Lors d'une conférence de France Gaz Maritime, nouveau nom de la plate-forme GNL marin et fluvial, et de l’AFG (association française du gaz), les atouts du GNL « fossile » et de ses déclinaisons bio (bio-GNL/bio-méthane) et synthétique (e-méthane) ont été rappelés pour la « décarbonation » des activités. Une réponse à un rapport de la Banque mondiale présentant l’ammoniac comme seule solution pertinente.
« France Gaz Maritime est le nouveau nom de la plate-forme GNL marin et fluvial pour marquer notre ouverture à l’ensemble des énergies marines et fluviales propres, à l’ensemble des carburants alternatifs. Notre objectif est d’être une organisation professionnelle et technique pour éclairer les débats, les décideurs, lever les incertitudes sur les solutions bas carbone possibles sur la route de la transition énergétique », a expliqué Patrick Corbin, président de France Gaz Maritime, lors d’une web-conférence organisée le 1 juin 2022.
La réflexion menée par cette structure, qui accueille principalement des ports, des armateurs, des énergéticiens/équipementiers mais aussi Voies navigables de France, entend favoriser l’émergence de carburants bas carbone, vertueux pour la qualité de l’air et de l’eau, disponibles en quantité suffisante, économiquement viables, répondant aux trajectoires climatiques de l’Union européenne et de l’Organisation maritime internationale (OMI).
La web-conférence du 1 juin 2022 a présenté une analyse comparative des carburants alternatifs, manière de répondre à un rapport de la Banque mondiale (Charting a course decarbonizing maritime) publié il y a un an environ et qui recommande l’ammoniac comme solution exclusive pour la « décarbonation » de cette filière et disqualifie le GNL/bioGNL.
Plusieurs critères
La comparaison des carburants alternatifs existants et à venir (GNL, GPL, méthanol, ammoniac, hydrogène, e-fuels) a pris en compte plusieurs critères : densité énergétique, sécurité et toxicité, réduction des gaz à effet de serre (GES) en analyse du cycle de vie, réduction des polluants locaux (Sox, Nox, particules fines, suies), défis opérationnels des e-carburants (ou carburants synthétiques).
Par exemple sur le critère de la densité énergétique, selon Alexandre Tocatlian, Head of Business Development de GTT : « Par rapport au diesel marin ou fuel lourd, pour une même quantité d’énergie embarquée sur le navire, il faut un volume de GNL entre 1,6 et 2 fois plus important, ce qui est encore acceptable pour les armateurs, la preuve en sont les commandes d’unités propulsées au gaz actuellement. Avec le méthanol, il faut 2,5 fois de volume en plus. Cela devient plus problématique avec l’ammoniac avec le besoin d’un volume 4 fois plus important, sans parler du poids supplémentaire. Avec l’hydrogène liquide, il faudrait un réservoir de 72 000 m3 soit l’équivalent à bord d’un pétrolier Medmax pour un trajet Asie-Europe d’un porte-conteneurs. Certains carburants alternatifs ont ainsi un impact très élevé sur la capacité d’emport des navires, ce qui signifie une réduction des revenus des armateurs, des avitaillements plus fréquents ».
Assurer la sécurité d’utilisation des carburants alternatifs a des conséquences en termes de coûts pour l’opérateur et de contraintes opérationnelles. La mise en place de nouvelles normes prend du temps, ce qui rallonge d’autant la « décarbonation » des activités. La toxicité de l’ammoniac utilisé comme combustible a été rappelé et « soulève des enjeux » quand il devra être avitaillé en zone portuaire ou lors de sa combustion. L’inflammabilité de l’hydrogène liquide est un risque dans beaucoup de conditions et exige une sécurité accrue. Le GNL aussi est inflammable mais « son utilisation de longue date et parfaitement maîtrisée » n’a pas jusqu’à présent provoqué d’accident majeur.
Concernant la réduction des GES, il faut tenir compte qu’actuellement, l’ammoniac disponible est « gris » : « Si on l’utilise comme carburant, il serait 15 % plus polluant que le diesel marin. C’est aussi le cas avec le méthanol. Seul le GNL, actuellement, réduit de 22 % les émissions de CO2 ». Tous les e-carburants (c’est-à-dire synthétiques : e-GNL ou e-méthane, e-ammoniac, e-méthanol) atteignent un niveau de performance similaire au GNL. Celui-ci apparaît aussi comme le plus « bénéfique » pour une meilleure qualité de l’air local avec le fuel lourd désulphurisé. Seul l’ammoniac « vert » présente les mêmes atouts mais « en attendant sa production en masse, on maintient sur une longue durée la présence des polluants locaux ».
A plus long terme, parmi les e-carburants (e-fuels) ou carburants synthétiques, dérivés d’un hydrogène « vert », selon Alexandre Tocatlian : « Le e-methane se démarque des autres sur la plupart des critères, il profite de tout ce qui existe déjà pour le GNL », infrastructures, stockage, expériences, moteurs… « Pour nous, le GNL est le carburant alternatif le plus mature. Les investissements effectués aujourd’hui dans les navires propulsés au gaz sont potentiellement compatibles sans modification avec l’utilisation d’autres carburants alternatifs à venir dans le futur, d’abord le bio-méthane et l’e-méthane. Mais aussi avec l’ajout de certains équipements, il est possible de rendre ces navires « ammonia ready », c’est le cas de plusieurs commandes de porte-conteneurs récentes ».
Pour Thierry Chapuis, délégué général de l’AFG, la France a la chance d’avoir des entreprises qui maîtrisent les savoir-faire pour produire du bio-méthane même si cela représente « un gros pari technologique ». Il s’y ajoute la présence de terminaux (méthaniers) sur les différentes façades maritimes. Pour le e-méthane, une chaine aval est déjà en place (infrastructures et normes), c’est celle du GNL, tandis que pour sa production, plusieurs options sont possibles, utilisant du CO2 de différentes sources (captage/stockage ou issu du processus industriel ou issu de la production de bio-méthane), et de l’hydrogène, si possible « vert ».
Pour une transition énergétique progressive
Sur la vision exclusivement « ammoniac » du rapport de la Banque mondiale, les intervenants ont insisté sur les nombreuses questions encore en suspens pour une utilisation comme carburant. Parmi celles-ci : quel sera l’autre « pilot fuel » compatible ? Quels seront exactement les niveaux de réduction des GES et des polluants locaux ? Quelles seront ses performances et son efficacité énergétique ? Quelle sera sa souplesse opérationnelle ? Quelles seront les conséquences sur l’architecture du navire ? Quelle place prendra le ou les réservoirs ? Quelle formation des équipages à la toxicité du produit à bord et lors des opérations d’avitaillement ? Quelles normes ? Quelle conséquence sur le TCO ? Quels seront les besoins en électricité ? Quel délai pour une disponibilité suffisante d’un ammoniac « vert », lié aussi à un hydrogène « vert » ?
Les intervenants estiment que la solution « ammoniac » peut, à long terme, avoir toute sa place, une fois précisées toutes les réponses à ces interrogations. D’ici là, les autres carburants alternatifs sont des options déjà disponibles et qui permettent d’avancer maintenant sur la voie de la « décarbonation ».
En conclusion, pour Patrick Corbin, sur la voie de la transition énergétique, il faut éviter « toute solution exclusive ». Le mix énergétique est la meilleure option pour favoriser « une transition énergétique progressive » et permet de poursuivre les investissements et de pérenniser ceux déjà réalisés.
A court terme, le GNL « fossile » puis le bio-méthane sont des solutions déjà disponibles et maîtrisées de longue date. Puis, les carburants synthétiques auront ensuite chacun leur place.