Si l’Italie a un temps détenu le record en matière de vols de fret, la France « est devenue aujourd’hui le territoire le plus criminogène avec 28 % des vols constatés en Europe, suivie par l’Allemagne et le Royaume-Uni », indique Patrice Bouvet. Expert et enquêteur d’assurance aujourd’hui, l’ancien gendarme précise que « 75 % des vols sont perpétrés sur les parkings non sécurisés, 11 % sur des sites sécurisés, et 14 % avec violences et/ou armes ». À l’échelle européenne, tous les frets sont concernés selon une hiérarchie présentée le 10 mai dernier, lors d’un atelier organisé par l’AUTF (Association des utilisateurs de transport de fret) à Paris : produits liés à l’automobile (26 %), bruns et blancs (24 %), alimentaires (18 %), textiles (12 %), cosmétiques/parfums (10 %) et métaux (10 %). Dans la majorité des cas, les actes sont commis par des bandes organisées originaires des pays de l’Est tels que la Roumanie, la Pologne, les Pays baltes, la Bulgarie, la Biélorussie, l’Ukraine et la Russie.
Depuis 2011, les vols de fret commis pendant le transport et dans les entrepôts ne cessent d’augmenter en France. « Avec 2 703 actes recensés, ils ont progressé de 16 % en 2016 », déclare le Capitaine Armelle Lamouroux de l’Office central de lutte contre la délinquance itinérante (OCLDI) de la Gendarmerie nationale. Avec un pic de sinistralité entre octobre et février, les régions Île-de-France, Rhône-Alpes et Champagne-Ardenne sont les plus ciblées. « Ensemble, elles concentrent près de 50 % des vols constatés, soit ayant fait l’objet d’une plainte, en raison de la densité de leurs infrastructures logistiques et de leurs réseaux routiers. » Si les vols dans les entrepôts, de véhicules ou aggravés diminuent pour ne représenter que 1 à 2 %, les actes dans les véhicules se développent, et concentrent 73 % des attaques. Toutes les marchandises sont là encore concernées mais selon une hiérarchie différente classant en tête la nourriture, les alcools, les appareils multimédia, les articles de mode et électroménagers. Outre ceux commis par les bandes organisées des pays de l’Est, les vols constatés sur le territoire national ont également pour origine les gens du voyage et la délinquance de banlieue.
En Europe et depuis peu en France, de nouveaux modes opératoires plus sophistiqués que « la simple découpe de bâche » apparaissent. « Qu’ils soient à l’initiative de faux transporteurs par le biais d’une usurpation d’identités et de sociétés fictives ou de faux acheteurs, de nouveaux types de fraudes représentent aujourd’hui une part non négligeable des crimes et délits constatés », confirme Patrice Bouvet. Il s’agit d’escroqueries dans le but de détourner les frets qui ont pour origine des structures de type mafieuse dont « la Camora napolitaine, les mafias hongroise et russo-lituanienne ». Usant des nouvelles technologies, leurs méthodes consistent à s’enregistrer pendant une à deux semaines sur des bourses de fret et plateformes de mise en relation entre transporteurs voire entre transporteurs et chargeurs. « L’avènement d’Internet et du haut débit a élargi ces offres d’une manière considérable, pour devenir des acteurs centraux du transport de marchandises en Europe ». Revers de la médaille : « Elles sont également de plus en plus souvent montrées du doigt pour les vols et les détournements de fret ».
Les premiers détournements de fret organisés à grande échelle à l’aide de ces moyens digitaux remontent aux années 2008. En Campanie, ils avaient pour origine une branche de la Camora implantée dans plusieurs agglomérations au sud de Naples et du Vésuve, près de Scafati. « Le mode opératoire était toujours le même. Un transporteur ayant déposé une offre de fret sur une bourse était contacté par une personne se prétendant exploitant d’un transporteur ayant une existence réelle. Il faxait ensuite de faux documents à l’entête du transporteur dont l’identité était usurpée : fausse licence de transport, fausse inscription au registre du commerce, fausse attestation d’assurance ». L’adresse réelle du transporteur à l’identité usurpée était également utilisée mais les escrocs se servaient de numéros de téléphones mobiles de type mobicarte, d’adresses email valides le temps de l’escroquerie, et se faisaient adresser les fax dans des bureaux de tabac ou sur des fax informatiques très difficiles à remonter. Face à ces fraudes, la parade consiste à vérifier les numéros de téléphone et de fax ainsi que les emails transmis avec ceux du transporteur dont l’identité a été usurpée à l’aide de l’annuaire Page Jaune Italie ; un moyen aussi au véritable transporteur de prouver son innocence.
