Moins les matériaux livrés dont les poids et les dimensions varient peu, « ce sont les services demandés par les clients qui font évoluer les grues et leurs équipements », constate Pascal Guillot, directeur général adjoint chargé du développement chez GT Location. « Les besoins du client font le cahier des charges de l’ensemble véhicule/ grue », approuve Jean-François George, directeur des opérations au sein de Labatut Véhicules Industriels, LVI, filiale du groupe Labatut. Et ces besoins se sont étoffés au fil des années. Finie ou presque la livraison au pied du camion : « Le client attend une livraison à valeur ajoutée au plus près de l’utilisation finale des matériaux ce qui se traduit souvent par des déposes en hauteur, dans les étages, ou à des endroits précis qui peuvent être parfois éloignés du véhicule », expliquent les deux responsables. D’un côté, cette évolution réévalue à la hausse les questions de sécurité au travers des risques et responsabilités endossés par les conducteurs salariés de loueurs tels que LVI ou GT. « La fourniture d’une grue demeure auxiliaire à la prestation de transport à la différence d’une société de levage », insiste cependant Pascal Guillot. De l’autre, elle suppose des qualifications pointues de la part des conducteurs, et une expertise dans le choix des grues ainsi que de leurs accessoires.
Pour la grue, le besoin du client se traduit par une capacité de charge et par une distance à couvrir pour manutentionner les produits. Sachant que la charge maximale d’utilisation varie selon la portée ou cette distance à couvrir, les modèles proposés se distinguent par leur couple de levage exprimé en tonne / mètre (tm), et tiennent compte des temps et intensité d’utilisation par jour.
Si le cœur du marché des transporteurs et des loueurs qui s’équipent en grue se concentre sur des machines de 15 à 18 tm pour un prix moyen unitaire compris entre 45 000 € et 60 000 €, il glisse vers des puissances plus importantes. « Avec l’augmentation des rayons d’action en distance comme en hauteur, des capacités de 20 tm voire 25 tm sont devenues fréquentes », relève Romuald Chemin, directeur technique de GT Location qui exploite une flotte de 280 véhicules avec grue. Soit 20 % de son parc total loué en majorité auprès de négociants de matériaux de construction. Corrélé à la puissance, le poids des grues augmente aussi avec des conséquences sur les châssis qui doivent en parallèle garder un maximum de charge utile. « Si les châssis de 19 t étaient courants il y a encore quelques années, aujourd’hui, le châssis 26 t est privilégié à chaque renouvellement pour les véhicules recevant une grue, voire parfois le châssis de 32 t. De 19 à 26 t, l’ensemble véhicule / grue conserve sa polyvalence face à une grande variété de missions. Au-delà, il s’agit d’une demande spécifique. Elle suppose un engagement sur la durée du client d’au moins 48 mois pour amortir l’investissement ». Tous les fabricants de grues ont développé des logiciels ad hoc pour calculer la répartition des charges et la stabilité dans le but d’optimiser le couple grue/châssis.
L’équipement de grues auxiliaires avec des puissances élevées est également un moyen de se démarquer sur un marché du transport « classique » devenu très concurrentiel. Tel est le choix des Transports Bernardin implantés à Rosières en Meurthe-et-Moselle. « Avec un effectif de 20 personnes et une flotte de 18 moteurs, présente Serge Bernardin son dirigeant, nous exploitons 4 véhicules avec grue auxiliaire depuis 3 ans. Leurs capacités sont de 18, 42, 62 et 100 t ». Cet investissement de plus de 200 000 € pour la plus chère permet aujourd’hui à la PME de répondre à une demande très large au moyen d’ensembles avec remorque. « Nous avons décidé de nous positionner sur un marché de niche pour s’affranchir d’un environnement de plus en plus concurrentiel dans le secteur des transports ».
Une fois le modèle défini selon l’utilisation future de la grue, reste à sélectionner le fabricant. En France, le marché de la grue auxiliaire s’est élevé, en 2015, à 2 600 exemplaires. Sur ce volume, trois acteurs se distinguent : Palfinger, Hiab et Fassi. Ensemble, ils déclarent des parts de marché consolidant près de 90 % des ventes réalisées dans l’Hexagone ! « Avant 2008, le marché national s’élevait à 5 700 grues auxiliaires. Il a enregistré une baisse continue depuis pour se stabiliser en 2014. On observe une légère reprise en 2016 avec des prises de commandes en hausse de 10 %. Elles correspondent en majorité à des renouvellements sachant que le cycle de vie d’une grue est de 7 à 9 ans », partage Roger Boutonnet, directeur général de Fassi France, filiale du groupe CETLM. « Le marché français ne reviendra plus au niveau de 2008 », analyse de son côté Hervé Lherondel, responsable Marketing et Grands comptes du constructeur Hiab, filiale du groupe Cargotec. « Les grands clients de grues auxiliaires tels que les négociants de matériaux de construction et, par ricochet, leurs transporteurs et loueurs de véhicules industriels avec ou sans conducteur, ont modifié la gestion de leurs parcs au cours des dernières années. Plutôt que d’attribuer un véhicule gréé à une agence, celui-ci appartient à une région ou est affecté à un pool mutualisé de moyens. En parallèle, les transferts de matériels d’une région à une autre selon les besoins sont devenus fréquents. Ces démarches visent à optimiser les flottes de véhicules et leurs grues auxiliaires ». Elles ont une double conséquence pour l’offre de service des transporteurs et des loueurs. D’un côté, le besoin en nombre de véhicules avec grue s’est contracté. De l’autre, leur taux d’utilisation plus élevé devrait réduire les cycles de renouvellement et, surtout, impose une disponibilité maximum des matériels. « Cette condition amène les acheteurs de grues à raisonner au-delà du seul prix d’achat en intégrant davantage le coût global d’exploitation des machines et la qualité du service après-vente des fabricants de grues », souligne Cécile Dechenaux chargée de la coordination commerciale et marketing chez Palfinger France.
