Bruxelles exacerbe la défiance des transporteurs

Article réservé aux abonnés

La Commission européenne a beau promettre des « Initiatives Routières » au second trimestre 2017, rien n’indique que des mesures fortes seront annoncées pour durcir les contrôles du cabotage illégal, du smic horaire et du détachement de salariés. L’Europe sociale, le nouveau credo du président de la Commission, Jean-Claude Juncker, semble être un vain mot. Fédérations professionnelles et transporteurs ne sont pas dupes. Il n’est que voir les réactions en Allemagne, en Italie et en Espagne ; la fracture se creuse entre les tenants de la libre circulation des marchandises et ceux qui prônent une concurrence équitable et saine pour garantir les droits sociaux des travailleurs. Une fois n’est pas coutume, l’heure est à la pression sur la Commission. À l’initiative de la France, 9 ministres européens ont signé le 31 janvier à Paris « l’Alliance du routier ». Un plan d’actions qui se veut offensif. Sera-t-il efficace contre le dumping social et la sous-traitance en cascade ?

Les deux fronts qui se sont créés dans le transport routier entre les membres de l’Union européenne en 2016 sont-ils condamnés à se cristalliser davantage en 2017 ? Alors que la présidence semestrielle de l’UE a commencé timidement avec Malte en janvier (et sera suivie par l’Estonie le 1er juillet prochain), cette question, lancinante, anime les esprits. Difficile de croire que les deux présidences semestrielles de l’UE pourront donner l’impulsion politique tant attendue par la profession. « Il ne faut jamais sous-estimer les petits États qui accèdent à la présidence semestrielle de l’UE » a coutume de dire l’eurodéputé Dominique Riquet (ALDE), vice-président de la commission transport et tourisme à Strasbourg. Si avancée il y a, elle devrait être liée à la révision de la législation sociale du TRM : règlement 561/2006 sur les temps de conduite et de repos ; directive 2002/15/EC relative au temps de travail des personnels mobiles et directive 2006/22/EC. S’y est ajouté le détachement de salariés (directives 96/71/EC et 2014/ 67/EU), la seconde faisant elle-même l’objet d’une révision sous l’égide de la commissaire européenne chargée de l’emploi, Marianne Thyssen. Mais là encore, il ne faut pas se faire trop d’illusions. « La commissaire européenne chargée des Transports, Violeta Bulc, a laissé faire son administration pendant deux ans, confesse une source au Parlement européen. Il lui reste un an pour faire des propositions législatives. Le risque c’est d’avoir des “initiatives routières” a minima. »

Fausses promesses ?

À l’évidence, les éléments de langage sont affûtés pour défendre le travail de la commissaire et de son administration centrale, la DG Move. « Les “Initiatives Routière” annoncées en avril 2016 par Violeta Bulc, devraient être vraisemblablement prêtes au second trimestre 2017, explique Olivier Coppens, attaché économique auprès de la représentation permanente de la Commission à Paris. Les services préparent une analyse d’impact qui sera publiée en même temps que les résultats des différentes consultations publiques et les propositions législatives. » Le fonctionnaire européen ajoute que « pour la Commission Juncker, le marché intérieur doit être plus approfondi mais aussi plus équitable. C’est pour ça que la Commission a proposé en mars 2016 une révision de la directive sur le détachement des travailleurs. Dans le transport routier, la question du détachement sera, quant à elle, clarifiée dans les nouvelles propositions du second trimestre, qui ont pour but de mieux appliquer les règles sociales. La consultation publique sur le pilier social des “initiatives routières” s’est terminée en décembre 2016 avec environ 1 400 réponses au questionnaire de la DG Move. »

Violeta Bulc veut envoyer quelques signaux à la profession. Le 24 janvier, elle a invité à Bruxelles une vingtaine de syndicats européens, représentant les salariés du transport dont la fédération européenne des travailleurs du transport (ETF). « Nous avons abordé les thèmes du cabotage, de l’accès à la profession, du détachement avec le règlement ROME 1, et du temps de travail, détaille Roberto Parrillo, président du secteur transport routier chez ETF. La commissaire nous a clairement dit que les “Initiatives Routières” seraient annoncées en mai prochain. » Une réunion qui s’est voulue bon enfant sur la forme mais qui ne fait pas trop mystère sur le fond. Un seul exemple : la révision de la législation sociale pose une série de questions administratives. « Comment la DG Move va-t-elle gérer les dossiers avec la DG Emploi et Affaires Sociales et la DG Marché Intérieur, interroge Roberto Parrillo. En outre, nous restons convaincus chez ETF qu’il n’aurait pas fallu extraire le transport routier de la révision de la directive détachement. » Pour alerter l’opinion, ETF annonce qu’elle organisera, le 26 avril, une grande mobilisation européenne à Bruxelles.

