Difficile d’y échapper ! Les messages promotionnels liées au Black Friday et du Cyber Monday ont envahi nos boîtes mail ces dernières semaines de novembre. Pendant ces quatre jours de soldes, les sites marchands dont font partie Amazon, Cdiscount, Booking.com, Fnac et Veepee (ex-Vente-privée), les cinq leaders du marché, pourraient récolter 1,7 milliard d’euros d’achats selon la Fédération du e-commerce et de la vente à distance (Fevad). Ces ventes cumulées à celles de Noël pourraient représenter 20 % du chiffre d’affaires de l’année du e-commerce. Soit 20 milliards d’euros contre 18,3 milliards en 2018. La barre des 100 milliards d’euros dépensés pourrait être dépassée cette année grâce aux 40,5 millions de consonautes (consommateurs sur Internet), soit 1,7 million de plus qu’en 2018. À cette période, les deux tiers des consonautes ont effectué tout ou partie de leurs achats de fin d’année sur le Web. Cette pratique va se poursuivre, selon une enquête menée auprès de 4 012 internautes âgés de 15 ans et plus par l’institut de sondage Médiamétrie en partenariat avec la Fevad. L’étude, qui s’est déroulée entre les 22 et 31 octobre derniers révèle que près de huit internautes sur dix feront leurs courses et cadeaux de Noël sur la Toile. Les jeux et jouets occupent la première place (36 %) suivis par les produits culturels (34 %), les vêtements et chaussures (29 %), les cosmétiques (26 %) et les cartes cadeaux et bons d’achat (18 %). Enfin, le budget moyen alloué à ces dépenses devraient s’élever à 171 euros sur Internet. Concernant la fréquence d’achat, elle s’élèvera pour ce quatrième trimestre à 15 transactions par acheteur en moyenne contre 13,6 au quatrième trimestre de 2018. Ce qui va se traduire par une croissance du nombre de colis.
Bien sûr, les expressistes, messagers et autres acteurs du dernier kilomètre, ainsi que les transporteurs chargés de livrer les plateformes de distribution ont anticipé avec leurs clients ces semaines de surchauffe. Se pose néanmoins la question de la grève illimitée qui va jouer les trouble-fêtes. « Ce mouvement va avoir des répercussions sur les conditions de circulation car ceux qui travaillent voudront se déplacer en voiture », soulève Augustin Gueldry, consultant en logistique chez Colicoach, un cabinet de conseil en transport et logistique. Autre conséquence de cette grève, les consommateurs vont se concentrer sur leurs problèmes du quotidien et reporter à plus tard leurs achats de Noël. « Ce report va augmenter davantage la pression sur les transporteurs, qui devront peut-être composer aussi avec les phénomènes climatiques », prévient le consultant.
Nombre d’entre eux ont anticipé cette période de surchauffe en collaboration avec leurs donneurs d’ordres. Comme les prévisions d’activité changent d’une année sur l’autre en termes de volumétrie et d’intensité, il est indispensable d’affiner les prévisions des pics d’activité. « Chez les chargeurs, ce travail s’effectue avec des données froides, typiquement l’historique des ventes qu’ils enrichissent avec des données chaudes délivrées par des solutions en temps réel », rapporte Gilles Béchet, directeur Opérations et Supply Chain chez Bartle, cabinet de conseil qui accompagne les entreprises dans leurs démarches de transformation. Ces solutions informatiques donnent des tendances en se basant sur l’analyse des premiers jours de vente. Dans certains secteurs comme celui du luxe, ces données se complètent avec des signaux faibles comme le nombre de connexions aux sites Internet, les messages postés sur les réseaux sociaux, etc.
De leur côté, les transporteurs ont aussi intérêt à utiliser des outils intégrés à leur progiciel de gestion des transports (TMS) pour planifier leur activité sur la base des prévisions de vente ou de leur historique des ventes. Avec ces solutions, il est possible de planifier l’activité transport à différents horizons afin de réserver des capacités de transport. Pour affiner ces prévisions, les transporteurs ont d’ailleurs intérêt à travailler en collaboration avec leurs clients chargeurs pour partager leurs propres prévisions de besoins transport, établies grâce à leur processus et des outils de planification stratégique comme le plan industriel et commercial (PIC) pour les prévisions à long terme.
