La demande des transporteurs dépend de la taille de leur flotte et de la modernité de leur entreprise. Le besoin de base des flottes moyennes reste la récupération des données du chronotachygraphe, l’optimisation de la consommation et l’envoi des ordres de mission. Les grandes flottes souhaitent une ouverture totale de la communication du véhicule afin de récupérer toutes ses données. Elles veulent les traiter à l’aide de systèmes qu’elles ont spécialement développés. Gianmarco Dessi, référent informatique embarqué pour Renault Trucks, insiste sur le poste carburant : « Les gains de consommation grâce au suivi télématique peuvent être spectaculaires, notamment dans le TP. Cela représente pour le client des économies en puissance. »
« La télématique Iveco se concentre sur les données du véhicule, la consommation, l’écoconduite et la détection des besoins de formation », précise Alexandre Merletti, chargé du service TCO2 chez Iveco France. « Nous ne sommes pas différenciants sur la géolocalisation et le social », rappelle Gianmarco Dessi. Les constructeurs ont toutefois des offres échelonnées, le premier niveau étant gratuit pendant un an chez Volvo, pendant dix ans chez Scania et même pour la durée de vie du véhicule chez MAN. Même lorsqu’elle est totalement gratuite, l’activation de la télématique est refusée par certains clients, très minoritaires. Ceux-ci ne souhaitent pas que leurs véhicules émettent des informations. En cas de problème sur la route, cela interdit le diagnostic de panne à distance et la localisation facile du camion à dépanner.
« Renault Trucks a une politique d’installation systématique de la télématique sur sa gamme. Le client n’a pas à se soucier du montage ou du démontage de boîtiers », précise Gianmarco Dessi. De même, Volvo Trucks équipe tous ses véhicules en série avec sa télématique. Mercedes fait de même avec tous ses tracteurs, et MAN monte le boîtier RIO sur tous ses véhicules, y compris le TGE. Même lorsqu’elle est « gratuite », l’activation de la télématique d’un camion est soumise à la signature d’un contrat en raison des échanges de données. Dans tous les cas, celles-ci appartiennent au client, mais le constructeur ne s’interdit pas de les exploiter, notamment pour la fiabilisation et l’entretien de la flotte.
Le matériel télématique devient progressivement, au moins sur les véhicules longue distance, un équipement monté en standard. Dès lors, la création de valeur n’est plus liée au matériel, mais aux services. La tendance consiste à les offrir sous forme d’applis Android. Avec l’évolution en cours vers la MaaS (Mobility as a Service), le numérique ne peut être qu’au cœur de la stratégie des constructeurs. « Scania souhaite se positionner comme acteur numérique du transport », confirme Stéphane Lecouflet, responsable des services connectés de Scania France. On trouve la même approche chez Volvo Trucks, qui est « un partenaire business pour l’optimisation de l’activité de ses clients », selon Romain Ringwald, ingénieur commercial connectivité de ce constructeur.
L’une des évolutions en cours concerne la remontée d’informations fines en provenance de la chaîne cinématique. La télématique apporte aux réseaux des marques une perception exacte de l’utilisation réelle des véhicules.
Les constructeurs de véhicules sont les mieux placés pour fournir une information pertinente à propos de l’état technique des véhicules ou au sujet de la qualité de conduite. Ils accèdent à toutes les données des capteurs et à tout ce qui circule sur les bus informatiques du véhicule, tandis que les solutions tierces doivent se contenter de ce qui est disponible sur les prises FMS/OBD. Parce qu’ils ont ainsi un œil sur tous les véhicules de leur parc roulant, les constructeurs sont en mesure d’analyser leur comportement et d’extrapoler des « lois » de détection d’avarie à venir. Cette maintenance prédictive est un facteur de disponibilité du parc. Elle évite les immobilisations imprévues et les surcoûts d’un dépannage en bord de route. Il y a trois ans, Mercedes a été pionnier en lançant son service de maintenance prédictive MB Uptime. Il est depuis progressivement rejoint par ses concurrents. Renault Trucks a annoncé le lancement commercial de son propre système lors de Solutrans 2019, qui a eu lieu du 19 au 23 novembre. Cette arrivée sur le marché succède à plusieurs années d’expérimentation en flotte car la maintenance prédictive gagne en qualité avec des analyses de données sur de longues durées. Chez Iveco, la volonté de déployer une maintenance prédictive a justifié des accords avec des grands noms de l’informatique, dont Microsoft.
Forte de ses lois de détection, la maintenance prédictive est le fruit d’un savoir-faire. Elle ne doit pas être confondue avec des systèmes qui se contentent de signaler les échéances d’entretien périodique ou de transmettre les informations issues d’un capteur d’usure ou de température. Comme « big data » ou « intelligence artificielle », « maintenance prédictive » devient un poncif employé à tort et à raison.