La France Prone une « alliance du routier »

Au reste, l’intergouvernemental revient sur le devant de la scène. Le 31 janvier, neuf ministres européens des transports ont signé à Paris une « alliance du routier » pour combattre la concurrence déloyale dans le transport routier. Énième mobilisation française ? Faut-il se rappeler qu’en avril 2014, le ministre français Frédéric Cuvillier avait lui aussi réuni — dans le même état d’esprit — ses homologues européens au Conseil économique, social, et environnemental (CESE). L’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, le Luxembourg, le Danemark, l’Italie, la Norvège et la Suède ont répondu présents à l’invitation d’Alain Vidalies, secrétaire d’État chargé des Transports. Ils vont tenter de s’armer pour garantir les droits sociaux des travailleurs dans le TRM. « Ce secteur est en particulier victime du recours à la fraude sophistiquée et au détournement des règles du marché intérieur et du droit du travail », indique-t-on au cabinet d’Alain Vidalies. Dans les faits, cette alliance s’inscrit dans une démarche commune engagée en septembre 2016. Huit de ces neuf pays — la Suède n’en faisait pas partie — avaient envoyé un courrier à la Commission européenne pour lui demander de se pencher sur « les aspects sociaux et les questions de sécurité » découlant des « pratiques abusives » et de la « concurrence acharnée » d’autres États dans le transport routier en Europe. Pour rappel, il s’agissait alors de répliquer contre la Pologne, suivie de son côté par 10 autres pays de l’Union, lesquels protestaient contre les « règles disproportionnées » imposées par la France et l’Allemagne. Les deux pays ont en effet institué un salaire minimum dans le TRM ce qui a déclenché une procédure d’infraction de la Commission européenne. L’objectif affiché de cette « alliance du routier » est d’« améliorer la vie des travailleurs et les pratiques de contrôle sur la base des expériences mutuelles, et renforcer la coopération pour rendre plus efficace la lutte contre la fraude. » La position de la Commission européenne sur le salaire minimum allemand et français devrait être explicitée dans le cadre des « Initiatives Routières » en mai.

Agence européenne du transport : mythe ou réalité ?

Autant dire que le durcissement des contrôles et la coopération renforcée entre les États est une ardente nécessité. En 2014 déjà, Frédéric Cuvillier avait laissé le témoin aux institutions européennes en quittant le gouvernement Valls, appelant de ses vœux la création d’une agence européenne du transport. Où en est-on aujourd’hui ? « La question du renforcement du contrôle de l’application des règles est essentielle et il y a plusieurs moyens pour y parvenir, souligne Olivier Coppens. Il est par exemple aussi possible de renforcer la coopération et l’échange d’informations entre les États membres. La question d’une agence sera analysée dans l’étude d’impact des initiatives routières, suite auxquelles la Commission devrait proposer la solution qui est la plus efficace. » Dans les faits, la réalité est plus complexe. « Le Conseil de l’UE est opposé à cette agence alors que le Parlement européen y est favorable, décrypte l’eurodéputé Dominique Riquet. En revanche, il n’est pas impossible de confier à l’agence ferroviaire européenne un rôle de coordination et de conseil. Cela n’irait pas plus loin. En outre, le fait de donner quelques responsabilités non réglementaires à une agence existante n’est pas impensable. On pourrait par exemple étendre les pouvoirs d’EuroContrôleRoute (ECR). » Derrière cette « alliance du routier », demeure le souci de faire reconnaître la responsabilité des donneurs d’ordre en ce qui concerne les conditions de travail déplorables chez certains de leurs transporteurs sous-traitants. Le 17 octobre 2016, un conducteur routier lituanien était retrouvé mort sur le parking d’Ikea à Metz. Salarié de la compagnie néerlandaise Samskip, sous-traitante du géant suédois, il est un symbole macabre d’un système inhumain au mépris des conditions de vie et de travail de milliers de conducteurs. Un système rendu possible par la directive détachement, contournée par les multinationales. Le scandale de la sous-traitance en cascade est aujourd’hui au cœur de la mobilisation de la fédération internationale des travailleurs des transports (ITF). En décembre, sur le site du plus gros entrepôt Ikea d’Europe, une vingtaine de conducteurs routiers se sont rassemblés à l’appel de la CGT, du syndicat belge FGTB et du néerlandais FNV. « Les conducteurs, qui garantissent l’économie d’Ikea, sont plus occupés à survivre au jour le jour qu’à conduire, déplore dans un communiqué Lars Lindgren, président du syndicat suédois des travailleurs des transports, cité par ITF. Ikea est le donneur d’ordres ; il doit passer à l’action pour stopper ces abus. »

