Parvenir à une solution économique qui fasse sens pour les transporteurs européens victimes de pratiques anticoncurrentielles. C’est le long et titanesque travail auquel se livrent les cabinets d’avocats spécialisés en droit de la concurrence et les fonds spécialisés dans le financement des contentieux.
Près de huit mois après l’amende record de 2,93 Md€ infligée par la Commission européenne à six constructeurs de poids lourds (DAF, Daimler, Iveco, MAN, Scania et Volvo/Renault) pour entente illicite sur les prix, les fédérations européennes ont entériné les démarches pour le compte de leurs adhérents. "Nous enregistrons un véritable succès auprès des fédérations européennes de transporteurs, constate Laurent Geelhand, avocat associé auprès du cabinet international Hausfeld, spécialisé dans le droit de la concurrence et les actions en dommages et intérêts. Cette dynamique devrait permettre de trouver des solutions amiables pour les adhérents."
100 000 véhicules en France
Depuis le mois de décembre, l’association néerlandaise TLN et l’association suédoise des sociétés de transport routier collaborent avec Hausfeld. L’association britannique des transporteurs routiers a aussi déposé une plainte en décembre et souhaite convaincre les entreprises anglaises ayant acquis des poids lourds d’opter pour un recours collectif. "Nous sommes actuellement en discussion avec quatre nouvelles organisations européennes, se félicite Laurent Geelhand. Nous comptabilisons à ce jour 250 000 véhicules en Europe dont 100 000 en France. Au total, on peut estimer à 7,5 millions le nombre de poids lourds (PL) de + 6t, achetés ou loués, concernés par l’entente entre les constructeurs sur la période 1997-2011."
Dernier exemple en date, la fédération de logistique allemande BGL a annoncé le 2 mars qu’elle préparait une action en indemnisation avec le cabinet Hausfeld et le fonds Burford Capital (« Litigation Funder ») pour l’achat de 100 000 véhicules pendant toute la durée de l’entente. Spécialisé dans le financement de contentieux, Burford Capital prendra en charge l’ensemble des frais liés au contentieux (honoraires des avocats, des experts et frais de procédure) en contrepartie d’une commission de 30 % sur les sommes recouvrées.
Nouveaux acteurs
Outre les cabinets d’avocats spécialisés comme Hausfeld, on peut dénombrer deux catégories d’acteurs dans ce dossier complexe. D’un côté, le cabinet britannique Bentham, lequel se consacre à la gestion de contentieux ou l’arbitrage financé par sa société mère (Bentham Ventures). "Bentham a une approche marketing très performante auprès des transporteurs", assure Laurent Geelhand.
De l’autre, la société belge CDC (Cartel Damage Claims) dont le cœur de métier est le rachat de créances à des personnes ayant subi un préjudice du fait de pratiques anticoncurrentielles commises par des entreprises sur le territoire de l’UE et d’en demander le paiement dans le cadre d’un procès civil.
Une lourde amende
C’est que les chiffres parlent d’eux-mêmes. D’après les estimations du cabinet Hausfeld, si une entreprise a acheté 100 PL (+ 6 t) au prix unitaire de 80 000 € au cours de la période 1997/2011 et s’il est établi que les prix ont artificiellement augmenté de 10 %, l’entreprise pourrait potentiellement recouvrir 8 000 € par PL, soit 800 000 € pour la flotte. "Pour l’heure, l’investigation visant Scania est toujours en cours", rappelle Ricardo Cardoso, porte-parole de la commissaire européenne chargée de la concurrence, Margrethe Vestager. Scania a certes refusé de transiger avec la Commission européenne mais le constructeur sera lui aussi condamné à une lourde amende.
L’investigation déjà conclue en juillet 2016
En conséquence, l’enquête des limiers de la DG Concurrence se poursuit dans le cadre de la procédure normale (sans transaction). "Il serait heureux que l’amende infligée à Scania soit communiquée dans un délai de douze mois", pronostique l’avocat Laurent Geelhand.
Quant à l’investigation déjà conclue en juillet 2016, la DG Concurrence travaille à publier une version non confidentielle aussitôt que possible. Enfin, il ne faut pas oublier que le constructeur MAN a demandé la clémence de la Commission. Cela signifie qu’il a dénoncé les pratiques anticoncurrentielles en apportant des preuves suffisantes à la DG Concurrence pour être exempté d’amende. Pour autant, la clémence ne l’exonère pas d’indemniser les transporteurs par des dommages et intérêts.