De 2021 à 2023, le projet de recherche « Promovan H2 » (pour PROpulsions et MOtorisations innoVANtes) a étudié les solutions de propulsion utilisant prioritairement l’hydrogène à bord de plusieurs bateaux fluviaux fret et tourisme, représentatifs des différents types d’unité utilisées en navigation intérieure en France.
Promovan H2 a mobilisé pendant les deux ans un consortium piloté par Voies navigables de France (VNF) et comprenant le cabinet d'architecture navale LMG Marin, la Compagnie fluviale de transport (CFT), filiale du groupe Sogestran, Entreprises fluviales de France (E2F), avec le cabinet d'études TL&Associés en tant qu’assistant à la maîtrise d'ouvrage.
Le séminaire de clôture de Promovan H2 a eu lieu le 2 juin 2023 à Paris, et a été l’occasion :
- De partager les résultats issus des modélisations et des études d’intégration,
- De présenter les enseignements en termes de faisabilité pour d’éventuels bateaux hydrogène à l’avenir,
- De rappeler comment fonctionne la technologie hydrogène à bord,
- D’aborder les aspects réglementaires.
Quels étaient les participants au programme ?
« Nous avons des objectifs de « décarbonation » à atteindre pour le transport fluvial à l’horizon 2050, une feuille de route à définir pour y parvenir, a rappelé Aurélie Millot, directrice adjointe du développement de VNF, pour expliquer l’engagement de l’établissement dans le programme de recherche. Pour une réduction de 35 % des émissions de gaz à effet de serre en 2035, nous avons établi une liste de préconisations (voir article de NPI). Pour les -90 % de GES en 2050, d’autres solutions sont nécessaires du côté de la propulsion, électricité et hydrogène, qui sont aujourd’hui encore émergentes ».
« Nous avons piloté ce programme pour accompagner le développement de système hydrogène avec pile à combustible sur les bateaux fluviaux de fret et de tourisme. En plus de CFT, d’autres opérateurs ont participé au programme car l’objectif est de disséminer l’expérimentation le plus largement possible, de donner des clés techniques financières, environnementales… à tous ceux qui voudraient aller vers cette solution », a indiqué Cécile Cohas, responsable recherche et innovation à la direction territoriale de VNF Rhône-Saône. Elle a rappelé que le programme Promovan H2 faisait suite à deux autres mais nommés « Promovan » tout court : le premier sur la période 2009 à 2014 et le deuxième de 2014 à 2016. L’un des résultats de ces Promovan le plus visible a été la décision par CFT de construire un bateau à l’hydrogène (le Zulu 6).
Les opérateurs ayant participé au programme sont situés sur le bassin Rhône-Saône « car le financement a été obtenu dans le cadre de fonds européens interrégionalisés du plan Rhône-Saône » : Bateaux lyonnais, Bateaux de Provence, Kem One, CFT, Plattard, CNR, Sytral, a ajouté la responsable de VNF.
« Définir une feuille de route « décarbonation » du fluvial d’ici 2050 suppose de s’inscrire sur plusieurs temporalités en même temps. A court terme, il y a les solutions avec les carburants de substitution au gazole non routier, le déploiement du raccordement à quai pour les bateaux fret et tourisme, l’hybridation. A long terme, il y a les solutions fondées sur des énergies comme l’électricité, les différents types de gaz dont l’hydrogène qui est l’objet de Promovan H2 et avec lequel on est dans le concret avec des modélisations de cas d’usage », a dit Didier Léandri, président délégué général d’Entreprises fluviales de France (E2F), autre membre du consortium du programme.
Pour CFT, la participation aux précédents programmes Promovan a entraîné la décision de lancer la construction de ce qui est finalement le Zulu 6 à l’hydrogène, à quai au Havre en attendant d’obtenir ses permis de naviguer (voir article de NPI). Ayant constaté le bénéfice d’être accompagné dans le cadre de ce genre de programme qui rend des conclusions « utiles et intéressantes », selon Steve Labeylie, l’opérateur s’est engagé dans Promovan H2.
Pour LMG Marin, « c’était l’occasion d’une acquisition d’expériences dans le domaine fluvial, de trouver les outils technologiques possibles, les compromis à faire, puis de partager le tout pour une meilleure aide à la décision des opérateurs », a dit Vincent Rudelle.
