La bataille du dernier kilomètre

Article réservé aux abonnés

Pesant déjà 9 % du commerce de détail, l’e-commerce ne cesse de se développer. Un gisement énorme pour les transporteurs. À condition de trouver sa place dans ce monde digital et de la livraison du dernier kilomètre.Dossier réalisé par Érick Haehnsen et Éliane Kan/Agence TCA92,6 milliards d’euros, c’est le chiffre d’affaires réalisé par le e-commerce en France en 2018, selon la Fédération e-commerce et vente à distance (Fevad).

À 13,4 %, le taux de croissance est insolent ! L’année dernière, il y a eu 1,5 milliard de transactions (+ 20,7 %) dont 22 % sur terminaux mobiles. « Nous devrions passer la barre des 100 milliards en 2019 », s’assure Bertrand Pineau, responsable de l’innovation, de la veille et du développement à la Fevad. Normal, pas moins de 38,8 millions de Français achètent sur Internet, à savoir 87,5 % des internautes, selon une étude de Médiamétrie et de l’Observatoire des usages d’Internet publiée au premier trimestre 2019. Ce taux passe à 95 % pour les Parisiens, d’après le cabinet 6-t ! Pour sa part, le baromètre 2019 Services à la livraison : réalités sur les attentes des Français, publié par SprintProject et GS1 (et mené par Opinion Way), indique que 92 % des Français effectuent un achat sur Internet au moins une fois par an et 22 % effectuent au moins un achat hebdomadaire, soit trois points de plus qu’en 2018.

Une opportunité difficilement mesurable pour les transporteurs

Au total, le e-commerce atteint déjà, d’après la Fevad, 9,1 % du chiffre d’affaires du commerce de détail en 2018. Une énorme opportunité pour les transporteurs ! « Mais ce gisement est difficile à quantifier », reprend Bertrand Pineau. Sachant que les ventes de produits physiques représentent 46 milliards et que le panier moyen est de 61,50 euros, on arrive à 742 millions de colis. Certains échappent aux transporteurs car ils vont en boîte à lettres comme du simple courrier. Notamment les colis en provenance de Chine à un tarif postal préférentiel. Ce phénomène est difficile à appréhender et encore plus à quantifier car il ne passe pas sous les radars du fisc et de la douane ! « Les commerçants jugent cette concurrence déloyale », soulève Bertrand Pineau. De même, les flux du Click&Collect (retirer en magasin un produit acheté en ligne) et ceux de certains réseaux organisés échappent également aux transporteurs. À la louche, on peut quand même tabler sur plus de 600 millions de colis pour les transporteurs.

La livraison à domicile et en relais privilégiée

Côté livraison, l’abonnement permettant de bénéficier de meilleures conditions à chaque acte d’achat, comme Amazone Prime, intéresse 60 % des Français, rapporte le baromètre SprintProject-GS1. Cependant, seulement 15 % d’entre eux sont prêts à payer plus cher pour en bénéficier. Par ailleurs, les modes de livraison poursuivent leur diversification. Toujours, selon le baromètre SprintProject-GS1, 39 % des Français sont prêts à être livrés chez un tiers dans les douze mois à venir contre 28 % aujourd’hui, 27 % en consigne automatique (17 % aujourd’hui). Et les 12 % qui apprécient la livraison géolocalisée devraient doubler (24 %) dans les douze prochains mois. Quant à la livraison sur le lieu de travail, elle devrait légèrement progresser de 19 % à 23 % alors que la consigne sous forme de casier réfrigéré devrait bondir de 9 % à 19 %. Cependant, la livraison en deux heures, en une heure, ou en trente minutes, en étage et le dimanche ne séduit que dun Français sur trois.

Un secteur fortement concentré

En ce qui concerne les acteurs de la livraison du e-commerce, le secteur est fortement concentré. En témoigne Matthieu de Lubersac, directeur de la communication, de l’innovation et des projets de Kuehne+Nagel France : « Nous accompagnons les acteurs de la distribution dans leur transition du magasin vers l’e-commerce. C’est pour nous une évolution d’autant plus naturelle que nous étions déjà présents auprès des leaders mondiaux du e-commerce, notamment dans la mode. » Fort de ce positionnement et de ses entrepôts de proximité destinés au e-commerce, l’entreprise oriente la digitalisation de sa livraison finale vers le consommateur. Une manière de revaloriser la livraison. « Sachant que le panier moyen des Internautes diminue tandis qu’ils augmentent leur fréquence d’achat, l’impact de la livraison sur les marchands est de plus en plus lourd, reconnaît Guillaume Col, DG de Kuehne+Nagel France. À la fin du processus de commande, les marchands cherchent de plus en plus à laisser le choix au client final selon son degré d’urgence à recevoir son colis. On sort ainsi de la livraison gratuite. »