Entre constructeurs et transporteurs, la maintenance prédictive est au cœur d’une relation gagnant-gagnant. Grâce à elle, le transporteur réduit le risque d’imprévu et augmente la disponibilité de son parc, alors que le constructeur s’assure que les véhicules concernés seront suivis et entretenus par son réseau dont il garantit l’activité pièces et main-d’œuvre. Le transporteur est ainsi client captif, mais perdant pour autant. Il est courant que les camions cessent d’être entretenus par le réseau de leurs constructeurs après la période de garantie. Pour lutter contre cette situation, MB Uptime peut s’appliquer à des véhicules d’occasion. La captivité du transporteur suscitée par la maintenance prédictive s’explique par le traitement des informations au niveau des services du constructeur, qui les transmet au transporteur par l’intermédiaire de son réseau. Celui-ci intervient parfois au sein de l’atelier intégré du transporteur, notamment dans le cas d’une délégation de l’atelier à un réparateur agréé par le constructeur. Cette situation est par exemple celle des transports Delisle, dont les ateliers sont confiés à Rambach, réparateur agréé Mercedes. Ils utilisent MB Uptime.
Selon Pierre Lussier, directeur de Fleetboard pour la France, « un des éléments à observer pour savoir si un constructeur s’est vraiment lancé dans le véhicule connecté est le nombre de capteurs qui équipent son véhicule. Chez Mercedes, nos analyses sont très précises car nous avons 400 capteurs sur nos camions. » Chargé de l’après-vente des systèmes télématiques chez Mercedes France, Mehdi Dupuis poursuit : « Grâce à Uptime nous proposons une alerte quel que soit le degré de gravité. Cette maintenance prédictive permet de prolonger les intervalles de maintenance. En les allongeant de 120 000 à 150 000 km. » Pour sa part, Mickël Mothie, directeur commercial solutions de transport Volvo Trucks France, annonce que « 100 % des camions Volvo produits depuis octobre 2018 sont connectés et éligibles à la maintenance prédictive ». Il existe des systèmes de « maintenance prédictive » indépendants des constructeurs. Celui de Coeos a des prérogatives qui dépendent de la marque du véhicule. Il est connecté à des outils de diagnostic et s’assimile dans une certaine mesure à une « valise d’atelier » connectée à distance.
Le service de gestion de flotte Scania (Fleet Management Services) a été lancé en 2012 et amélioré depuis. Quant au service Scania Fleet Care, il garantit la disponibilité des véhicules pendant des heures de service déterminées et organise leur entretien en dehors de celles-ci. Les flottes concernées disposent d’un gestionnaire de flotte (fleet manager) délégué par Scania. Réorganisée, la maintenance sort du cycle SMSL (short, medium, short, large), c’est-à-dire la succession des petites, moyennes et grosses opérations. Afin d’assurer la disponibilité des véhicules, Scania remplace ce cycle par 32 modules d’entretien optimisés techniquement et commercialement. Ils sont appliqués au véhicule selon les exigences de son exploitation constatée. Celle-ci est connue grâce aux informations envoyées par le véhicule et analysées. Les télématiciens s’interfacent avec les TMS. L’informatique embarquée des constructeurs était initialement fondée sur des systèmes fermés, peu prédisposés aux échanges avec les solutions tierces. Les récentes tentatives d’ouverture de Fleetboard ou de RIO tardent à décloisonner la situation. Alors que l’informatique embarquée du constructeur est utilisée pour suivre la chaîne cinématique du véhicule, l’envoi de mission, la géolocalisation du véhicule, la récupération des données sociales, le suivi de température ou les échanges de documents dématérialisés sont généralement confiés à des télématiciens comme Astrata, Eliot, Groeneveld, Masternaut, Transics, Trimble, Truckonline, Vehco, ou Webfleet (Tomtom). Leur rôle essentiel est d’assurer l’échange d’informations entre le véhicule et les logiciels du transporteur utilisés pour l’exploitation, la gestion du parc, la paie ou la logistique. Pour l’exploitation, les TMS d’Akanea, Alpega, Item, ainsi que de Cofisoft, GPI et Xyric sont largement répandus. Solid Expert est pour sa part la solution de gestion sociale la plus répandue.
Dans bien des cas, tracteur et remorque ne forment pas un ensemble routier pour la télématique, qui les traite indépendamment l’un de l’autre. Les choses changent peu à peu avec l’arrivée de boîtiers pour semi-remorques chez les télématiciens et avec l’ajout de services qui reconstituent les ensembles routiers. C’est par exemple le cas du Dual Control d’Ekolis. L’une des contraintes subies par la « télématique remorque » est l’alimentation électrique intermittente de celle-ci.
