En 2015, les tendances lourdes de la délinquance itinérante se sont confirmées. « Nous recensons uniquement les plaintes déposées par les entreprises, observe le colonel Bernard Thibaud, chef de l’Office central de lutte contre la délinquance itinérante — OCLDI (voir interview page 22). Sur l’année 2015, nous enregistrons une baisse de 14 % des faits recensés (2 330) par rapport aux faits commis en 2014 (2 698). Toutefois, nous ne sommes pas en mesure d’estimer la valeur totale des marchandises dérobées. » Si l’année 2015 connaît une baisse de 14 % des faits recensés, il faut néanmoins la rapporter à la période 2013-2014 qui a connu un bond de + 61 % puisque les faits commis sont passés de 1 673 en 2013 à 2 698 à 2014. Sont comptabilisés comme vols de fret, les vols de marchandises faisant l’objet d’un dépôt de plainte et commis à l’occasion de leur transport routier ou sur le site même de leur stockage, dès lors qu’il ne s’agit pas d’un vol strictement interne à l’entreprise (commis par un employé).
Au plan géographique, les régions Île-de-France (19 %), Rhône-Alpes-Auvergne (17 %) et Champagne-Ardenne (10 %) sont les plus ciblées par les auteurs en raison de la densité des infrastructures logistiques et de l’importance de leurs réseaux routiers. Dans 71 % des cas, les vols se déroulent pendant le transport routier (notamment sur les aires de stationnement routier et de repos autoroutier) et dans 17 % des cas sur des sites de stockage ou entrepôts. « Les vols dans les véhicules représentent 74 % des faits, une tendance récurrente », précise le colonel Thibaud. Il s’agit du vol dit « d’opportunité ». Plusieurs camions sont dégradés (découpes des bâches) sur un même lieu jusqu’à ce que les auteurs découvrent un chargement de valeur. Des groupes criminels organisés itinérants, transnationaux, se sont spécialisés dans ce type d’atteintes aux biens, génératrices de revenus importants découlant notamment du recel des marchandises à forte valeur ajoutée (luxe, parfums, multimédia, tabac). « À noter que les vols de véhicules ne représentent que 5 % des faits, poursuit le chef de l’OCLDI. Les véhicules (ensembles routiers articulés (ou semi-remorques), camions, véhicules utilitaires légers) sont dérobés majoritairement sur la voie publique ou sur des parkings privés non sécurisés. Après avoir connu un pic en 2014 avec une série de vols en remorques ou d’ensembles frigo, le transport frigorifique a connu une nette accalmie en 2015. »
En complément, les vols dans les entrepôts représentent 6 % des faits. Les sites contenant alcools et vins sont particulièrement visés dans les grandes zones viticoles françaises (Champagne-Ardenne, Aquitaine). L’amélioration de la protection des entrepôts, notamment par la généralisation de dispositifs technologiques (caméras thermiques), réduit la durée de la levée de doute au profit de la rapidité d’intervention. Au reste, les vols par ruse ou usurpation d’identité par Internet (bourse de fret) représentent 1 % des faits. L’enquêteur spécialisé Patrice Bouvet le confirme : « Parmi les affaires traitées, j’ai observé des cas de détournement de fret au départ de la France, expose l’enquêteur. Par exemple un transporteur hongrois a été escroqué par un transporteur francilien établi en Seine-Saint-Denis. Il n’en demeure pas moins que l’usurpation d’identité sur Internet reste la chasse-gardée de la “Camorra”, la mafia napolitaine. » Enfin, les vols aggravés représentent 4 % des faits. Cette forme violente de délinquance itinérante cible les ensembles routiers et les entrepôts des grandes marques (cosmétiques, maroquinerie…), ainsi que les sociétés qui transportent du fret à forte valeur ajoutée (téléphonie, multimédia, tabac). Les malfaiteurs ont l’art d’arraisonner les véhicules par la force armée et la contrainte physique. La plupart du temps, cela se traduit par une séquestration du conducteur pour prendre le contrôle du véhicule. Les auteurs de vols aggravés (gens du voyage) utilisent des tournevis, marteaux et masses mais rarement des armes à feu. En conséquence, les convois qui acheminent du fret sensible sont de plus en plus escortés. Résultat, l’offre des équipements de sécurisation s’étoffe un peu plus chaque année. Cela passe par la géolocalisation, les alarmes discrètes, le « corridoring », c’est-à-dire la surveillance automatisée du respect des trajets définis et transmis aux conducteurs, les films anti-bris de vitres ou le piégeage de colis. Fait marquant, 10 % des faits recensés par l’OCLDI présentent un modus operandi non déterminé. L’extension d’un nouvel outil de traitements des procédures judiciaires, déployé à partir de 2014 au plan national, a permis une plus grande finesse dans la détection des faits mais il existe encore des remontées d’information incomplètes.
