % des blessés et de 14 % des tués, les poids lourds n’ont représenté que 3 % du parc total de véhicules accidentés (contre 3,8 % en 2005). Ce qui illustre leur dangerosité.
Ces mauvais résultats ont un coût financier pour les transporteurs qui doivent s’acquitter d’une cotisation deux fois plus importante (5,7 %) que la moyenne nationale (2,3 %) auprès de l’assurance maladie. « Années après années, la cotisation demandée par la Caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés (Cnam-TS) est recalculée en fonction des sinistres survenus. Plus il y a d’accidents, plus l’assurance coûte chère », explique Thierry Fassenot, ingénieur-conseil à la Cnam-TS. Il assure que les transporteurs pourraient faire baisser la note en boostant leur prévention des risques afin de réduire leurs accidents. « Mais la prévention est encore trop rare dans les entreprises qui, souvent, ne peaufinent leurs protocoles de sécurité qu’après les drames. »
Fort heureusement, la situation évolue. Progressivement, le sujet de la sécurité et de la santé au travail (SST) se fraie un chemin dans la logique métier des décideurs du transport. Sans doute parce que les aides financières proposées aux petites et moyennes entreprises se multiplient. Citons à ce propos la convention nationale d’objectifs signée le 5 octobre 2016. Elle offre à toutes les entreprises de transport de moins de 200 salariés la possibilité d’obtenir un crédit auprès de leur Caisse régionale d’assurance maladie (Cram) afin de prévenir certains risques particuliers — notamment les troubles musculo-squelettiques (TMS). À savoir, un ensemble de maladies qui s’attaquent aux articulations et qui sont liées à l’usure accélérée découlant de l’activité physique. Généralement localisées au niveau de la colonne vertébrale, notamment dans la région lombaire, et au niveau du membre supérieur (poignet, coude, épaule), les TMS sont les principales maladies professionnelles déclarées. L’assurance AT-MP, qui s’appuie sur les déclarations des employeurs en cas d’accident du travail, considère que 50 % d’entre elles laissent des séquelles permanentes sur le salarié.
Dans ce cadre, les entités de moins de 50 salariés peuvent notamment bénéficier d’une aide financière simplifiée (AFS) pour l’acquisition d’un véhicule poids lourd équipé de toutes les options de sécurité recommandées. Ainsi que d’une autre AFS, en deux parties, visant, d’une part, à évaluer les risques dans l’entreprise et, de l’autre, à mettre en œuvre un plan d’action. Il s’agit du programme TMS Pros, lancé en 2014 et doté de 10 M€. Les aides, plafonnées à 25 000 €, ont déjà bénéficié à quelque 7 000 entreprises. Les retardataires ont encore jusqu’au 15 juillet 2017 pour en profiter, en se rendant dans leur Caisse régionale (Carsat), Cramif pour l’Île-de-France ou Caisses générales de sécurité sociale (CGSS) pour les DOM.
Une autre raison pourrait justifier l’attirance des transporteurs pour la SST : la tendance à l’embauche décelée en 2016 dans le secteur des transports qui, quoique toujours modérée, semble vouloir se confirmer en 2017, selon une étude récente de l’Association pour l’emploi des cadres (Apec). Résultat de cette conjoncture, les transporteurs ont besoin d’apparaître attractifs. « Une bonne stratégie SST est un levier pour l’entreprise. Cela donne confiance en montrant qu’on ne s’y blesse pas, qu’on y vieillit bien », estime Thierry Fassenot.
De nombreux transporteurs envisageraient donc de se lancer dans l’évaluation de leurs risques professionnels (EvRP) et l’amélioration des conditions de travail de leurs salariés. En pratique, l’EvRP constitue l’étape initiale de toute démarche de prévention en santé et sécurité au travail. Pour aider à sa réalisation, l’institut national de recherche et de sécurité (INRS) propose aux entreprises des dispositifs de formation, des outils d’évaluation ainsi que des guides de bonnes pratiques. Tous ces éléments sont disponibles sur le site Internet de l’institut. De leur côté, les transporteurs se tourneront en particulier vers l’OiRA (Outil interactif d’évaluation des risques en ligne) « transport routier », à savoir un outil d’évaluation et de mesure du risque développé avec les organisations professionnelles du transport routier de marchandises. Livraison hors quai, ouvertures accidentelles des portes et des ridelles de la remorque, chute de hauteur, montée et descente de cabine, du plateau, de la zone d’attelage… au cours de l’évaluation, il faut identifier et classer tous les risques et les pièges de la profession. C’est seulement à l’issue de cette évaluation que l’entreprise pourra, en concertation avec ses salariés, se lancer dans l’élaboration d’un plan d’action.