Parlement européen Karima Delli préside la commission transports

L’eurodéputée française écologiste Karima Delli, a été élue en janvier au poste de présidente de la commission transports et tourisme (TRAN) au Parlement européen. Elle est aussi vice-présidente de la Commission d’enquête EMIS sur les dépassements des seuils d’émissions polluantes par le secteur automobile. « La Commission TRAN doit se montrer novatrice et audacieuse pour relever les nombreux défis qui nous attendent, explique-t-elle. En matière de lutte contre la pollution et le réchauffement climatique, dans la lignée de mon travail sur la mobilité urbaine durable ou sur le “dieselgate”, j’attacherai une attention particulière à ce que les secteurs du transport et du tourisme prennent toute leur place dans la mise en œuvre des engagements de la COP21. Ensuite, sur le plan économique et social, nous devrons sans tarder apporter des réponses concrètes au fléau du dumping social qui touche fortement le secteur. » Pour les deux ans et demi à venir, l’eurodéputée entend aussi être attentive aux principes de sécurité des innovations technologiques, qu’il s’agisse de la voiture autonome ou des drones.

L. G.

Brexit. Les paradoxes de Theresa « May be »

La Première ministre britannique, Theresa May, ne cesse de défrayer la chronique. Surnommée Theresa « May be » par The Economist, elle brille déjà par ses contradictions sur le Brexit. Lors de son discours le 18 janvier, elle a clarifié son jeu. Le Royaume-Uni va sortir de l’UE, ne souhaite plus être soumis à la Cour de justice de l’UE mais voudrait encore conserver des avantages comme l’absence de droits de douane. Theresa May continue de vouloir l’Europe à la carte (« cherry-picking »). Londres, par l’intermédiaire de son ministre chargé du Brexit, David Davis, doit rédiger pour le mois de mars, la demande de divorce officielle qui explique comment le Royaume-Uni voit sa future relation avec l’UE. Le Parlement européen, par l’intermédiaire de son coordinateur pour le Brexit, Guy Verhostadt, le patron des eurodéputés centristes (ALDE), prépare déjà sa réponse, pour préciser ce qui est possible ou pas, sous la forme d’une résolution qui sera elle-même discutée et votée. Un avis sera aussi rendu au Conseil européen de l’UE avant qu’il ne fixe le mandat de la Commission et de son chef négociateur Michel Barnier. Au bout de la négociation avec Londres, fin 2018 ou début 2019, l’assemblée de Strasbourg devra valider ou rejeter le contrat de divorce. À l’évidence, le Parlement européen n’acceptera jamais qu’un pays extérieur à l’UE puisse jouir d’un statut plus favorable qu’un État membre.

L’ancien diplomate John Kerr, l’un des concepteurs de l’article 50 du traité de Lisbonne qui régit la procédure du Brexit n’est guère optimiste par rapport à son issue. À ses yeux, Theresa May n’a pas choisi le véhicule dans lequel elle va embarquer les Britanniques. Veut-elle transformer le Royaume-Uni en un Singapour européen, un paradis fiscal « low cost » sans protection sociale ? Ou rester un pays modéré et ouvert, lié au continent ? L’accord entre Londres et Bruxelles sera difficile en raison de l’« erreur fatale » commise par Theresa May, en posant comme ligne rouge de la négociation son refus de la compétence de la Cour de justice de l’UE. Il faut donc s’attendre à une négociation désagréable pendant deux ans, essentiellement budgétaire. Mais il faudra, selon John Kerr, quatre ou cinq ans, pour parvenir à un accord commercial. Les transporteurs européens sont-ils gagnés par l’incertitude ? « Les fédérations du TRM commencent à en discuter au niveau national, observe Marc Billiet, responsable TRM auprès de la délégation IRU à Bruxelles. Nous allons lancer une consultation parmi nos membres en 2017. Les solutions vont dépendre du cadre général qui sera négocié. »

L. G.

Actualités

Grand angle

Boutique
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client abonnements@info6tm.com - 01.40.05.23.15