« En termes de volumes de colis transportés, le leader absolu est de loin La Poste avec son offre Colissimo. Ensuite, il y a les relayistes comme Mondial Relais ou Relais Colis ainsi que le concurrent direct de La Poste, Colis Privé [dont Amazon est actionnaire minoritaire, Ndlr]. Se sont ajoutés au fil du temps des transporteurs spécialisés dans le colis rapide B2B comme GLS et DPD ainsi que les expressistes comme Chronopost, DHL, Fedex (et TNT) sans oublier UPS, analyse Matthieu Erly, fondateur de ColisConsult, un cabinet conseil spécialisé dans le transport (voir notre interview). Par la force des choses, ils ont tous dû s’adapter au e-commerce afin de trouver de nouveaux relais de croissance à leur marché initial B2B, arrivé à maturité. Tous ces acteurs sous-traitent une grande partie de leur activité du dernier kilomètre à des prestataires externes. »

Le marché du dernier kilomètre est à un tournant

Porté par le dynamisme des places de marché d’e-commerce mais aussi par les stratégies Web-to-Store et Click&Collect des retailers qui ont ainsi regagné des parts de marché sur les Pure Players, le dernier kilomètre se prévaut d’une croissance annuelle de 10 % en moyenne avec une taille qui devrait être multipliée par 1,5 d’ici à trois ans. À l’horizon 2025, son chiffre d’affaires global est estimé à 2,6 milliards, selon Sabrina Tiphaneaux, consultante chez Les Échos Études : « Au-delà de son potentiel, la livraison au client final voit aujourd’hui son offre se transformer et son modèle économique évoluer. Après une période marquée par un taux de qualité de service aléatoire (respect insuffisant des engagements, offre limitée de modalités de livraison…), les promesses H+, J+ 1, choix de l’heure et du lieu de livraison s’imposent peu à peu comme les standards du marché », analyse la consultante. Le paysage est amené à poursuivre sa transformation. D’un côté, les innovations technologiques (intelligence artificielle, Internet des objets, géolocalisation, paiement mobile…) vont de nouveau bouleverser les attentes des consommateurs en termes d’immédiateté et de diversité des modes de livraison. D’un autre côté, les enjeux urbanistiques rebattent les cartes à la fois de la distribution physique mais aussi du e-commerce et de son corollaire : la livraison au client final. Par ailleurs, la course à la taille critique est lancée du côté des prestataires afin de pouvoir rentabiliser leurs flux de la livraison à domicile. Si les grands logisticiens et expressistes ont une longueur d’avance grâce à leur réseau national de distribution et de points relais, les outsiders multiplient les investissements. En toile de fond se joue alors la bataille de la maîtrise de la data et de la relation client par les prestataires. De quoi rééquilibrer la relation avec les donneurs d’ordre.

Décarboner et taxer la livraison du dernier kilomètre

Un terrain qu’Amazon investit en force après avoir ouvert huit agences de livraison du dernier kilomètre. Le géant américain compte déjà sur 850 consignes automatiques (Lockers). À cela ajoutons les 1 000 autres du réseau SNCF Gares&Connexions ainsi que les 20 000 points relais de ses partenaires. Pour accélérer les livraisons le jour même et aussi dans les deux heures (même le dimanche pour les Parisiens pour 30 000 articles), Amazon s’appuie sur Robotics, son nouveau site de Brétigny-sur-Orge (Essonne) équipé les 6 000 chariots robotisés de sa filiale Amazon Robotics (après le rachat de Kiva Systems en 2012) qui amènent la marchandises directement aux préparateurs de commandes (Goods-to-Man). D’ici à 2030, le géant américain veut aussi décarboner, dans le cadre du programme Shipment Zero, 50 % de ses livraisons urbaines dans le monde.

Reste que l’augmentation des livraisons urbaines inquiète les élus à plus d’un titre. Certains, à l’instar de la députée Véronique Louwagie (LR) et de l’Association des maires de France (AMF) de taxer d’un euro chaque livraison à domicile de colis commandé sur Internet pour aider les commerces de proximité. « Une mauvaise réponse à une bonne question », estime Gérald Darmanin, ministre des Comptes publics. Selon l’AMF, contactée mi-septembre, une enquête en cours de l’inspection générale des finances devrait donner ses préconisations en septembre.

Actualités

Grand angle

Boutique
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client abonnements@info6tm.com - 01.40.05.23.15