Quelles sont les généralités à connaître sur l’hydrogène avec pile à combustible ?
L’objectif de Promovan H2 pendant 2 ans a été d’évaluer le potentiel de l’hydrogène comme source d’énergie pour applications fluviales autour des trois points suivants :
- Définir les spécifications techniques d’une propulsion hydrogène à bord selon les différents types de bateaux,
- Comment intégrer les éléments hydrogène à bord à partir de plans et de documentations techniques.
- Etablir un bilan environnemental de l’utilisation de l’hydrogène et économique.
Avant la présentation des résultats, Vincent Rudelle, de LMG Marin, a rappelé quelques généralités à connaître sur l’hydrogène avec une pile à combustible :
- « Deux molécules d’hydrogène combinées avec de l’oxygène dans une pile à combustible au sein de laquelle il y a une réaction électro-chimique produisent de l’eau et l’électricité. Celle-ci à bord du bateau est utilisée pour produire l’énergie nécessaire aux usages.
- La technologie de la pile à combustible existe, est mature avec des applications notamment dans l’automobile, elle est modulable selon les besoins de puissance nécessaire. Les premières puissances disponibles sont de 70 à 80kw. Il y a la nécessité d’adapter ces technologies à un usage fluvial qui peut bénéficier des retours d’expérience des autres secteurs.
- Avec l’hydrogène, il se pose la question de son stockage dans de bonnes conditions, soit dans des cuves soit dans des conteneurs. L’hydrogène peut être compressé, pour des usages énergétiques assez peu importants, ou liquide pour des besoins plus importants. Sachant que l’hydrogène n’atteint pas la densité énergétique du diesel.
- La maîtrise des risques liés à l’hydrogène doit être pris en compte dès le début du projet. La règle d’or est de veiller à prévenir les fuites et faire en sorte de les évacuer ainsi que d’éviter toute possibilité d’étincelle ».
Quels sont les enseignements de l’étude ?
Six bateaux des différents opérateurs impliqués ont fait l’objet d’analyses en trois étapes, a enchaîné Alexandre Bellot, deuxième intervenant de LMG Marin :
- Modélisation des consommations hydrogène pour le cas d’application, sachant qu’il y avait un bateau de service, deux pousseurs (un de manœuvre, un de ligne) deux automoteurs, un bateau-promenade. Il s’agissait de déterminer le besoin en hydrogène de chaque bateau.
- Intégration de l’hydrogène à bord : quel stockage, quelle architecture, quelle modification...
- Bilan environnemental et économique : quel niveau d’émissions évitées en comparant avec le diesel, quels coûts d’acquisition de tous les équipements/éléments pour de l’hydrogène à bord, quel Capex et Opex.
L’ensemble des résultats pour chacun des 6 bateaux/cas d’usage étudié va être disponible dans un rapport dont la publication a été annoncée pour la fin du mois de juin ou le début juillet.
Les conclusions et les généralisations à en tirer ont toutefois été présentées lors du colloque :
- Faisabilité technique : l’hydrogène à bord des 6 bateaux fluviaux différents a bien pu être intégré pour fonctionner complètement avec cette énergie. « Il faut toutefois dire que les solutions ne sont pas forcément réalistes dans le sens où il faudrait énormément d’hydrogène à bord pour faire fonctionner certains d’entre eux, jusqu’à 6 tonnes pour l’un des automoteurs. Les coûts de Capex sont aussi dans certains cas très élevés. Mais la faisabilité technique est là, on peut trouver des équipements qui propulsent les bateaux ».
- Réglementation : il reste encore des avancées à faire (Cesni, ESTRIN, CCNR, sociétés de classification) pour intégrer un volet hydrogène à bord des bateaux fluviaux afin de disposer de règles et de normes. « L’absence de base réglementaire complique la procédure de validation des bateaux à l’hydrogène. C’est la principale contrainte technique actuellement ».
- Emissions évitées : elles varient selon que l’hydrogène est compressé ou liquide « car dans le premier cas, il s’agit d’une production locale avec de l’énergie renouvelable qui évite également une logistique de transport de l’hydrogène. Avec le compressé, les gains d’émissions évitées sur le cycle de vie oscillent entre 80 et 90 % ». L’hydrogène compressé s’applique toutefois surtout à des « petits bateaux » tandis que pour les bateaux « plus lourds » (pousseurs, automoteurs), « les applications sont limites en termes économiques et de faisabilité : on peut s’interroger sur la capacité de l’hydrogène à « décarboner » entièrement les applications les plus lourdes de transport ».
