Navigation Ports & Intermodalité : Quel bilan faites-vous de l’année 2023 ? Tous les enseignements de la crise covid ont-ils été tirés en ce qui concerne le transport de marchandises ?
Xavier-Yves Valère : 2023 n’a pas été une bonne année pour les flux de marchandises.Inflation, recul des marchés, mouvements sociaux… les causes sont multiples.Le report modal en a souffert, le fret ferroviaire étant particulièrement touché par la hausse des tarifs de l’électricité. Il n’y a donc pas eu d’augmentationde la part modale du fer en 2023, mais la stratégie ferroviaire mise en place a limité les effets de ces crises conjoncturelles.
Suite à la pandémie, il y a eu une vraie prise de conscience de l’importance de la logistique dans l’économie. De nombreuses personnes pensaient qu’ellen’était pas stratégique, que l’intendance suivrait. Avec le covid on s’est aperçu que, parmi ceux qui ont fait tenir le pays pendant les confinements, il y avait la logistique.
Les sujets de souveraineté et de gouvernance ont aussi été mis en avant, sans que cela ne s’oppose à une construction fraternelle avec les pays voisins. La question de la relocalisation industrielle, aussi, se pose avec plus d’acuité. Le covid a apporté cette prise de conscience, qui a beaucoup inspiré la stratégie nationale logistique.
Dans une économie décarbonée et de relocalisation de la production industrielle, les besoins vont évoluer avec moins de transport de pétrole mais davantage de transports de proximité ou de matériaux liés au recyclage ou à la rénovation énergétique. Nos études montrent que les besoins de transports vont augmenter de 12 % d’ici 2030, alors qu’intuitivement on anticipait plutôt une baisse. L’Allemagne, qui a fait un exercice prospectif similaire, estime que les transports de marchandises augmenteront de 45 % d’ici 2050.
NPI : Quelle est l’articulation entre la stratégie nationale logistique et les conférences régionales fret et logistique ?
X-Y.V. : À travers la stratégie nationale logistique, nous avons souhaité mettre en place une gouvernance à chaque échelle de territoire où il y a une pertinence à le faire. Une des actions de cette stratégie consiste à territorialiser les décisions. C’est le cas à l’échelle des métropoles pour la logistique urbaine, dans le cadre des ZFE. C’est aussi le cas à l’échelle régionale, avec l’élaboration d’une feuille de route logistique à l’issue des conférences régionales fret et logistique qui ont été tenues dans chaque région métropolitaine.
Un volet logistique a aussi été inséré dans le Sraddet (Schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires). À l’échelle de la région, l’ensemble des décideurs publics et privés ont un intérêt pour favoriser une logistique plus durable mais personne n’est en capacité de piloter seul une stratégie en la matière.
Les décideurs publics, même si ils sont déjà actifs dans le financement des plateformes multimodales par exemple, n’ont pas toujours de prise sur la localisation d’investissement privés. Les conférences régionales permettent aux décideurs publics et privés de mettre en cohérence et partager leurs politiques touchant les questions d’emploi, de réindustrialisation, de gestion de la raréfaction du foncier et de report modal.
NPI : Comment le secteur de la logistique, grand consommateur de foncier, peut-il s’adapter à l’objectif de zéro artificialisation nette inscrit dans la loi ?
X-Y.V : La DGITM travaille avec le pôle statistique ministériel pour mieux caractériser les besoins de foncier, car il y a souvent une difficulté à connaître l’existant et à appréhender les besoins à venir. Nous allons, dans les prochains mois, mettre à disposition des décideurs des statistiques plus précises : ces éléments de diagnostics vont aider à bien évaluer les besoins. Mieux caractériser le besoin est utile pour doubler le fret ferroviaire d’ici 2030 et coller ainsi aux parts modales des autres pays d’Europe, il faut en France de nouvelles plateformes de transport combiné, positionnées là où les flux le nécessitent.
L’objectif de zéro artificialisation nette est une contrainte qui permet aussi de poser les bonnes questions et de déterminer les localisations les plus opportunes qui permettront de décarboner efficacement les transports. Car notre sujet principal reste la décarbonation de flux de marchandises. Pouvoir bien positionner un entrepôt, le construire sur plusieurs étages : voila des pistes d’optimisation, qui nécessitent une analyse précise des besoins.
Quand le foncier était plus abondant et moins coûteux, on avait éloigné les entrepôts des villes. Cela implique, dans les métropoles, une augmentation des distances parcourues. La politique de logistique urbaine nécessite de revoir le positionnement de ces entrepôts et de repenser la localisation des ruptures de charge.
NPI : La décarbonation du transport routier passe par l’électrification : comment rendre les camions électriques abordables financièrement pour les entreprises ?
