Les chiffres annuels à l’échelle du bassin de la Seine ne sont pas encore connus, mais pour les trois ports de Haropa, qui représentent la majorité du trafic, la manutention des matériaux liés au BTP transportés en fluvial était, à fin novembre 2020, en hausse de 12 % par rapport à l’année précédente. Une progression qui s’explique, selon l’ensemble portuaire, par « l’incontournable place du fluvial dans la construction du Grand Paris Express et les travaux des Jeux Olympiques 2024. » Au-delà de ces grands chantiers, qui créent pour les bateaux fluviaux de grandes quantités de déblais à transporter, la dynamique du secteur de la construction est aussi à l’œuvre, malgré une interruption de nombreux chantiers au printemps pour cause de confinement.
« Pour les transports de granulats, 2020 n’a pas été une mauvaise année, mais on a accusé le coup du premier confinement. De nombreux chantiers ont, en effet, été mis à l’arrêt au printemps, mais une partie du retard pris a été rattrapée au cours de l’été. Les transports de vrac s’en sortent bien mieux que d’autres filières fluviales, notamment les passagers. Cela dépend aussi des bateaux : ceux qui peuvent travailler sur des marchandises devant être couvertes ont pu transporter des céréales au printemps, et s’en sortent donc mieux que ceux dont les bateaux ne disposent pas de panneaux d’écoutilles », explique Christine Morel, responsable du développement commercial de la coopérative de transport fluvial SCAT.
Des perspectives positives
Après le rattrapage de l’été, l’activité s’est de nouveau ralentie en fin d’année, ce que Christine Morel attribue à des reports de marchés de la part de collectivités pour des raisons budgétaires, entraînant une moindre demande en matériaux de construction. Au total, sur l’année 2020, la SCAT a transporté 2 Mt de déblais et matériaux de construction, contre 1,8 Mt en 2019. La baisse des transports de matériaux de construction a, en effet, été plus que compensée par l’augmentation des évacuation de déblais, avec, par exemple, 92 000 t transportées depuis le site de construction du village olympique à destination de Gennevilliers. Une quantité importante, si l’on considère la faible distance entre les deux sites, qui aurait tendance à privilégier le transport routier.
Pour Cemex aussi, l’année a été marquée par l’arrêt du printemps et une reprise à très bon rythme à partir de l’été. Au total, le fluvial s’est relativement bien porté en 2020, avec une contraction de moins de 5 % des volumes transportés par rapport à 2019. Du côté de Lafarge, en revanche, la vente de matériaux de construction en Île-de-France a diminué de 10 à 20 % en 2020, avec seulement 2,1 Mt de granulats transportés en fluvial. L’activité fluviale a, toutefois, été soutenue par les évacuations de déblais des chantiers du Grand Paris Express, avec le démarrage d’un grand nombre de tunneliers. Lafarge, qui avait transporté 350 000 t de déblais en 2019, principalement à destination de ses carrières de la Seine aval, mais aussi de la Picardie ou des environs de Montereau-Fault-Yonne, a atteint 900 000 t pour cette activité en 2020. Or, explique un des directeurs généraux de Lafarge granulats, William de Lumley : « Les déblais des divers chantiers parisiens reçus sur les plateformes de Gennevilliers ou Nanterre sont équivalents en 2020 à ce qu’ils ont été en 2019. L’effet Grand Paris est donc très important ».
Pour 2021, les perspectives sont bonnes pour les transports de déblais pour Cemex : le responsable de l’activité portuaire, Xavier Cazard, affiche « un bon prévisionnel sur les gros chantiers, avec des volumes d’activité importants apportés par le Grand Paris et le village olympique. » L’année s’annonce bonne aussi pour la SCAT en ce qui concerne les transports de matériaux de construction. Du côté des déblais, des appels d’offres sont en cours pour le village olympique, mais les lots attribués sont plus modestes que pour le Grand Paris : 40 000 à 1000 000 t par lot, alors que les marchés d’évacuation des déblais du Grand Paris sont attribués par lots de 600 000 à 800 000 t. Mais avec une difficulté spécifique aux déblais extraits des tunnels des futures lignes de métro : « Sur les chantiers du Grand Paris, on se rend compte que, lorsque le tunnelier avance, la caractérisation des déblais change. Ils sont donc orientés vers des exutoires différents. Lorsque la destination change, le transport routier est parfois plus souple, surtout si le nouvel exutoire n’est pas bord à voie d’eau », relève Christine Morel.
La légitimité du fluvial
Quoi qu’il en soit, les grands chantiers, dont le Grand Paris Express est le plus massif et la construction du village olympique le plus visible, ont un vrai effet sur l’augmentation des trafics. Chez Cemex, ces deux dossiers représentent le tiers des déblais transportés sur la Seine en 2020. Surtout, note Xavier Cazard, ils font émerger une véritable volonté des donneurs d’ordre de donner la priorité aux transports alternatifs, ce qui revient le plus souvent à faire du fluvial. « À cela s’ajoute, pour les chantiers les plus importants, la nécessité d’évacuer les déblais excavés à une forte cadence. Or le fluvial permet, si le chantier est bien organisé, d’évacuer facilement jusqu’à 4 000 t par jour, ce qui n’est pas possible en camion ».
