Depuisjuillet 2014, la loi Savary impose aux employeurs de conducteurs routiers, quel que soit le pavillon du véhicule, de veiller à ce qu’ils prennent leur repos hebdomadaire normal de 45 h hors de la cabine. Pour les contrevenants, la peine encourue va jusqu’à un an d’emprisonnement et 30 000 € d’amende. Bien que contestée par de nombreux États membres(1), cette mesure est également appliquée en Belgique et, plus récemment, en Allemagne. Outre-Rhin, la loi votée le 16 mai 2017 précise que des installations adaptées pour dormir doivent être disponibles pour le conducteur à l’endroit où il prend son repos. Toute situation l’obligeant à rester à proximité du véhicule ou l’absence de lit pouvant être utilisé hors du véhicule ne peut être considérée comme « installation adaptée ». Autrement dit, tout repos pris dans la cabine ou dans un lieu non équipé d’installations appropriées ne peut se prévaloir comme repos hebdomadaire régulier. Dans le paquet Mobilité publié le 31 mai dernier, la Commission européenne aborde aussi le repos hebdomadaire normal en proposant d’interdire sa prise dans le véhicule. À cette fin, l’employeur serait tenu de mettre à la disposition des conducteurs un lieu d’hébergement adéquat comprenant un matériel de couchage et des installations sanitaires appropriées.
Pour Florence Berthelot, déléguée générale de la FNTR, cette interdiction suppose « des équipements adaptés en termes de couchage, restauration et de sanitaires tels que douches et toilettes sur les réseaux routiers européens comme en France ». Un avis partagé par Pascal Vandalle en charge des activités Route au sein de TLF : « Il n’existe pas en nombre et en qualité suffisante de telles infrastructures, de surcroît avec un niveau de sécurité qui limite le vol de fret et de carburant ». Un bref recensement établit en effet à environ 2 000 le nombre de places disponibles sur la quinzaine de parkings sécurisés existants en France. Et tous sont loin de faire le plein. « À raison de 40 € le week-end et de 20 à 25 € la nuit en moyenne par véhicule, la facture chiffre vite », calcule Pascal Vandalle. Outre leur nombre modeste dans l’Hexagone, « leur maillage géographique est loin d’être homogène avec le risque de parcourir des dizaines de kilomètres pour y stationner. Il est donc quasi impossible de planifier des arrêts sur ces aires sécurisées sur le trajet », relève Florence Berthelot. Sur le fond, FNTR et TLF estiment en revanche que l’évolution des parkings sécurisés vers des centres multi-services dédiés aux transporteurs routiers est une bonne approche.
Tel est d’ailleurs le sens de plusieurs textes européens dont le plus récent est le règlement 885/2013. Complétant la directive 2010/40 sur les services d’information concernant les aires de stationnement sûres et sécurisées, il sous-entend l’aménagement de ce type de parc tous les 100 km environ sur les corridors routiers européens RTE-T, les zones transfrontalières en particulier. Mieux, un dispositif informatique est censé informer les conducteurs sur les capacités et le nombre de places disponibles en temps réel. L’entrée en vigueur de ces mesures est programmée d’ici à 2020.
Dans cette perspective, deux programmes européens ont été lancés dont SETPOS (Secured Truck Parking Operation Services) en juin 2007 avec un budget de 10,9 M€ financé à 50 % par la Commission. Son but, lutter contre la criminalité sur les routes à travers 3 actions : renforcer la sécurité des parkings au moyen de normes pour leur aménagement, développer un système d’information et de réservation, et définir une certification dédiée.