- Coûts d’acquisition : apparaissent très élevés aujourd’hui. « Il faut noter que le stockage et la pile à combustible représentent environ 70 % de tout le coût de l’intégration de la technologie à l’hydrogène ». Pour les diminuer, il y a plusieurs pistes : « réduire les prix des piles à combustible, mutualiser les coûts du stockage entre armateurs en déléguant l’acquisition du conteneur de stockage à l’énergéticien ».
- Coûts opérationnels : l’hydrogène entraîne un surcoût pour l’opérateur du bateau. Peuvent-ils être partagés entre l’armateur et ses clients ?
« En conclusion, il faut vraiment distinguer entre les usages des bateaux : légers ou lourds, ceux-ci ayant des besoins énergétiques plus élevés » pour lesquels l’hydrogène n’est pas toujours réaliste ou pertinent, a indiqué Alexandre Bellot. Ce point est aussi lié à la production et à la disponibilité d’hydrogène « vert ».
Quel est le point de vue d’un chargeur et d’un opérateur ?
L’un des automoteurs modélisés pour une transformation à l’hydrogène dans le cadre du programme Promovan H2 était l’un des deux de Kem One, hybride (voir article de NPI) avec des groupes électrogènes qui alimentent des moteurs électriques.
Lionel Succo, responsable logistique de Kem One, a fait part de ce qu’il retenait des études menées dans le cadre du programme :
- « Les deux automoteurs neufs hybride mis en service début 2023 et opérés par CFT sur le Rhône entre Fos/Lavéra et Saint Fons nous ont coûté 12 millions d’euros. Ils sont modulaires et il est possible de les faire évoluer vers d’autres technologies en fonction des solutions possibles et des coûts.
- Actuellement, d’un point de vue Capex, avec 14 millions indiqués dans l’étude, une transformation vers l’hydrogène des deux automoteurs n’est pas envisageable. Le coût est extravagant économiquement. Mais nous sommes ouverts à toutes les études car, à terme, on ne coupera pas à devoir se priver d’utiliser du gazole non routier.
- Les bateaux sont neufs, on a le temps de voir la technologie se disséminer et venir sur des coûts plus raisonnables. Nous sommes producteurs de PVC et notre droit à produire passe par une réduction de nos émissions de CO2 qui sont de 450 000 tonnes annuelles.
- Les contraintes vont aller en s’accentuant, nous avons un fort enjeu sur nos process de production mais aussi sur les transports que nous utilisons. Nous étudions toutes les solutions de report modal. Nous allons mettre en place un nouveau flux par le fluvial avec un automoteur pour 250 000 tonnes de sel entre les salins de Giraud et le site de Fos ».
Aurélie Millot a abondé dans le même sens en rappelant, en fin de colloque, que « aller vers le report modal, basculer des flux sur le fluvial est aussi une solution pour la « décarbonation » des activités ».
Pour CFT, « l’hydrogène compressé n’est peut-être pas la solution à terme même si c’est celle qu’on a retenue pour le Zulu 6, selon Steve Labeylie. L’hydrogène n’est pas la seule solution non plus pour tout. Le mix énergétique demeure une option pertinente. En ce qui concerne les coûts et les surcoûts, à chacun de prendre sa part, y compris les clients ».
« L’hydrogène est mature sur le plan technologique mais ne l’est pas encore tout à fait d’un point de vue réglementaire et financier ni du point de vue des écosystèmes pour la production, la distribution et l’avitaillement, a conclu Cécile Cohas. Avec les apports de cette étude, nous avons le temps d’ici 2030 pour avancer sur des pilotes et démonstrateurs ».
L’étude Promovan H2 « atteste d’un réel potentiel de l’hydrogène comme source d’énergie pouvant être utilisée en navigation intérieure, a estimé Didier Léandri. Elle propose de nombreux éléments pour éclairer les opérateurs. Il n’est pas nécessaire d’être ingénieur ou spécialiste des énergies pour s’en emparer, elle est lisible par le commun des mortels »... Les lecteurs intéressés doivent juste être un peu patients jusqu’à la fin du mois de juin ou début juillet 2023, date à laquelle l’étude sera disponible en ligne sur les sites Internet de VNF et E2F.