Rapidement, des risques liés à l’activité physique se dégagent. Forcément. En réaction, l’une des premières mesures qui peut être introduite est l’apprentissage par les salariés, poste de travail après poste de travail, des gestes et postures adéquats. Certains organismes de formation, à l’instar d’Astral ou de Promotrans, distribuent des produits de sensibilisation du personnel à cette problématique. « Être manutentionnaire, si le travail est réalisé dans les règles de l’art, ne provoque pas nécessairement des problèmes de santé. Cela dépend notamment des conditions de réalisation du travail, du type d’objet transporté et de la manière dont il est porté, résume Éric Polian, ergonome chez DS& O. Déplacer un tuyau ou un carton de la meilleure manière possible ne s’invente pas. C’est en se formant qu’un manutentionnaire pourra acquérir les bons gestes, en fonction des objets à transporter, en particulier de leurs formes et de leur contenu. Cette connaissance est cruciale pour déplacer les charges lourdes sans se blesser. » Toutefois, pour que la formation soit pleinement efficace, il faut s’assurer que le formateur fasse l’effort de venir observer le salarié au cours de son quotidien professionnel.
L’enjeu, en particulier pour les manutentionnaires, est de retarder ou d’empêcher l’apparition d’une TMS de type lombalgie ou mal de dos chronique. Pour mettre toutes les chances de leur côté, les salariés peuvent commencer par bien s’échauffer avant d’effectuer chacune de leurs tâches. Pour aller plus loin, certains experts préconisent d’organiser pour tous les salariés une séance de gymnastique matinale, sur la base du volontariat, en particulier pendant l’hiver afin de ne pas commencer à travailler avec des muscles froids. Il convient également, pour les conducteurs, d’arrêter de sauter de leurs tracteurs. Ce geste, quoique courant, est éminemment dangereux. Surtout lorsque le conducteur y est resté assis longtemps avec la climatisation allumée à proximité car, une fois les articulations fraîches, le risque de se briser une cheville ou un genou augmente. Pour la même raison, les basses températures, que l’on trouve par exemple dans une remorque frigorifique, aggravent également les lésions TMS.
Bien que très utiles, les gestes et les postures ne sont pourtant pas magiques. À ce titre, ils ne font pas disparaître les risques à 100 %. Du coup, pour des applications plus exigeantes, il faut mécaniser. C’est-à-dire qu’il faut s’équiper de machines capables de prendre en charge tout ou partie d’un processus humain. Au-delà des fantasmes, la mécanisation se traduit, surtout côté camion, par des dispositifs lourds. Tels que des haillons élévateurs qui facilitent le chargement et déchargement. Des suspensions pneumatiques capables de s’adapter à la hauteur du quai, tout en se rééquilibrant en permanence afin de s’assurer que le plateau reste parallèle au sol. Ou encore des béquilles motorisées qui stabilisent l’avant de la remorque quand on retire le tracteur. Certains des dispositifs évoqués sont d’ailleurs préconisés par l’AT-MP, à l’instar du « bras suiveur » utilisé par les chauffeurs pendant la phase d’attelage/dételage. Il existe par ailleurs des dispositifs totalement automatisés. Certains transporteurs spécialisés disposent de remorques dotées de plateaux coulissants : l’entreprise prépare le plateau à quai puis tout chargement est poussé sur le véhicule de transport. Problème : cela demande un type de véhicule particulier dont il faut adapter la remorque. Résultat, tout le système risque de ne fonctionner que pour un seul client.
« Dans les camions résident également des éléments de confort, rappelle de son côté Pascal Vandalle, directeur délégué au pôle terrestre à l’Union TLF qui estime que le confort est une nécessité. J’estime que les accidents en dehors du camion peuvent souvent s’expliquer par un état de fatigue général. Dès lors, il ne faut pas lésiner sur la qualité des sièges, la présence de la climatisation et toutes options liées aux systèmes d’aides à la conduite telles que l’assistance au freinage et la détection des dépassements de ligne. »
Côté entrepôt, la mécanisation est plus riche et introduit un grand nombre de nouvelles technologies (voir encadrés). Les équipements traditionnels s’étendent, eux, du simple chariot autoguidé à des robots de palettisation identiques à ceux utilisés par le transporteur-logisticien Kuehne+ Nagel. Mais attention : « Tout changement dans l’organisation du travail peut potentiellement faire apparaître un nouveau risque, prévient Jean Theurel, chercheur au département de l’homme au travail au centre de l’INRS-Lorraine. Pour cette raison, il est préconisé de réaliser une évaluation avant le changement et une autre après le changement à chaque fois qu’un nouvel outil est introduit. »
Le changement est susceptible de générer une tension importante. Provoquant du stress, une affection qui peut se manifester sous plusieurs formes (eczéma, psoriasis, hypertensions artérielles, état dépressif, burn-out, etc.). Qu’il soit chronique, ou pas, le stress entre dans la classification des risques psychosociaux (RPS). En 2011, un comité d’experts réuni à la demande du ministère du Travail a jugé que les RPS recouvraient tous les risques pour la santé mentale, physique et sociale, engendrés par les conditions d’emploi ainsi que les facteurs organisationnels et relationnels susceptibles d’interagir avec le fonctionnement mental. Ce que suggère cette définition, c’est que la manière dont un salarié perçoit son travail a une incidence sur sa santé mentale, physique et sociale. Il faut également noter qu’il y a un lien direct et démontré par la science entre les RPS et les TMS. Le stress chronique a la particularité de modifier les valeurs hormonales. Ce qui compromet la cicatrisation des micro-lésions, liées à l’effort, des muscles et des tendons. En cas de souffrance au travail ou lorsque le salarié a le sentiment d’effectuer un travail qui n’a aucun sens, qui est moralement répréhensible ou qui oblige à produire de la mauvaise qualité, un simple stress peut dégénérer en troubles dépressifs et conduire par exemple au burn-out.