Les évacuations fluviales de déblais des tunnels du Grand Paris, qui ont commencé en 2017, atteignent donc désormais des tonnages très importants et permettent aux carriers disposant de leur propre flotte, comme Cemex ou son concurrent Lafarge, de conforter leur métier de base avec des volumes conséquents. La destination de ces terres extraites dans le sous-sol francilien : le remblaiement de carrière, en Seine amont comme en Seine aval. Pour Cemex, principalement la Normandie en amont de Rouen et la Haute Seine, autour de Marolles, et, plus ponctuellement la vallée de l’Oise.
« Ces zones sont celles où l’on a des carrières et depuis lesquelles nous avons construit notre logistique fluviale. Les déblais ne sont venus que dans un deuxième temps, constituant un fret retour, mais leur part est aujourd’hui très importante, au point que le double fret est devenu quasi-systématique. Lorsque nous n’avons pas de déblais à transporter au retour, notre service logistique équilibre les flux en proposant d’effectuer des transports pour d’autres entreprises, ou, au contraire, en affrétant. Mais globalement, les flux sont très équilibrés », rappelle Xavier Cazard.
> Xavier Cazard, responsable de l’activité portuaire chez Cemex.
La visibilité offerte au fluvial par les grands chantiers permet à ce mode de faire valoir les avantages qu’il apporte pour la logistique des matériaux de construction dans l’agglomération parisienne. Les transporteurs mettent ainsi systématiquement en avant le nombre de camions évités par chaque voyage en bateau. Ce qui n’est jamais inutile, alors que les emplacements situés bord à quai, en plein Paris, occupés par les centrales à béton peuvent être remis en cause par le mouvement de conquête des berges de la Seine pour les activités de loisirs. « Pour les professionnels du BTP, le rôle du fluvial dans le Grand Paris assoit la légitimité du transport par bateau et celle d’entreprises comme la nôtre. Du côté des élus, les enjeux sont mieux compris, et cela a joué dans les appels d’offres des chantiers du Grand Paris. Mais par rapport aux riverains et au grand public, on a toujours cette crainte que notre utilité et les avantages du transport fluvial ne soient pas perçus à leur juste valeur », détaille Xavier Cazard
Le transport fluvial de matériaux de construction devrait cependant continuer, dans les années à venir, à jouer un rôle important. La progression des volumes est attendue, même après la fin de la construction du Grand Paris Express. « Une fois les lignes ferroviaires terminées, il y aura des constructions de logements et des aménagements urbains autour des nouvelles gares », souligne William de Lumley, qui anticipe « des besoins en évacuation de déblais et en acheminement de matériaux de construction qui vont prendre la suite du Grand Paris au-delà de 2025. Et ce surcroît d’activité durera encore dix à quinze ans. Bien sûr, la part de matériaux bio-sourcés va augmenter, mais on aura toujours besoin des carrières et du béton, car les fondations ne peuvent être construites en bois, et 70 % du béton utilisé dans la construction l’est dans les fondations et les sous-sols. Les matériaux de construction, bois compris, seront toujours transportés en fluvial ! »
La relève par les granulats marins
Si la fabrication de béton à partir de granulats semble pour l’heure incontournable, les sources locales de sable et de gravier, tirés du lit de la Seine, ne sont pas inépuisables. C’est pourquoi les carriers se tournent, depuis quelques années, vers l’utilisation de granulats marins, dragués en Manche et qui remontent la Seine jusqu’à Paris, s’intégrant à la logistique fluviale traditionnelle des agrégats. GSM et Cemex se sont ainsi associés pour implanter à Saint-Jean-de-Folleville, tout près du port du Havre, un site de transfert où le chargement des dragues maritimes est transbordé sur bateau fluvial. Depuis début 2020, deux carriers indépendants, Stef et Gayam, se sont joint au projet, y installant une unité de traitement pouvant laver et cribler chaque année 600 000 t de granulats dragués en Manche, avant expédition vers les centrales à béton d’Île-de-France.
Lafarge aussi se tourne vers les granulats marins, avec une concession pour les draguer au large, et une plateforme de transfert à Honfleur. Une unité de traitement est aussi prévue pour 2024 à Petiville, en amont de Port-Jérôme. Pour l’heure, les volumes concernés sont encore modestes, avec seulement 50 000 t ayant transité par Honfleur en 2020. Pour William de Lumley : « Il s’agit surtout de préparer l’avenir et d’affiner nos connaissances sur les méthodes d’exploitation et la logistique des granulats marins. Notre feuille de route est en phase avec les réserves de nos carrières en Seine, qui ne sont pas encore épuisées mais seront remplacées par les granulats marins d’ici une quinzaine d’années. Nous regardons aussi du côté de Seine-Nord Europe, qui ouvrira des perspectives pour l’acheminement vers Paris des produits de carrière du Nord et du Nord-Est de la France, où nous exploitons déjà des carrières proches de la voie d’eau. La mise à grand gabarit de la Seine amont est aussi d’un grand intérêt pour alimenter le marché parisien en fluvial, depuis des carrières utilisant aujourd’hui la route, et qui doivent donc se limiter à la périphérie de l’Île-de-France ».