En 2020-2021, la compagnie des Vedettes de Paris a engagé un projet de rétrofit vers l’électricité pour quatre de ses bateaux sur un total de cinq, effectuant des croisières-promenade sur la Seine au cœur de la capitale.
Le premier d’entre eux le Trocadéro est entré en novembre 2022 au chantier et devrait en sortir au début de cet été 2023.
La recharge des bateaux est prévue par des bornes rapides la nuit mais aussi lors de chaque arrêt de 15 à 20 minutes entre deux rotations pour laisser descendre/monter les passagers.
NPI : Pourquoi la compagnie Vedettes de Paris s’est-elle engagée dans le « verdissement » de ses bateaux-promenade ?
Vincent Delteil : Nous sommes engagés dans une démarche environnementale volontaire et volontariste depuis longtemps. Vedettes de Paris a été l’une des premières compagnies à être certifiée ISO 14001 dans les années 2000.
Les premières réflexions pour l’électrification datent de 2014 mais nous n’avions pas pu donner suite car l’état de l’art et de la technologie ne le permettait pas.
C’est l’évolution concernant les batteries et les bornes de recharge rapide au cours des dernières années qui nous permettent aujourd’hui de concrétiser l’électrification des bateaux pour une navigation la plus « décarbonée » possible.
Avant la période du Covid et de la crise sanitaire, nous avons réfléchi à l’hydrogène mais nous avons renoncé car la réglementation empêche aujourd’hui la présence de cette énergie sous forme compressée à bord avec des passagers. La disponibilité de l’hydrogène n’était alors pas au rendez-vous et ne l’est toujours pas d’ailleurs. D’autre part, l’hydrogène est actuellement « gris ».
Nous ne voulons pas non plus subir une réglementation sur l’utilisation de moteurs diesel sur la Seine dans Paris mais la précéder. Il paraît inconcevable de continuer à faire des tours dans la capitale avec des bateaux diesel, leurs fumées, le bruit… alors que, dans le même temps, des restrictions existent pour limiter les émissions dans la ville.
NPI : Comment avez-vous procédé pour déterminer si l’électricité était une solution pertinente ?
Vincent Delteil : Une fois que nous avons compris que la technologie permettait d’électrifier nos bateaux, nous nous sommes lancés dans l’aventure en 2020. Cela a nécessité un grand nombre d’études, très longues, complexes. Par exemple, on a modélisé la Seine dans Paris pour des effets de berge, des passages de pont, des calculs d’hydrodynamisme… afin de définir le besoin.
La conclusion a montré que nous pouvions avoir une exploitation identique à celle que nous avions avec un bateau électrique et des bornes de recharge rapide. Ce n’était pas évident car nous avons besoin de beaucoup de puissance 365 jours par an et de beaucoup d’énergie embarquée pour alimenter les moteurs avec des rotations régulières toute la journée de 10h du matin à minuit. Ces deux impératifs entraînent un besoin de pack à batteries considérable : sur le premier bateau électrifié, c’est 11 tonnes.
NPI : Le projet d’électrifier les bateaux a été accéléré, pour quelles raisons ?
Vincent Delteil : Nous avions en effet l’intention d’aller progressivement car l’investissement est très élevé et que deux ans de crise sanitaire ont été catastrophiques sur le plan financier.
Mais nous avons participé avec notre directrice générale, Marie Bozzoni, à la Convention des entreprises pour le climat qui a duré un an avec six rendez-vous de trois jours. Cela a été marquant, a provoqué une prise de conscience et nous avons décidé d’accélérer notre calendrier en passant pour la transformation des bateaux d’une durée de 8 ans avec une finalisation en 2030 à trois ans et être prêt pour les Jeux Olympiques de Paris 2024.
NPI : Comment se passe le rétrofit des bateaux ?
Vincent Delteil : Nous avons fait le choix du retrofit pour 4 bateaux et non pas de faire construire des unités neuves, ce qui aurait été plus facile et à peine plus cher. Le rétrofit, techniquement, est plus compliqué donc plus long avec des bateaux qui n’ont pas été conçus pour l’électricité.
Nous avons été confrontés à des difficultés d’approvisionnement en matériel, avec des livraisons 8 mois après la commande pour les moteurs électriques, pour les convertisseurs… Même pour des hélices, tuyères… ce sont des mois d’attente.
Sans oublier que comme nous avons voulu maximiser l’efficacité la propulsion, nous n’avons pas choisi du matériel ou des équipements disponibles sur étagère.
Pour le cinquième bateau de notre flotte, qui est diesel-électrique, déjà particulièrement performant sur le plan environnemental, nous réfléchissons encore. Deux chiffres sont à prendre en compte : un plein de diesel lui permet d’opérer deux semaines. Demain, un bateau électrique complètement chargé tourne 5 à 6 heures maximum.
NPI : Et pour les bornes de recharge, quelles ont été les étapes ?
Vincent Delteil : La durée pour amener l’électricité au quai, c’est la même que pour faire les études et le rétrofit du premier bateau : deux ans de bataille.
Parmi les points qu’il a fallu régler :
- Nous avons été confrontés à un changement considérable du besoin en puissance qu’il faut trouver. Nous avons la chance d’être situé à proximité de la Tour Eiffel et du RER C ce qui signifie qu’il y a de la puissance en arrière-quai.
- Nous devions être sûr avec Enedis que la puissance nécessaire puisse être délivrée, résoudre des interrogations sur la propriété de transformateurs…
- Comme nous intervenions dans l’enceinte du RER C et donc de la SNCF, il y a eu des contraintes de sécurité et d’autorisations supplémentaires.
- Il a fallu prendre en compte le fait que le quai où se trouve les Vedettes de Paris au pied de la Tour Eiffel est classé. Nous avons positionné les bornes, de plus de 700kg, sur nos pontons et non pas sur le quai. Cette solution nous permet de nous affranchir des problèmes de crue et d’inondation, mais aussi des prescriptions d’esthétique des bornes.
Je tiens à dire que Haropa a été particulièrement proactif, a été un soutien majeur et appréciable.
Je retiens qu'il ne faut jamais sous-estimer le temps pour amener l’électricité correspondante au besoin de puissance jusqu’à la borne de recharge, les études, les autorisations... Et aussi que l'installation de l'électricité et des bornes, financièrement, c’est équivalent à 50 % du prix d’un bateau d’occasion.
NPI : Comme vous l’abordez, qu’en est-il du coût du « verdissement » pour la compagnie ?
Vincent Delteil : L’ensemble de l’électrification de la flotte va nous coûter un peu moins d’une année de chiffre d’affaires. Nous espérons un retour sur investissement, avec les économies d’entretien et de carburant, au bout de 8 ans, ce qui sera à peu près le moment où il faudra changer les batteries. Nous dépensons beaucoup maintenant, on va en gagner un peu tous les ans pendant 8 années avant d’arriver à l’équilibre.
Peut-être que dans 8 ans, nous pourrons changer vers des piles à combustible et l’hydrogène plutôt que de renouveler les batteries pour lesquelles il y aura peut-être alors des solutions de recyclage.
NDLR : La compagnie a notamment bénéficié de soutiens financiers de l’Ademe, du PAMI de VNF,de la région Ile-de-France, de BPI France, des certificats d’économie d’énergie (CEE).