Le baptême du Persévérance à Marseille le 14 juin 2023 marque un pas important pour le projet Polar Pod, imaginé par Jean-Louis Etienne, médecin et explorateur français, premier homme à atteindre le pôle Nord en solitaire en 1986, et désormais partagé par 43 institutions scientifiques de 12 pays différents.
Le Persévérance est en effet destiné à être le navire ravitailleur du projet d’exploration de l’océan austral par une plate-forme (le Polar Pod) qui sera entraînée par le courant circumpolaire afin de recueillir des données et des observations sur cette partie maritime de la planète encore méconnue compte tenu des conditions extrêmes (zone dite des « cinquantièmes hurlants ») qu’elle connaît.
Ce voilier, « éco-conçu » de 42 mètres de long sur 11 mètres de large, a été construit au chantier Piriou au Vietnam, et, en tant que navire ravitailleur, il rejoindra régulièrement la plate-forme Polar Pod, pendant trois ans.
En attendant le début de la construction et la livraison par les chantiers Piriou de Polar Pod, ce voilier va effectuer des prélèvements dans l'océan pour permettre aux scientifiques du Giec d'affiner leurs prévisions climatiques et propose à partir de juillet 2023 des croisières polaires « éthiques, engagées pour la préservation des écosystèmes ».
Un projet démarré il y a plus de 10 ans
Le Polar Pod a été conçu par le bureau d’ingénierie navale Ship ST, en tant qu’assistant à maîtrise d’ouvrage. Laurent Mermier, directeur général, a répondu aux questions de NPI pour mieux comprendre le défi technique de la conception du Polar Pod et comment les solutions peuvent être utiles pour d’autres navires, dans le contexte de la transition énergétique.
NPI : Depuis quand Ship ST travaille sur le projet Polar Pod ?
Laurent Mermier : Nous avons démarré il y a une dizaine d’années à travailler sur l’architecture navale de ce qui était alors l’avant-projet pour concevoir une solution hybride entre un navire et une plate-forme pétrolière en termes d’objet et de comportement à la mer. Nous sommes en quelque sorte le chef d’orchestre d’une vingtaine de bureaux d’études. Le projet s’est accéléré il y a deux ans. Il a déjà obtenu un agréement des autorités maritimes françaises et du Bureau Veritas.
NPI : Quelles sont les caractéristiques du Polar Pod ?
Laurent Mermier : La plate-forme Polar Pod fait environ 100 mètres de long avec, en haut, une nacelle située à environ 15 mètres de la surface pour l’habitation de 8 personnes (3 marins et 5 techniciens ou scientifiques), et composée de plusieurs étages dont une timonerie. Il y a une terrasse extérieure, un laboratoire humide et un autre sec, des espaces de vie (cuisine, douche, cabine).
La particularité de cet engin est qu’il n’est pas propulsé, il fonctionne uniquement avec l’énergie du vent, majoritairement, et du soleil. Avec ces deux énergies, il s’agit de faire de la recherche scientifique dans les eaux les plus hostiles de la planète. Il compte 50 équipements scientifiques, certains fonctionnent en automatique et en permanence, d’autres sont mis à l’eau puis récupérés, et sont similaires à ceux utilisés sur les navires océanographiques.
NPI : En quoi est-ce un projet inédit ?
Laurent Mermier : L’intérêt du projet est, au lieu de dépenser de l’énergie et du carburant pour la navigation d’un navire, de créer un observatoire dérivant flottant qui doit être autonome en énergie. Un peu sur le modèle des refuges en haute montagne.
On profite du fait que la zone est très ventée pour utiliser le vent avec des éoliennes pour produire de l’énergie et on fait de la science en autonomie énergétique.
Pour le monde de la construction navale, des projets comme le Polar Pod sont rares, c’est même inédit ou presque de chercher une autonomie énergétique à bord.
C’est une sorte de refuge en haute mer qui va dériver, mesurer, accueillir, chauffer, nourrir, etc. 8 personnes qui travaillent… Le tout en sécurité et en confort.