Comme les frigoristes, les manufacturiers de pneumatiques ont lancé leurs solutions connectées pour les semi-remorques. Leur but prioritaire est la surveillance de la pression des pneumatiques afin d’éviter leur éclatement. Le ContiPressureCheck (CPC) de Continental automatise l’appariement des capteurs de la remorque avec le boîtier du tracteur (ATL, Automatic Trailer Learning). Dans ce cas, la semi-remorque n’est communiquante que lorsqu’elle est attelée avec un tracteur équipé du CPC. Les données de celui-ci s’intègrent aux informatiques Astrata, frameLogic, LOSTnFOUND ou MixTelematics. Si la télématique des constructeurs de camions laisse souvent de côté celle des semi-remorques, c’est entre autres parce qu’il n’existe pas de protocole standardisé pour l’envoi des données de la remorque par Bluetooth vers le tracteur. Fleetboard (Mercedes) propose toutefois deux niveaux de service liés aux remorques. Le plus simple (Trailer ID) se contente d’enregistrer les attelages et dételages. La version évoluée (Trailer Data) intègre aux services Fleetboard les données envoyées par les boîtiers des semi-remorques. Actuellement, cette possibilité est limitée aux marques Krone et Schmitz Cargobull, dont les semi-remorques sont des objets connectés autonomes. D’autres marques seront proposées ultérieurement par le Fleetboard Store. Autre service proposé par Mercedes, la maintenance prédictive Uptime prend maintenant en charge les données de la remorque qui passent par le calculateur EBS. Ici, la semi-remorque doit être attelée pour communiquer. Ses messages concernent l’étanchéité du circuit pneumatique freinage, les raccordements électriques, l’usure des freins et la pression des pneus. Chez MAN, les clients RIO suivent leurs semi-remorques grâce au Trailer Connector d’Idem Telematics. Il impose l’installation d’un boîtier communiquant sur la semi-remorque, dont les données (géolocalisation, etc.) seront partagées sur la plateforme RIO. Pour sa part, le portail Volvo Connect donne accès aux données des remorques équipées par Novacom. Kögel Telematics Connectivity agrège les données envoyées par les semi-remorques équipées du boîtier Kögel. Quant à Kässbohrer, il monte le TX-Trailerguard de Wabco (Transics).
Déclinée en versions Geoloc & Usage et Safety & Maintenance, l’Effitrailer de Michelin Solutions est une solution d’optimisation du parc de semi-remorques qui vise à la fois la sécurité, la profitabilité et la qualité de services. Effitrailer se fonde sur différents constats. Avant tout, les remorques font 21 % de leurs trajets à vide. Ensuite, 70 % des dépannages liés aux pneumatiques concernent la remorque alors qu’elle a autant de pneus que le tracteur. Enfin, le coût moyen d’une immobilisation de semi-remorque s’élève à 1 000 euros. Afin d’optimiser l’emploi des semi-remorques tout en réduisant leurs risques d’immobilisation, Effitrailer fait appel à une meilleure gestion de la pression des pneus des semi-remorques, à une géolocalisation et à une meilleure relation transporteur-chargeur. De nombreuses balises autonomes pour le suivi des remorques, des semi-remorques ou des conteneurs sont aujourd’hui disponibles chez Blue Tree Systems, Ekolis, Eliot, Nomadic, Novacom, Ocean (Orange Business Services), Securitas (Truckguard), Traqueur, Traxens, Trimble (Trailer4U), Truckonline ou Ubidata. Les balises traditionnelles utilisent généralement le GPRS (General Packet Radio Service) des réseaux de téléphonie mobile, ce qui impose une carte SIM et les coûts associés. Performant, le GPRS a une consommation d’énergie relativement importante. Beaucoup plus économes, les réseaux LPWAN (low-power wide-area network) autorisent une très longue autonomie pour leurs balises, mais celles-ci ne permettent que l’envoi de très courts messages. Alors qu’il existe des brouilleurs pour le GPRS, il n’en existe pas à ce jour pour les LPWAN. Parmi les LPWAN, on trouve le réseau Sigfox et la technologie de modulation LoRa qui est notamment utilisée par les balises Objenious (Bouygues Telecom). En réaction à la mise en place des réseaux LPWAN, Orange a lancé le LTE-M qui utilise le réseau téléphonique en place avec une consommation d’énergie réduite, mais néanmoins supérieure à celle des LPWAN. Ils permettent une géolocalisation par TDOA (time difference of arrival) dont la précision dépend de la densité du réseau d’antennes. Hors cas particulier, elle est beaucoup moins précise que le GPS. C’est pourquoi les balises TiFiz XTrak de Ticatag utilisent le GPS bien qu’elles communiquent par le LPWAN Sigfox. Ce dernier limite la communication quotidienne à 140 messages par balise, avec 16 octets par message. C’est suffisant pour envoyer les mesures réalisées par des sondes. La pile du XTrak dure trois ans si elle envoie une localisation par jour. Sur les semi-remorques, la disponibilité d’une source d’énergie en cas d’attelage incite à l’emploi d’une balise rechargeable comme le XTrak-R.