Or, la préservation de l’état mental de ses salariés est une obligation légale pour l’employeur, au titre de l’article L 4121-1 du code du travail. « Afin que tout se passe au mieux, il faut, partout ou c’est possible, organiser les conditions de travail autour du confort et de la sécurité. Tout doit être entrepris pour user le moins possible les agents de la chaîne transport et logistique, conseille Cédric Leborgne, ergonome chez H3DT. Les salariés ne doivent pas être forcés de changer leurs habitudes. C’est à l’employeur d’organiser le travail pour que les nouvelles bonnes habitudes soient prises naturellement. » La première piste, c’est la formation du salarié à sa tâche. En effet, souvent, la gestion du stress peut être résolue par une meilleure gestion de son travail. Par ailleurs, toutes les formations adaptées doivent avoir été réalisées. Si un employé doit manier un chariot élévateur, il convient de s’assurer qu’il est titulaire du Certificat d’aptitude à la conduite en sécurité (Caces) des chariots de manutention. La seconde piste c’est la discussion. « En cas de difficulté, il ne faut pas systématiquement prendre sur soi, parce qu’on finit par prendre des médicaments pour tenir », reprend l’ergonome Éric Polian. La troisième option, c’est le médecin du travail, lorsque l’affection ne disparaît pas.
En pratique, l’employeur est tenu de déclarer chaque accident du travail. Le salarié est ensuite pris en charge et soigné à l’hôpital jusqu’à ce que son état s’améliore. S’il ne peut pas se remettre totalement, par exemple en cas d’incapacité permanente, le salarié rencontre un médecin conseil. Celui-ci va procéder à un examen de santé et déterminer un « taux d’incapacité », qui conditionne la rente ou le capital alloué au salarié pour réparer le préjudice subi. En cas de décès, ce sont les ayants droit qui touchent les rentes. Pour l’employeur, il existe un risque de se retrouver devant le Tribunal des affaires sociales (TASS) pour « faute inexcusable », un régime apparu en 2002 et hérité de la problématique de l’amiante, si un accident grave survient dans des conditions de risque connues par l’employeur et pour lesquelles il n’a pas développé d’action de prévention.
G. P. / TCA-innov24
Olivier Minand gérant de l’entreprise déménagement Minand, basée à Amberieu-En-Bugey (01)
« Blessures, hernies, disque dorsal abîmé, colonne qui plie… C’est notre quotidien. Ce que la manutention met le plus à rude épreuve, ce sont les mains, les pieds et le dos. Sans surprise, les personnes blessées étaient celles qui n’avaient pas suivi le protocole de sécurité. Notre protection passe essentiellement par le port d’EPI en toutes circonstances. Des gants anticoupures, des chaussures de sécurité, des casques selon les situations. Ainsi que des ceintures dorsales, qui soutiennent le bas du dos jusqu’au niveau des vertèbres et maintiennent la posture droite. »
Richard Majcherczyk vice-president de l’institut technique d’accidentologie (ITA)
« Parmi les dispositifs qui peuvent sauver la vie d’un chauffeur, je citerais en priorité le système anti-blocage des roues, plus connu sous son abréviation allemande ABS. En particulier lorsqu’il est couplé à l’ESP (Electronic Stability Program), un équipement de sécurité active qui améliore le contrôle de trajectoire. Les deux équipements travaillent de concert afin de maintenir la stabilité du poids lourd dans toutes ses dimensions. C’est-à-dire sur ses axes de roulis, de tangage et de lacet. »