Toute une démarche a été faite pour permettre la faisabilité technique de cette autonomie énergétique, c’est nouveau et ce n’est pas simple.
Le grand intérêt du projet au regard du monde maritime, à ma connaissance, est de permettre du travail moderne, en l’occurrence scientifique, en autonomie énergétique.
Nous avons mené un gros travail de remise en cause des équipements, systèmes, réseaux qu’ils soient pour l’électricité, le chauffage, la production d’eau, la vie à bord… Et d’essayer de trouver les solutions techniques mais aussi d’usages répondant à l’autonomie énergétique. Il faut comprendre que pour y parvenir, il faut aussi vivre un peu différemment, accepter une certaine sobriété pour la vie à bord.
Le bilan énergétique moyen du Polar Pod est de 230 kwh par jour pour 8 personnes à bord, ce qui est très faible.
NPI : En quoi ce projet est-il intéressant pour d’autres navires ou bateaux plus « classiques » ?
Laurent Mermier : Cette expérience nous permet de proposer sur d’autres navires des solutions techniques et d’usages différentes pour réduire drastiquement les impacts environnementaux et les consommations énergétiques et donc les émissions.
Dans un navire, cela peut concerner les aspects de l’isolation thermique, du chauffage, de la production d’eau, des installations électriques, de la production d’énergies par le vent et le soleil… Pour aboutir à des navires ou bateaux à très basse consommation d’énergie, ce qui n’est pas encore le standard.
Pour y parvenir, c’est aussi prendre des habitudes ou des usages pour économiser les énergies à bord mais également mesurer et montrer la consommation énergétique, en dehors de la propulsion, ce qui peut permettre une prise de conscience.
Si l’on considère le seul aspect thermique, les navires sont aujourd’hui des passoires. Un navire, ce n’est pas que de la propulsion, même si elle représente entre 70 et 95 % de l’énergie à bord, ça vaut le coût de s’intéresser aux autres postes énergétiques.
NPI : Comment voyez-vous plus globalement la transition énergétique dont on parle beaucoup, va-t-on relever le défi ?
Laurent Mermier : L’Etat français investit massivement pour aider les entreprises privées, accorde assez facilement des soutiens pour des projets très divers en lien avec la transition énergétique.
Mais l’Etat français ne s’intéresse pas suffisamment aux aspects réglementaires pour qu’ils correspondent aux innovations. Les normes et règles sont fondamentales pour tout projet industriel. Trop souvent, ce sont les autres pays européens qui s’impliquent et les écrivent et elles ne correspondent pas forcément à celles dont nous aurions besoin en France.
L’Etat français devrait investir également massivement dans les moyens humains des administrations concernées pour que celles-ci soient à la hauteur des enjeux et puissent suivre le rythme des évolutions nécessaires en lien avec les innovations.. Sachant que les projets en lien avec la transition énergétique sont complexes à appréhender, il faut du pragmatisme également par rapport aux textes.
Quelques caractéristiques du Polar Pod
Plateforme de 100 m de hauteur pour un poids de 1 000 tonnes en charge.
Les jambes du treillis sont en acier de 38 à 50 mm d’épaisseur. Le lest du fond pèse 150 tonnes.
La structure de la nacelle est en aluminium et la coque extérieure en acier spécial.
La nacelle située à 15 m au-dessus de la surface est équipée pour héberger 8 personnes avec 6 mois d’autonomie.
Habitat à « énergie positive » grâce à la performance de l’isolation thermique.
La production d’électricité sera assurée par 6 éoliennes Kingspan de 3,2 kW et des cellules photovoltaïques. Elle est stockée dans deux packs de batteries au lithium-ion de 50 kWh chacun.
Tirant d’eau de 75 mètres.
Avec ses voiles et un propulseur transversal à 10 m sous la flottaison, il a la capacité à infléchir son cap pour s’éloigner des icebergs.
Il est prévu que Polar Pod soit la propriété de l’Ifremer qui le confiera en affrétement pour l’exploitation lors de l’expédition à une association Océan Polaire, présidée par Jean-Louis Etienne.