Sur cette base, 4 parkings pilotes ont été aménagés en France (Truck Etape à Valenciennes), Allemagne (2 sites à Wörnitz et Uhrsleben) et en Grande-Bretagne (Ashford). Imposant des critères élevés dont en matière de protection de l’environnement, le cahier des charges financier bâti à partir de ces installations s’est avéré important, et peu de parkings sécurisés ont été construits sur ce modèle. Sous le nom de Truckinform.eu, la plateforme d’information et de réservation a bien vu le jour aussi. Ouverte en février 2009, elle ne fonctionne plus depuis 2013 et est aujourd’hui en vente. Recensant alors 2 500 parkings sécurisés ou non dans 40 États membres, Truckinform proposait jusqu’à 12 critères de sécurité pour choisir un parking. Quant à la démarche de certification, elle a fait l’objet d’un second programme baptisé LABEL. Lancé en septembre 2008 avec un budget de 2,7 M€, il a débouché début 2011 sur un système labellisation et d’évaluation autour d’une classification en cinq catégories de sécurité et de confort.
À partir du socle développé par STEPOS et LABEL, des initiatives privées ont pris le relais comme celle de l’organisation européenne des parkings sécurisés ESPORG. Avec le concours de DEKRA, elle propose un programme de certification des aires sécurisées s’inspirant du modèle conçu par LABEL. Membre de l’International Road and Transport Union (IRU) et reconnue par les autorités européennes, ESPORG intervient en qualité d’expert sur les aires sécurisées, et informe sa quarantaine d’adhérents — dont 13 sont français — sur les nouvelles techniques de prévention et de sécurisation jusqu’à la recherche de financement.
De son côté, l’IRU a développé l’application gratuite Transpark (www.iru.org/apps/transpark-app). Ouverte à tous supports informatiques et télématiques fixes et mobiles connectés, cette plateforme permet de trouver et d’ajouter des parkings sécurisés dans plus de 50 pays. S’inspirant fortement du portail Truckinform, Transpark sélectionne l’aire sécurisée à partir de critères de sécurité et/ou de confort choisis par le conducteur qui peut, en outre, enrichir sa base de données de commentaires. L’éditeur PTV est également à l’origine d’une application gratuite aidant à trouver des parkings sécurisés en Europe. Baptisée Truck Parking Europe, elle propose divers filtres pour affiner sa recherche ainsi qu’un espace de dialogue destiné à recevoir les commentaires et évaluations des conducteurs. En sus des supports fixes et mobiles connectés, Truck Parking Europe est accessible à partir des boîtiers TomTom Remaining Driving Time (RDT).
Avec 6 parcs à Valenciennes, Communay, Montélimar Est, Labenne et Lunel, le groupe Vinci (Concessions et autoroutes) gère plus d’un tiers des places de stationnement sécurisées PL en France. Parmi eux, le Truck Etape de Valenciennes avec ses 249 places dont 49 aménagées il y a un an, affiche « un taux d’occupation de 90 % avec des formules d’abonnement à l’année, au mois et aux week-ends assorties de tarifs préférentiels », présente Philippe Morvillers, responsable du site. Lequel dispose d’une zone de 50 places dédiées aux marchandises dangereuses soumise à des procédures spécifiques mises en œuvre avec les forces d’intervention. Doté d’une réserve foncière pour une nouvelle extension d’une cinquantaine de places, le centre routier multi services sécurisé situé à la sortie 20 La Sentinelle de l’A20 emploie ses propres personnels, et a délégué à la société Security Consulting Services sa sécurité. « 7 j/7 H 24, un accueil est assuré. De l’entrée à la sortie du véhicule, 100 % des mouvements sont suivis par vidéosurveillance et enregistrés. En sus de la sécurité, les conducteurs attendent un bouquet de services : restauration, wifi qui sera bientôt accessible sur l’ensemble du parking, simplicité de paiement, espace de détente et de repos, équipements sanitaires, douches et toilettes, entretenus… À proximité, ils trouvent également une station-service, une aire de lavage et un contrôle technique ». De 6 à 22 h, les deux premières de stationnement sont gratuites offrant ainsi l’accès aux services de restauration.
