Le projet de décret élaboré par le ministère des Transports pour remplacer son texte sur les 35 heures partiellement annulé pourrait entrer en vigueur à la mi-avril. Présenté officiellement aux organisations patronales et syndicales le 6 mars, il distingue trois catégories de conducteurs. Les salariés des entreprises de messagerie- express (code APE 634.A) se verraient appliquer le code du travail stricto sensu. Pour la longue distance, la durée légale du temps de service serait fixée à 43 heures hebdomadaires (186 heures mensuelles), seuil de déclenchement du repos compensateur. Grâce à la mise en oeuvre de 8 heures d'équivalence, la durée maximale hebdomadaire du travail serait maintenue à 56 heures sur une semaine isolée, 50 h en moyenne par semaine sur douze semaines soit 220 heures mensuelles, conformément au souhait des organisations professionnelles. Le projet ne dit mot, en revanche, du décompte du temps de travail sur une durée supérieure à la semaine sans autorisation de l'inspection du travail, voire sur quatre mois, qu'elles demandaient. En outre, le contingent annuel d'heures supplémentaires servant de base de calcul aux repos compensateurs demeurerait limité à 130 heures, alors que la partie patronale sollicitait un relèvement à 180 heures. Pour la courte distance, la durée légale s'afficherait à 39 heures hebdomadaires (169 h par mois) avec 4 heures d'équivalence et une durée maximale du temps de travail hebdomadaire de 48 heures (208 h mensuelles).
Pour ces personnels, un deuxième projet de décret prévoit, lui, un contingent annuel d'heures supplémentaires de 180 heures mais « à titre transitoire et dans la perspective d'un retour progressif à 130 heures ». Un calendrier de réduction sera déterminé après avis des organisations. De même, une évaluation annuelle sera réalisée « dans la perspective d'atteindre une durée légale du travail effectif de 35 heures ». Elle prendra en compte « les progrès accomplis en termes de réduction du temps de travail, l'évolution des contraintes d'exploitation des entreprises et les conséquences de l'entrée en vigueur de la réglementation européenne sur le temps de travail ».
« Nous sommes satisfaits car nous souhaitions un décret pris en conseil d'Etat. C'est le cas. Le projet maintient les équilibres de l'ancien texte et nous paraît positif en ce qui concerne le doublement des heures d'équivalence et le maintien de la durée mensuelle du travail à 220 et 208 heures », indique Jean-Paul Deneuville, délégué général de la FNTR (Fédération nationale des transports routiers). « En outre, le régime des repos compensateurs est identique au volume prévu par le texte du 27 janvier 2001 ». Au chapitre des regrets, « l'annulation du décret Gayssot aurait pu constituer une opportunité pour transposer la directive européenne sur le temps de travail dans la réglementation française. Mais le projet ne s'est pas élaboré sous cet angle », note le président René Petit. Lequel affiche un autre motif de déception : « la profession n'a pas pu faire de proposition unitaire au titre de l'Union des Fédérations de transport ». Une situation qu'explique le sort réservé à la messagerie. La FNTR juge « dommageable » son passage « trop brutal » dans le droit commun : « Nous aurions préféré un délai de 2 ans avec maintien de deux heures d'équivalence ». De son côté, TLF (Fédération des entreprises de transport et logistique de France) refuse tout net la distinction faite entre courte distance et messagerie-express. Selon son délégué général Hervé Cornède, « se baser sur un code APE pour opérer une segmentation entre les métiers est un non sens qui illustre la méconnaissance du secteur d'activité et de ses réalités par l'administration. Ce choix n'est fondé ni juridiquement, ni économiquement car toutes les entreprises font du multiactivité. L'unicité de la courte distance doit être maintenue pour des raisons de polyvalence des conducteurs ». Autre argument soulevé par l'organisation « qui souhaite un équilibre global pour l'ensemble des métiers qu'elle représente » : le retour au droit commun affaiblirait encore les entreprises de messagerie « qui sont les plus touchées par la majoration du travail de nuit ». Selon le chiffrage établi par Hervé Cornède, 405 sociétés représentant quelque 20 000 conducteurs relèvent du code APE concerné.
C'est un « décret scélérat » s'insurge la CGT Transports. « Alors que les équivalences ont été supprimées en 1996, elles seraient doublées en 2002 », fulmine Alain Arquier, membre du collectif « transport routier de marchandises ». Lequel calcule que ces temps « représenteront 376 heures par an pour la grande distance, soit deux fois plus que le quota d'heures supplémentaires, et 188 pour les courtes distances ». A ses yeux, le retour de la messagerie dans le droit commun constitue le seul point positif, mais « il s'agit de l'arbre qui cache la forêt ». FO ne s'en satisfait pas davantage. Selon elle, « le ministère et les employeurs s'assoient sur l'accord de novembre 1994 qui définit très précisément ce que sont ces temps de service, leurs décomptes et leurs rémunérations. La déqualification des temps de travail a pour objectif de déroger au code du travail sur les repos compensateurs avec pour conséquence une augmentation importante des temps de conduite ». Les deux syndicats tiennent pour une « vague promesse », la démarche visant à rapprocher les dispositions « courte distance » du code du travail. Pour sa part, la CFDT constate « des progrès par rapport au texte annulé ». Elle se félicite de l'application sans restriction du code du travail pour la messagerie et d'une durée hebdomadaire maximum de 48 heures pour les conducteurs courte distance. L'organisation, qui militait pour un calendrier de retour progressif au droit commun pour ces derniers, déplore en revanche que les 4 heures d'équivalence leur soient accordées durablement. Conjuguée à l'augmentation du volume d'heures supplémentaires, cette mesure réduira le nombre de jours de repos compensateurs. Résultat : « c'est une durée annuelle du travail plus importante que celle du code du travail qui est durablement instaurée », observe le syndicat qui entend « ne pas laisser passer cette faute ». Sans s'associer à la menace de blocage des raffineries lancée par les autres organisations syndicales, elle n'exclut pas « une action sur ses propres mots d'ordres, si des modifications ne sont pas apportées au projet et si toutes les heures de service ne sont pas payées et majorées selon les règles légales ». La CFDT est pourtant la seule organisation syndicale à avoir signé avec l'UFT et l'Unostra un accord de branche sur le paiement des heures supplémentaires au delà de 36 heures. Paraphé le 6 mars, il prévoit la rémunération des heures d'équivalence avec les majorations afférentes. La CGT, la CFTC et la FNCR maintiennent, elles, leur mot d'ordre de mobilisation à compter du 11 mars.