Si l’origine italienne de ce type de fraude a diminué à la suite d’interpellations, elle s’est déplacée vers la Hongrie, puis dans les pays limitrophes : Slovaquie, Roumanie, et plus récemment Serbie, Bulgarie ou Pologne. Dans le même temps, les techniques employées se sont de nouveau sophistiquées pour détourner les mesures préventives prises par les transporteurs et les actions des forces de police. « Les escrocs rachètent de véritables structures, en général de très petite taille, par l’intermédiaire d’un homme de paille officiellement gérant. Disposant d’un véritable Kbis, d’une véritable inscription sur les pages jaunes locales, ils souscrivent alors pour une semaine ou deux une police d’assurance, et déposent un nom de domaine sur internet », explique Patrice Bouvet. Ces éléments officiels en poche, ils peuvent s’inscrire sans contrainte sur les bourses de fret… et les choses vont alors très vite. « En quelques jours, ils prennent jusqu’à 40 tractions à des commissionnaires rassurés par le fait que les informations figurant sur la fiche transporteur inscrites sur la bourse correspondent aux affirmations de leur correspondant. Une fois en possession d’une confirmation d’affrètement, ils réaffrètent à leur tour un transporteur honnête qui dispose de véhicules en règle. La marchandise chargée, le véhicule en route, ils appellent ce transporteur pour indiquer un changement de destination, confirmé par fax ». La marchandise est généralement acheminée sur la région slovaque de Bratislava et déchargée dans des entrepôts loués pour un court laps de temps. Les CMR sont tamponnées au nom de l’escroc, et le transporteur est payé en liquide au déchargement. Une fois l’intégralité des chargements détournés reçus, soit dans un délai de 2 à 3 jours, les marchandises sont dérobées et acheminées vers leurs lieux de revente. « Le temps de découvrir l’escroquerie les marchandises se sont évaporées ».
Les mafias des pays Baltes s’intéressent plus particulièrement aux pneumatiques qui passent en Russie par les postes frontières de Kaliningrad dans l’enclave russe située entre la Lituanie et la Pologne ou de Nerva en Estonie. Pour les mafias hongroise et la Camora, on constate une augmentation des détournements de produits alimentaires (viandes, laitage, chocolats, biscuits) et de consommation courante faciles à écouler. Patrice Bouvet a identifié à ce jour plus de 300 entreprises « de paille » en Europe… sachant qu’il peut s’en créer une en quelques minutes.
Face à ces nouveaux modes opératoires, les forces de l’ordre, chargeurs, transporteurs ainsi que les bourses de fret, plateformes et assureurs semblent pour l’heure démunis. « Les escrocs jouent sur les problèmes de compétence territoriale et la non-harmonisation des différents droits pénaux en vigueur dans les pays européens. Les victimes, les auteurs, les lieux des délits, les identités usurpées relevant de pays différents, et aucun service répressif n’ayant de compétence européenne, les enquêtes ne sont que très rarement conduites et les dépôts de plainte s’apparentent le plus souvent à une attestation pour l’assurance » ! Pis, puisqu’aucun trouble à l’ordre public n’est créé, « il y a un désintéressement quasi-total de ces faits par les autorités compétentes qui n’engagent pas les moyens nécessaires pour les contrer même s’ils coûtent plusieurs millions d’euros à l’économie européenne et conduisent parfois les sociétés à des dépôts de bilan. » Cette activité criminelle est en outre favorisée par la corruption qui sévit dans plusieurs États européens…
À ce stade, « le contrôle des licences de transport et d’attestations d’assurance ne suffit plus ». Pour Patrice Bouvet, trois mesures minimum de prévention sont à prendre : « ne jamais affréter un transporteur par l’intermédiaire d’une bourse ou une plateforme s’il a moins de 6 mois d’inscription, vérifier la validité du numéro de TVA intracommunautaire sur le site de l’Union européenne », et une fois encore « vérifier sur les pages jaunes du pays les coordonnées téléphoniques du transporteur ».