X-Y.V. : Suite à la loi climat et résilience, une feuille de route de décarbonation de la filière des véhicules lourds a été élaborée avec les transporteurs, les chargeurs et les énergéticiens. Ces travaux ont permis d’estimer que le coût d’usage pour les camions diesel et électriques seraient équivalents entre 2030 et 2035, alors que les premiers sont aujourd’hui deux à trois fois moins chers que les seconds. Des aides ont été mises en place pour les entreprises qui achètent des camions électriques, dont l’enveloppe est passée de 20 M€ en 2022 à 60 M€ en 2023 et il est prévu qu’elle augmente encore en 2024.
Il s’agit aujourd’hui d’une politique d’amorçage, où les grands chargeurs et les transporteurs apprennent l’exploitation et la maintenance d’une flotte de poids-lourds électriques. En complément des aides budgétaires, nous devons travailler à une meilleure répercussion des surcoûts de cette électrification.
NPI : En ce qui concerne la logistique urbaine, les Jeux Olympiques et paralympiques seront-ils un accélérateur de la décarbonation ?
X-Y.V. : Interlud est le principal programme visant à aider les collectivités et les acteurs privés à décarboner la logistique urbaine. C’est grâce à Interlud que l’on met en place avec la métropole du Grand Paris un système de logistique urbaine pour les Jeux Olympiques. Les arrêtés de circulation qui fixent les gabarits, poids et horaires de circulation ne sont pas aujourd’hui disponibles dans les logiciels d’itinéraires.
Nous allons mettre en place, à l’échelle de la petite couronne francilienne, une base de donnée nationale pour que tous les livreurs intervenant en région parisienne pendant les JO puissent gagner de la visibilité avec une solution logicielle complète JOPtimiz, développée par Interlud+. Le développement de ce système a été accéléré par les JO, avec une mobilisation évidente de toutes les fédérations professionnelles concernées et de tous les acteurs, depuis les communes jusqu’aux éditeurs de logiciels d’itinéraires.
Les Jeux ont servi de catalyseur pour ce projet, qui restera comme un héritage également utile pour les services en charge de gérer la police de voirie et stationnement. Cet outil intéressera d’ailleurs toutes les collectivités pour la gestion de leurs zones à trafic limité, comme par exemple les aires piétonnes.
NPI : La relocalisation portuaire et logistique était un des objectifs majeurs de la stratégie nationale portuaire : cette relocalisation est-elle en cours ?
X-Y.V.: Ce que l’on peut constater c’est qu’il y a de nombreux investissements dans nos grands ports qui sont de fait nos plus grandes zones industrielles. On a arrêté de déraper dans l’indice de performance logistique de la Banque mondiale, la France étant remonté de la 16e à la 13e position. Cette progression est le fruit d’un grand travail des acteurs publics et privés impliqués dans la mise en œuvre de la stratégie nationale portuaire menée pour améliorer la performance de l’administration française dans le passage portuaire. Cela fait bénéficier ceux qui choisissent les ports français de toute la qualité et les facilités douanières européennes.
Sur la frontière la plus exigeante, celle avec le Royaume-Uni, les formalités douanières se font très rapidement, durant le temps de la traversée, sans arrêt des camions sauf absence de document ou contrôle aléatoire. Les contrôles douaniers, sanitaires et phytosanitaires sont centralisés dans les mêmes locaux. C’est une réponse concrète de l’État pour améliorer la compétitivité des ports français.
NPI : L’efficacité des ports doit aussi être renforcé par les politiques d’axes mises en place depuis de nombreuses années : quelles perspectives en la matière ?
X-Y.V. : Les ports ne sont pas uniquement des lieux de passage mais aussi d’activité logistique et industrielle. Les politiques d’axe facilitent l’implication de tout un territoire au-delà de la seule zone portuaire. Il y a trois axes de coopération portuaire et logistique sur la Seine, en Méditerranée Rhône-Saône et dans les Hauts-de-France.
Une préfiguration est en cours en région Grand Est, suite à une demande de la conférence logistique régionale. Il s’agit de faire coopérer les ports du Rhin, de la Meuse et de la Moselle et toutes les plateformes logistiques de la région. Les politiques de coopérations sur les axes apportent aux ports plus de profondeur et de capacité à agir avec leur hinterland. Cela donne de la visibilité au passage par des ports français plutôt que par des ports étrangers.
Nous allons compléter la stratégie nationale portuaire par une stratégie nationale fluviale, qui doit aussi inclure le petit gabarit et le transport de passagers. Des groupes de travail ont été mis en place dès le 16 février, qui aboutiront dans les prochains mois à une feuille de route partagée publique et privée. Cette stratégie fluviale est pilotée par la DGITM et associe les collectivités et les opérateurs économiques.
La stratégie nationale ferroviaire avait été construite avec 4F, la stratégie logistique avec France Logistique et la stratégie portuaire avec le Cluster maritime. Pour le fluvial, de nombreux acteurs économiques y contribuent comme E2F (Entreprises fluviales de France), des chargeurs, des commissionnaires et des opérateurs portuaires qui participent à l’élaboration de la stratégie nationale.