Une fois les prévisions réalisées, il faut aussi rechercher des gains de productivité pour optimiser les moyens alloués afin de faire face à cette période de surchauffe. Dans ce contexte, les logiciels d’optimisation de tournée peuvent constituer de vrais leviers, sachant que les schémas de transport pour livrer le dernier kilomètre sont de plus en plus complexes et supportent de nombreux aléas. « À présent, le cerveau de l’homme ne suffit plus pour envisager la multiplicité des scénarios pour organiser au mieux la livraison urbaine, il est conseillé de s’appuyer sur des outils dédiés aux tournées urbaines de manière à bien prendre en compte les réalités opérationnelles changeantes du terrain telles que la météo, les zones de travaux, les conditions de circulation évolutives, les horaires des destinataires, etc. », conseille Augustin Gueldry, qui recommande de laisser à l’humain la liberté et la capacité d’arbitrer certains choix mal pris en compte par l’outil.
Il ne suffit pas de disposer des bons outils informatiques pour faire face à la surchauffe. Une des données clés est de disposer d’un nombre de conducteurs suffisants dans un contexte de compétition entre transporteurs pour attirer les meilleurs candidats ou sous-traitants. « Pour fidéliser les conducteurs, il faut veiller à leurs conditions de rémunération, améliorer leurs conditions de travail en mettant à leur disposition des véhicules et des équipements performants. Il faut envisager l’atmosphère de travail au sens large », recommande de son côté Augustin Gueldry. Les pénuries d’emploi ne concernent pas seulement les conducteurs. Elles touchent aussi les préparateurs de commandes. « Dans certains bassins d’emploi, il peut être compliqué de trouver des ressources supplémentaires, relève pour sa part Gilles Béchet. D’où la nécessité de disposer d’une main-d’œuvre intérimaire qui connaît bien le métier de préparation des commandes. C’est un travail de longue haleine. ».
Pour gagner en productivité en pleine pénurie de main-d’œuvre, des solutions d’automatisation des entrepôts sont apparues dans le sillage de Kiva, racheté par Amazon. Rappelons que les robots utilisés par le géant du e-commerce sont conçus pour aller chercher les armoires sur lesquelles sont positionnés les produits intéressant la préparation des commandes. L’avantage est que l’opérateur gagne en productivité car il n’a plus à aller parcourir la quinzaine de kilomètres qu’ils effectuent quotidiennement. Ce modèle a inspiré le français Scallog dont les robots équipent le logisticien Alpha Direct Services, filiale de Hoops Group, la maison mère de Colis Privé. Sa solution est délivrée clés en main. « En plus des robots mobiles que nous fabriquons dans notre usine située à Nanterre, nous fournissons les étagères mobiles ainsi que le logiciel qui gère et supervise l’ensemble des éléments », indique Catherine Philonenko, responsable marketing et communication de Scallog, qui est à la fois constructeur de robots mais aussi bureau d’études. Depuis la commercialisation de ses robots en 2015, la société en a vendu entre 300 et 400, majoritairement en France. Une fois la solution de Scallog déployée dans les entrepôts, ses clients peuvent demander à louer des robots pour remédier aux pics d’activité saisonniers. En fonction du nombre de robots demandés en location, il faut compter un délai d’un mois au minimum.
La gestion des pics de livraison impose aussi de prévoir le retour des colis sachant que, selon une étude d’UPS, un colis sur trois est retourné par l’internaute. « Certains secteurs comme le textile, la chaussure mais aussi les produits high-tech génèrent des flux de retour qui nécessitent une organisation dédiée (outils, processus, équipes, etc.) pour traiter avec fluidité ce marqueur de l’expérience client », soulève pour sa part le consultant de Colicoach, entreprise de conseil en transport et logistique destinée aux e-commerçants, retailers et aux prestataires de la supply chain. De son côté, Bruno Durand, maître de conférences en logistique et SCM à l’université de Paris Nanterre, estime que les transporteurs français ont pris l’habitude de traiter les retours. La Poste a mis en place une alternative permettant aux internautes de déposer leur colis dans leur propre boîte à lettres, de sorte que le facteur le rapporte au bureau de poste avant expédition vers le destinataire. « À l’avenir, avec la hausse du nombre de colis, on peut penser que les transporteurs devront soit gérer ces flux de retour avec un camion dédié, soit aménager un espace séparé dans leurs véhicules, recommande l’enseignant chercheur. Il faudra, de toutes manières, que le coût de cette opération soit bien intégré dans le prix facturé au commerçant. Rentabilité oblige ! »