À partir du 1er octobre 2017, le marché du sucre s’ouvrira entièrement à la concurrence mondiale. Les groupes sucriers produisaient jusqu’à présent selon des quotas définis par état en Europe. Afin de rester dans la course, les gros groupes sucriers cherchent à accroître leur production de 20 à 30 % en augmentant notamment les surfaces de culture dès cette année. Autre solution : faire tourner les sucreries plus longtemps chaque année en continuant d’accroître la durée des campagnes. Une tendance amorcée dès la fin des années 90 en mettant au point diverses techniques permettant une meilleure conservation des betteraves et de leur sucre, comme la protection contre le gel ou l’amélioration de la logistique. Les usines sont ainsi parvenues à passer deux à quatre mois de fonctionnement annuel. Pour la campagne 2017-2018, les transporteurs s’attendent désormais à un allongement d’une dizaine de jours.
Dans le Calvados, l’usine Saint-Louis Sucre de Cagny transforme un million de tonnes de betterave en sucre alimentaire et fait travailler une centaine de chauffeurs routiers. Avec la fin des quotas, l’industriel devrait accroître sa production et allonger la durée de la campagne ; celle-ci pourrait passer de 100 à 120 jours environ. Les transporteurs ont d’ores et déjà été informés que Saint Louis Sucre allait réduire le nombre de véhicules de transport en 2017 ; « les sucreries vont avoir besoin de moins de camions car les tonnages à transporter ne seront pas proportionnels à la durée », explique Dominique Berthauld, P-dg de TTB Transports (Condé-sur-Sarthe, Orne). En outre, les tonnages supplémentaires qui vont être produits seront sans doute proches de la sucrerie », ajoute le chef d’entreprise, ce qui risque d’écarter les entreprises éloignées de Cagny.
Amorcée en 2016, « l’optimisation de l’organisation du transport » va se poursuivre, analyse Dominique Berthauld. Jusqu’en 2015, TTB Transports livrait la sucrerie de Cagny avec deux ensembles routiers en double poste. En 2016, l’entreprise s’est vu retirer un camion, jugé insuffisamment productif au regard de la productivité journalière ; elle ne travaille cette année qu’avec un seul camion qui effectue 6 rotations en 24/24 avec deux équipages entre le secteur du Neubourg (Eure) et la sucrerie de Cagny.
Ce chef d’entreprise qui exploite 40 camions (dans le vrac et l’activité de recyclage/déchets) estime que la nouvelle organisation industrielle qui va être mise en place va « avantager les petites PME avec patron-chauffeur qui ont une gestion du temps un peu différente ». Décryptage : les patrons chauffeurs sont plus productifs car ils ne comptent pas leurs heures et ne sont pas contraints par les normes sociales appliquées aux entreprises employant des chauffeurs salariés. Le patron de TTB Transports s’interroge légitimement sur la poursuite de son activité « betterave » avec la sucrerie de Cagny. Son camion travaillera-t-il encore en 2017 ? Dominique Berthauld n’en sait rien à ce jour.
A Dieppe en Seine-Maritime, les Transports Delannoy (14 salariés) qui travaillent pour la sucrerie de Fontaine-le-Dun (groupe Cristal Union) au nord du département, sont dans l’expectative pour la campagne 2017. « Nous savons que nous devrions avoir davantage de betteraves à transporter et que la volonté de Cristal Union est de faire tourner ses usines plus longtemps, environ trois semaines de plus », explique Sylvain Delannoy, P-dg des Transports Delannoy. Il ignore aujourd’hui quels changements cette mesure induira pour son entreprise en 2017. Au-delà de la question de la fin des quotas sucriers, le chef d’entreprise estime que la politique agricole qui sera menée aura aussi une incidence sur le secteur. L’entreprise, qui réalise 25 % de son activité avec le transport de betterave à sucre, a d’autres cordes à son arc : céréales, secteur industriel et BTP.
Dans l’Aisne, BGE Transports (Siège : Chivy, 45 salariés dont 40 conducteurs) qui travaille pour la sucrerie Tereos de Bucy-le-Long (Aisne) craint que la fin des quotas n’exerce une pression sur les prix. « Les planteurs sèmeront plus d’hectares ce qui donnera plus de betteraves à transporter dans les années à venir, mais nous espérons que cette libéralisation ne va pas faire chuter les prix du transport », observe Dany Gaspard, directeur. D’où l’importance de se trouver à proximité du client et d’être organisé en double poste. « Nous avons la chance d’être à 20 minutes de la sucrerie et nous avons un autre atout : nous sommes organisés en double poste avec deux chauffeurs, ce qui permet d’optimiser la plage horaire, » souligne le dirigeant. Spécialisée dans le transport frigorifique, les transports agricoles et les travaux publics, BGE Transports ne réalise que 5 % de son chiffre d’affaires avec la betterave.