Certifié ESPORG 4 étoiles pour le confort et 4 cadenas en termes de sécurité, le Truck Etape de Valenciennes, site pilote du programme SETPOS, bénéficie « d’une excellente localisation géographique », selon Philippe Morvillers. Tel est le cas aussi du parking géré par APPR sous franchise Park +, filiale du groupe autoroutier APRR (60 %) et d’Egis Projects (40 %), à Réau sur l’aire de Galande-la-Sablière en Seine-et-Marne. Accessible par l’A105, l’A5b ou la RN 104, « sa capacité a été doublée début 2017 pour la porter à 200 places, et son taux d’occupation s’élève déjà à plus de 80 %. Cette extension répond à la forte demande de stationnement sécurisé au sud de Paris et de services dédiés aux conducteurs », explique Frédéric Dune, co-gérant de Park + et directeur régional Rhône-Alpes d’APRR. Cette forte attractivité tranche avec le second parking sécurisé exploité par Park + à Langres Sud. « Avec 230 places, son taux d’occupation est de l’ordre de 50 % ». De nature à fidéliser une nouvelle clientèle, son restaurant a changé de propriétaire début juillet. La sécurisation des deux sites, chacun à proximité de stations-services, est sous-traitée à des sociétés spécialisées : Protec à Réau et Prosegur à Langres Sud. « Il s’agit d’un métier à part entière qui nécessite des équipes formées et qualifiées ». Avec 530 places au total, Park + est le 2e opérateur de parkings sécurisés en France avec 25 % des capacités proposées.
Avec Sanef à Vémars sur l’A1 ou Alis qui propose des stationnements sécurisés gratuits sur deux aires de l’A28 (Harcourt et Haras), les sociétés d’autoroutes demeurent les principaux gestionnaires d’aires sécurisées en France. Elles ne sont toutefois pas les seules. À l’instar des Transports Polley et Logistique à l’origine du Polley Secured Lorry Park ouvert en 2008 à Marck-en-Calaisis, le groupe de transport et de logistique VLB s’est également lancé sur ce marché sous la marque DK Trucks Park. « Notre installation est opérationnelle depuis mars 2015 à Craywick, à la sortie 53 de l’A16. À 6 km des terminaux portuaires de Dunkerque et à 30 km des ports de Calais et d’Eurotunnel, il affiche un taux d’occupation de près de 95 %. De 250 places, une extension de 50 places supplémentaires sera achevée en août », confie Thierry Vanlembrouck, dirigeant du groupe VLB. Avec C4T (ou All 4 Trucks) à Marck, le Calaisis compte désormais 3 parkings sécurisés. « Pour autant, nous ne sommes pas concurrents car la demande est forte ». Propriétaire du foncier, VLB sous-traite la sécurisation H24, 7 j/7 à la société ATOS. Certifié niveau 3 en terme de sécurité par TAPA et ESPORG, le site a passé un audit pour atteindre le niveau 4. DK Trucks y propose en outre une offre de restauration libre-service complétée par des équipements sanitaires, salle de repos et espace de détente, accès wifi gratuit etc. « Avec Total AS24 prochainement, nous accepterons tous les télébadges qui représentent 90 % des paiements, et une station GNV est prévue courant 2018 ».
Au sud de Béziers à Vendres sur l’A9, FAL Distri est également un nouvel acteur sur le marché. « Début 2017, nous avons repris à Vinci-Concessions/ASF, la gestion de son parking sécurisé Truck Etape de 350 places sur 8 ha. Depuis nous avons engagé des investissements de modernisation et d’optimisation (sanitaires, gestion automatisée des entrées/sorties par télébadges, station-service rénovée…), et relancé l’offre de restauration composée de deux restaurants dont un à l’attention des conducteurs PL. Les 2 premières heures de stationnement sont gratuites et donnent accès à nos restaurants », présente Antoine Lecea, président de FAL Distri et ex-président de Dyneff France. « Avec un taux d’occupation de 60 % en croissance chaque mois, notre centre multi-services sécurisé est situé dans une zone où transitent 15 000 camions par jour. Nous sommes convaincus que les nouvelles règles sur la prise des repos des conducteurs renforceront notre attractivité ». Certifié ESPORG 4 cadenas et 5 étoiles, le site dont le parking ombragé est recouvert de panneaux photovoltaïques a pour projet un hôtel d’une centaine de chambres d’ici fin 2018. « Les études de marché sont en cours. » FAL Distri déclare en outre un second projet de parking sécurisé à Toulouse sur la plateforme Eurocentre. « Il y existe déjà un restaurant et une station-service mais le parking n’est pas sécurisé. Nous avons proposé l’aménagement d’une aire sécurisée de 200 places ».