Dans ce contexte, l’OCLDI a-t-il les moyens de consolider son arsenal de lutte contre les réseaux criminels organisés ? « Sur les neuf premiers mois de l’année 2016, nous enregistrons une progression des vols de + 14 %, souligne le colonel Bernard Thibaud. Nous observons deux typologies différentes. D’une part, les faits commis par les gens du voyage ou issus des cités se caractérisent par des actes de violence (armes, masses) voire des séquestrations de conducteurs. D’autre part, les bandes organisées en provenance d’Europe de l’Est adoptent un modus operandi plus soft avec le découpage de bâches. » À l’évidence, la prévention globale des risques au sein des entreprises doit être privilégiée. C’est d’ailleurs le credo de la commission sûreté & sécurité du fret de TLF présidée, depuis septembre 2016, par Abdelghani Hamitouche, le directeur de la sûreté chez Relais Colis. « Véritable force de proposition, notre groupe de travail est très actif. Nous nous devons de partager le savoir en matière de délinquance itinérante, explique son président. Lors de notre commission du 7 octobre, nous avons échangé sur les faits observés au premier semestre 2016. Nous constatons une baisse considérable des attaques dans les entrepôts logistiques grâce aux investissements réalisés dans les nouvelles technologies par les dirigeants d’entreprises (vidéosurveillance, outils de détection). En revanche, les véhicules bâchés en transit sur les axes routiers Paris/Lyon et Paris/ Marseille sont toujours attaqués. Et à l’instar des forces de l’ordre, les réseaux organisés utilisent eux aussi les boîtiers GPS qui traquent les poids lourds. Enfin, les agressions de conducteurs concernent les vols d’opportunité en zone urbaine pour la livraison du dernier kilomètre. Je tiens à saluer le rôle des forces de l’ordre (police, gendarmerie) qui prennent le sujet très au sérieux. La commission sûreté & sécurité fret est aussi une instance dans laquelle nous faisons du « benchmark » et nous échangeons des informations. Nous invitons aussi des cabinets spécialisés. À l’instar de la société Youston dont le cœur de métier est la gestion de crise. »
Lorsque les investigations aboutissent au démantèlement des réseaux organisés, la réponse judiciaire est-elle à la hauteur des préjudices économiques subis ? À en croire le jugement du tribunal correctionnel de Besançon du 6 octobre, la réponse est oui. Treize ressortissants roumains qui écumaient les aires d’autoroute en France (vol à la bâche) ont ainsi été condamnés à des peines allant jusqu’à quatre ans de prison. Âgé de 36 ans, le commanditaire du réseau a écopé de quatre ans de prison ferme et 15 000 € d’amende. Les douze autres prévenus, âgés de 22 à 40 ans, ont été condamnés à des peines comprises entre 3 ans d’emprisonnement dont un avec sursis à 3 mois de prison avec sursis, assorties de plusieurs dizaines de milliers d’euros d’amende. Dans cette affaire, le tribunal a suivi les réquisitions de la procureure Margaret Parietti, laquelle a dépeint un « réseau organisé », constitué de protagonistes pour la plupart originaires de la région roumaine de Baia Mare. Fait marquant, les avocats de la défense ont minimisé l’implication de leurs clients respectifs poursuivis pour « association de malfaiteurs ». D’après les enquêteurs, ils avaient participé à des niveaux divers à plus d’une vingtaine de vols et tentatives de vol de fret dans 11 départements. Le montant total du préjudice s’élevait à 430 000 €. Le modus operandi était bien rôdé. Sur les aires de repos, les hommes de main en camionnette délestaient les ensembles routiers transportant des parfums, du matériel multimédia ou encore des vêtements de luxe, profitant de la pause des conducteurs. La marchandise dérobée était ensuite stockée dans un entrepôt de la région parisienne, avant d’être expédiée en Roumanie et recommercialisée via une société roumaine dénommée « Moldomino », spécialisée dans les échantillons de parfums et les testeurs. « Il ne s’agit pas d’un gang de personnes armées et dangereuses, mais uniquement d’atteintes aux biens réalisées par des gens assez astucieux, a plaidé l’avocat du commanditaire, Maître Randall Schwerdorffer, soulignant « l’absence d’arme, de menaces et de violences. » « Dans cette affaire, le chef de bande a certes été condamné à quatre ans de prison ferme et à 15 000 € d’amende, résume le colonel Bernard Thibaud. Mais il est regrettable que sur l’ensemble des entreprises victimes, un seul transporteur se soit constitué partie civile. » Dont acte.
La nature du fret dérobé montre que les catégories « alimentation-boissons (10 %) », « alcool (10 %) » et « divers (9 %) » sont les plus touchées par les auteurs de méfaits. En revanche, les catégories multimédia (télévision, informatique, téléphonie, jeux vidéos) sont plus faiblement impactées (6 %), au même titre que les produits de mode (chaussures, vêtements, maroquinerie) à hauteur de 5 % et l’électroménager (5 %). Pour autant ces trois catégories génèrent des préjudices économiques conséquents.
L. G.
Postés sur l’autoroute A9 au péage du Boulou (66), les agents des douanes du Perthus ont intercepté 625 kg de cannabis le 26 septembre dans un camion frigorifique en provenance d’Espagne. La valeur de la marchandise est estimée à 3,8 M€ sur le marché illicite de la revente au détail de stupéfiants. « Il s’agit d’un trajet au départ de la banlieue de Barcelone à destination de l’Italie, explique Didier Martinez, adjoint au directeur régional des douanes de Perpignan, chargé de la lutte contre la fraude. Dans les faits, nous sommes en présence d’une fraude organisée avec des marchandises alibi (boîtes en plastique). C’est la plus grosse saisie de cannabis depuis 2013. » Âgé de 35 ans, le conducteur routier espagnol a été jugé en comparution immédiate le 30 septembre. Il a écopé de six ans de prison ferme, d’une interdiction définitive de circuler sur le territoire français et d’une amende douanière de 1,2 M€. « À l’évidence, il s’agit d’un conducteur routier, sans doute un “autonomos”, trafiquant de drogue professionnel », assure Didier Martinez.
L. G.