Au-delà pour lutter contre l’insécurité, les nouvelles technologies s’avèrent coûteuses et d’une efficacité perfectible. Si elle rend de réels services dans la gestion des temps de travail des conducteurs et le suivi des flottes, la géolocalisation par GPS est souvent présentée aussi comme une arme de premier choix pour lutter contre le vol de fret. Depuis plusieurs années d’ailleurs, les compagnies d’assurances l’imposent pour le transport de produits sensibles. Sauf que sur le marché, il existe des parades : des brouilleurs de GPS disponibles sur Internet pour une trentaine d’euros ! « Seule aujourd’hui la géolocalisation au moyen de balises Iridium qui utilisent de très hautes fréquences et directement reliées au satellite éponyme, est réellement efficace pour un coût beaucoup plus élevé que le simple GPS. » A contrario, depuis quelque temps, des équipes de voleurs s’appuient sur cette technologie GPS pour tracer et retrouver des ensembles routiers chargés de marchandises sensibles. « Lorsque le véhicule attend sur le parking son chargement, elles placent discrètement une balise sur la remorque afin de pouvoir identifier et suivre avec précision où le véhicule sera stationné la nuit ou le week-end sans avoir à mener de filature. Il pourrait donc être utile pour les transporteurs d’utiliser à leur tour des brouilleurs de GPS comme moyen de prévention », ironise l’ancien gendarme.
S’agissant des moyens de prévention statiques, la vidéosurveillance semble à double tranchant. « À moins qu’elle ne soit reliée à une société de télésurveillance permettant l’intervention immédiate, elle n’a jamais empêché le moindre vol. » Elle permet en revanche de connaître les conditions du vol et peut faciliter le travail des enquêteurs. Pour être plus efficace, la télésurveillance « doit être couplée avec des dispositifs anti-intrusion déployés sur les clôtures et les ouvertures de toit ». En parallèle, privilégier des tests cycliques inférieurs à 20 h, et doubler la transmission de l’alarme par téléphone portable.
Les meilleurs moyens pour éviter les vols demeurent les protections mécaniques. « Leur but est de compliquer l’action des voleurs, en les ralentissant ou en rendant impossible le vol. » Pour les véhicules, un cadenas adapté à ses portes, peu aisé à découper, constitue une solution simple et économique (de l’ordre de 35 € TTC). Ne pas laisser les clefs du véhicule ou l’emploi de fourgon ou remorque frigo pour le transport de produits sensibles relève également du b.a.-ba. Pour la protection des parkings et dépôts, les conseils prodigués sont là encore simples : « Un portail fermant à clef, une clôture de bonne qualité avec des portes équipées d’un moins 3 points de fermeture, et des fenêtres avec des barreaux ».
En termes d’exploitation, l’OCLDI rappelle qu’il faut « privilégier les livraisons dans la journée, de ne pas charger de produits sensibles le vendredi pour une livraison le lundi » ou encore « rester discret sur la nature des produits transportés, choisir des parkings éclairés, non isolés et, si possible, sécurisés, et ne pas décrocher sa semi-remorque sans antivol spécifique ».
Lorsque le conducteur est victime d’un vol, l’OCLDI insiste : « Il doit systématiquement et rapidement déposer plainte sur les lieux du vol ». Et ce « même si l’agent ou l’officier de Police judiciaire rechigne à l’enregistrer, souvent pour des problèmes de statistiques, il se trouve dans l’obligation de le faire », ajoute Patrice Bouvet. D’autant que la loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes a instauré un « guichet unique » en matière de dépôt de plainte auprès des services de police. Ce texte a été complété et précisé par une circulaire du 14 mai 2001 qui, via l’article 15-3 du code de procédure pénale, fait obligation à la police judiciaire de recevoir les plaintes des victimes d’infractions, y compris lorsque ces plaintes sont déposées dans un service territorialement incompétent ; celui-ci étant alors tenu de les transmettre au service compétent. Au-delà, l’OCLDI propose la réalisation d’audit détaillé des procédures internes de l’entreprise ou du site au moyen de référent sûreté.
Modifié par la loi n° 2017-258 du 28 février 2017 (art. 26), l’article L. 233-1 du code de la route prévoit dans son paragraphe I les conditions d’intervention des forces de l’ordre : « Le fait pour tout conducteur d’omettre d’obtempérer à une sommation de s’arrêter émanant d’un fonctionnaire ou agent chargé de constater les infractions et muni des insignes extérieurs et apparents de sa qualité est puni d’un an d’emprisonnement et de 7 500 € d’amende ». Dans ce paragraphe, l’information à retenir sur l’intervention des forces de l’ordre touche à leurs équipements (« muni des insignes extérieurs et apparents de sa qualité »). En conséquence ne constitue pas une infraction le fait de ne pas se soumettre à un contrôle ou les policiers circulant en véhicule non sérigraphié et simplement porteur de brassard « Police » ou « Gendarmerie », sachant que le dit brassard est disponible sur Internet pour 6 € environ !