Dhollandia avec son hayon connecté, Hiab avec HiConnect et plus récemment Benalu avec EasySecurity témoignent de la tendance actuelle à connecter la carrosserie. Avec HiConnect, la grue auxiliaire devient un objet connecté. Le but est de maximiser la disponibilité de l’outil tout en suivant précisément ses conditions d’utilisation. HiConnect est en fait un fournisseur d’ICP (indicateurs-clés de performance, ou KIP) grâce auxquels l’exploitant sait ce que fait sa grue, quand et où. Le temps d’utilisation, les charges supportées et les anomalies sont transmises. Une surcharge, un moteur au ralenti sans activité de la grue, ou une période de circulation routière avec une grue ou des stabilisateurs incomplètement repliés, ne passeront plus inaperçus. Ce suivi rend possible une maintenance prédictive, déterminée par les conditions réelles d’emploi. On évite ainsi la panne, toujours synonyme de perte d’activité. Pour l’atelier, ce type de maintenance permet la planification de l’activité, toujours préférable aux actions curatives déclenchées à la suite d’une avarie intempestive. Agissant à la manière d’un FMS (fleet management system), HiConnect géolocalise le matériel, identifie les opérateurs et les machines. HiConnect renseigne sur une contamination de l’huile, mais aussi sur les cycles d’utilisation, le temps d’engagement de la prise de mouvement, le temps réel d’utilisation ou la maintenance à prévoir.
Très exigeante en matière de détection des excursions de température, la logistique du froid a suscité l’arrivée de carrosseries connectées adaptées au suivi de température. Carrier, Chéreau, Lamberet ou Schmitz, entre autres, réalisent des carrosseries communiquantes qui transmettent les informations utiles du groupe, notamment un niveau de carburant faible ou une défaillance. L’enregistrement de la température à bord (y compris avec des sondes à inertie), la détection des ouvertures de portes et leur géolocalisation font partie des fonctions de base auxquelles s’ajoutent des remontées d’informations depuis le train roulant de la semi-remorque (pression des pneus, détection de la charge, etc.). Les carrossiers du froid ont ainsi développé leurs propres offres télématiques fondées sur les carrosseries frigorifiques connectées. Dans le cas de Carrier Transicold, l’enregistreur de température DataCOLD 600 est associé à la plateforme télématique COLDTrans. Thermo King propose sa BlueBox, qui suit précisément l’état du groupe et permet son pilotage à distance tout en assurant la géolocalisation. En général, un groupe frigorifique contient un moteur et donc une source d’électricité. Cela facilite l’installation d’un dispositif électronique. Dans les autres cas, le système embarqué par la semi-remorque emploie une pile longue durée ou une batterie. Les fonctions se multiplient avec, par exemple, le lancement par Kögel d’une télématique pour semi-remorques capable d’identifier automatiquement les roues (le capteur TPMS est cerclé sur la jante) sans opération d’appariement manuel.
Faute de format de données et de protocoles communs aux différents acteurs du marché, l’interopérabilité s’obtient par le biais d’API. Avec elles, l’échange d’informations a lieu au niveau des serveurs. Elle ne permet donc ni l’agrégation de données au niveau des véhicules, ni la réduction du nombre de boîtiers communicants à leur bord. Face à cette diversité, un nouveau métier a émergé, celui d’agrégateur de données. Des prestataires comme S3PWeb se proposent de créer des passerelles entre les systèmes. Tant qu’il n’y aura pas de standardisation des formats de données ou des API, les possibilités de migration et d’évolution de l’informatique du transport resteront dépendantes des coûts et des délais d’adaptation supportés par le transporteur. Celui-ci a donc intérêt à voir émerger une véritable interopérabilité entre les systèmes qu’il est susceptible d’utiliser. Après les véhicules, ce sont les contenants (palettes, rolls, emballages réutilisables) qui se connectent.
Afin de fédérer ce foisonnement de données, une standardisation des échanges est souhaitable.
Loïc Fieux