Premier parking sécurisé PL du Grand Ouest créé en 2009, SecuriTpark est né des besoins exprimés par les entreprises de transport membres de la CCI des Deux Sèvres. Aménagé sur le centre routier de la Crèche le long de l’A10 qui héberge également une station-service, un garage PL, un hôtel et un restaurant, le site certifié ESPORG 3 cadenas et 3 étoiles propose 40 places. Malgré cette capacité réduite, SecuriTpark a réussi à optimiser ses coûts d’exploitation en automatisant l’ensemble de ses procédures sécurité, sous-traitées à la société spécialisée SO Space. « En croissance permanente depuis sa création, notre taux d’occupation s’élève à 70 % et augmentent chaque mois avec une accélération en 2016 et sur le début de l’année 2017 », confie Karine Pailler, directrice du service Aménagement et Equipement de la CCI des Deux Sèvres. Laquelle étudie une extension qui doublerait la capacité du parc. « Notre région est productrice de produits à forte valeur comme le cognac, et nous constatons une nouvelle demande liée au développement de la certification Opérateur économique agréé (OEA). Laquelle impose de sécuriser l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement, parcours routiers compris ». La montée en puissance du label OEA est également un argument défendu par TLF en faveur du développement des aires sécurisées en France…
Qui doit assumer le coût du stationnement sur un parking sécurisé ? Pour la FNTR et TLF, les tarifs pratiqués (40 € le week-end et entre 20 à 25 € la nuit) peuvent en effet constituer un frein pour les transporteurs dans un secteur à faible marge. Cet avis semble partagé par l’ESPORG qui plaide pour que les chargeurs participent. « Il devrait être du devoir des chargeurs de couvrir certains coûts de transport au titre de leur risk management », indique l’organisation européenne des parkings sécurisés. Pour alléger le poids des investissements répercutés sur les tarifs des gestionnaires d’aires sécurisées, elle défend aussi l’intervention des États membres. Sous la forme par exemple de partenariat public-privé, ces derniers pourraient notamment intervenir dans la mise à disposition de foncier et la simplification des procédures administratives. L’ESPORG invite également les compagnies d’assurance à inciter leurs clients, chargeurs et transporteurs, à imposer l’usage d’aires sécurisées contre rabais sur leurs primes.
Fédérant des logisticiens, transporteurs, chargeurs et assureurs européens ainsi que les agences et offices spécialisés dans la lutte contre la criminalité organisée dans les transports et la logistique, l’association anglo-saxonne TAPA (Transported Asset Protection Association) a signalé, en juin dernier, une forte croissance des vols et attaques de fret sur la zone EMEA. Sur les cinq premiers mois de l’année 2017, elle relève 950 actes dont 73 % sur des aires de stationnement non sécurisées, et une progression de près de 60 % au 1er trimestre. Face à ce fléau, l’association dont les travaux sont menés de concert avec l’ESPORG a lancé un programme en faveur de la labellisation des parkings sécurisés. Lequel s’adresse aux gérants de sites afin qu’ils se mettent en conformité avec ses standards de sécurité PSR (Parking Security Requirements). Au total, 520 aires seront approchées dans 35 pays.
(1) Hongrie, République tchèque, Pologne, Lituanie, Lettonie, Estonie, Bulgarie, Roumanie, Espagne, Portugal et Irlande