La meilleure prise en compte du coût global d’exploitation et du service après-vente conduit aujourd’hui les utilisateurs de grues auxiliaires à conditionner leur investissement en fonction de deux critères principaux : la fiabilité des machines et la qualité du SAV des fabricants de grues. « La densité du réseau SAV des constructeurs par rapport à nos lieux d’intervention est essentielle pour l’entretien et le suivi de nos grues auxiliaires », confirme Jean-François George de LVI qui recense 42 véhicules gréés. « Avant le prix, le choix d’une marque dépend du maillage de ses concessions, ateliers et points de services. La grue est une machine hydraulique complexe et fragile. La proximité d’un atelier est stratégique pour garantir à nos clients une continuité de service dans le temps et limiter au maximum les immobilisations non programmées. Nous sommes en effet évalués par nos clients sur notre réactivité et la capacité à fournir une prestation sans rupture ». Pour le directeur des opérations, la fiabilité est affaire d’expérience interne dans la gestion quotidienne d’un parc gréé qui progresse au sein de LVI de 5 à 10 unités par an, avec des capacités de 15 à 18 tm en majorité, plus selon les besoins du client. « Liés à la fiabilité, les coûts d’entretien interviennent également. Avec le prix, ces critères conditionnent nos investissements en grue auxiliaire ».
La densité et la qualité du réseau des fabricants sont également au cœur des décisions d’achat de GT Location. « L’intervention sur une grue auxiliaire doit être rapide. En outre, la gestion de ce type de matériel oblige une vérification générale périodique semestrielle au cours de laquelle nous procédons aux opérations de maintenance. La proximité de points de services par rapport à nos lieux d’exploitation limite les temps d’immobilisation », confirme Romuald Chemin.
Cette attente forte est au cœur des démarches commerciales des fabricants. Palfinger déclare en France un réseau de 120 points de services dont 50 % sont gérés par des concessions appartenant au groupe Vincent, maison-mère de Palfinger France, distributeur exclusif de la marque sur le territoire. De son côté, Hiab France compte 17 concessionnaires et 55 agents SAV, et Fassi France 90 dont deux intégrés sous la marque Miltra. Pour accompagner ces réseaux sur le terrain, les trois constructeurs disposent chacun, de centres de formation à leurs produits ouverts aux transporteurs et loueurs à la tête d’ateliers intégrés.
À cette question qui détermine la polyvalence des grues, deux équipements sont cités systématiquement par les transporteurs et les loueurs. Le premier est la radiocommande pour faciliter les manutentions, de plus en plus éloignées du véhicule, et travailler à une distance de sécurité. « Elle permet au conducteur de se positionner lui-même à l’endroit le plus optimisé pour effectuer les opérations avec précision et rapidité », indique Romuald Chemin. Source de flexibilité et de maniabilité, le deuxième est le rotator pour faire pivoter les charges selon l’environnement de manutention sans intervention humaine. Lequel est souvent complété par une fourche lève-palettes, disponible en une multitude de versions, et/ou une fourche relevante pour livrer en hauteur des plaques de plâtres qui, au moyen du rotator, peuvent passer les fenêtres à la verticale.
Très apprécié également, le crochet automatique a été développé par les constructeurs avec le concours de loueurs tels que GT et de négociants. « Le crochet automatique permet de changer d’accessoires rapidement et en sécurité. Grâce à son système d’ouverture et de fermeture commandé par radiocommande, les conducteurs n’ont plus besoin de grimper dans le véhicule et d’en descendre », explique Pascal Guillot de GT Location. Le crochet peut être également utilisé pour fixer et détacher les élingues à distance.
Quant au positionnement de la grue sur le châssis, le porte-à-faux l’emporte de plus en plus sur le dos cabine. « En marche arrière sur les lieux de livraison, cette position offre une aire de travail plus importante, avec plus d’amplitude. Elle évite aussi les manutentions de charges au-dessus de la cabine du véhicule. À la demande du client, le porte-à-faux est souvent privilégié », précise Jean-François George de LVI.
Tout conducteur d’une grue auxiliaire doit posséder une autorisation de conduite délivrée par l’employeur. Cette autorisation est remise après examen médical et un contrôle des connaissances pour la conduite de l’appareil en sécurité. Plus difficile à mettre en œuvre compte tenu de la variété des missions et des interventions, elle est censée être délivrée aussi après que le conducteur a pris connaissance des lieux et des instructions à respecter sur le site d’utilisation. Non obligatoire mais recommandé par la CNAMTS et l’INRS, un certificat d’aptitude à la conduite en sécurité (CACES) est un bon moyen de satisfaire au contrôle des connaissances et savoir-faire. Les conditions de délivrance de ce CACES, renouvelable tous les 5 ans, sont définies dans la recommandation « R 390 Utilisation des grues auxiliaires de chargement avec ou sans télécommande » de la CNAMTS. Quelques constructeurs de grues sont habilités à faire passer ce certificat à l’image de Palfinger France.
Dans la plupart des cas, le conducteur est également en charge de l’entretien courant de la grue, à savoir son graissage, une opération essentielle qui influe directement sur les conditions d’utilisation en sécurité de la grue mais aussi sur ses performances et sa longévité.
É. D.