Et si les algues d’échouage qui jonchent nos plages devenaient des sacs poubelles biodégradables, compostables ou recyclables ? Six ans après les débuts de l’aventure, Philippe Lavoisier, ingénieur chimiste originaire de Chambéry, a inauguré, le 18 février 2022, à deux pas du terminal céréalier des Tellines, à Port-Saint-Louis-du-Rhône, un démonstrateur préindustriel de production de biomatériaux issus de la transformation des algues vertes.
La start-up Eranova, qui hésitait entre la Bretagne et la Provence pour mener à bien son projet baptisé « Alguex », n’a pas regretté son choix ! Bien au contraire. Toutes les fées provençales se sont penchées sur le berceau…
Sélectionné par l’Ademe en 2017 dans le cadre du programme d’investissement d’avenir, Alguex a été également lauréat de l’appel à manifestation d’intérêt Provence Industry’Nov, visant à attirer sur les bassins Ouest du port de Marseille-Fos des industries innovantes. Bénéficiant d’un terrain bord à quai de 1,3 ha grâce à l’appui de la métropole Aix-Marseille, Eranova a décroché une avance remboursable de 500 000 euros de la région Sud et une subvention de 200 000 euros de Total Energies pour construire son pilote à 6 millions d’euros.
Le démonstrateur, d’une capacité de 500 tonnes par an, puise les végétaux de l’étang de Berre. Jusqu’à présent, les communes payaient pour enlever les algues jonchées sur le sable et les enfouir. Malgré la gratuité de la ressource, la production au kilo d’Eranova reste plus chère que les plastiques issus de l’industrie pétrolière.
« Les collectivités, confrontées aux algues polluantes, les enfouissent, ce n’est pas écologique. Désormais, elles nous les apportent. Après lavage, nous les traitons et séparons les composés intéressants pour en faire des matériaux biodégradables, compostables pour remplacer les plastiques qui polluent la mer et, en plus, nous captons le CO2 », explique Philippe Lavoisier.
Les algues vertes, plongées dans des bassins d’eau de mer de 130 m2, sont nettoyées et enrichies d’amidon. La biomasse transformée en une purée verte est alors asséchée en transitant par une étuve à convoyeur avant de finir sa course en une poudre blanche. Puis, plus surprenant, les algues deviennent alors des billes plastiques blanches avec l’ajout de 50 % de polymères recyclés. Une technique brevetée et déposée dans trente pays.
Un frein réglementaire
Le frein à la production de biomatériaux à base de 100 % d’algues n’est pas technique mais réglementaire : « Nous n’avons n’a pas le droit de faire des sacs entièrement composés d’algues car l’État invoque l’absence de filière de recyclage du végétal. Nous sommes contraints de nous conformer à la réglementation française et européenne », détaille Philippe Lavoisier.
En fonction des dosages, des cahiers des charges des clients, les algues deviendront alors sacs, flacons, gobelets voire même paddle et planches à voile ! L’entreprise a signé avec le groupe Carrefour et l’enseigne de vêtements pour enfants Du pareil au même pour la fourniture de sacs plastiques à base d’algues. Elle a également noué un partenariat avec la Fondation Pure Ocean pour livrer en sacs poubelles bio les bénévoles qui ramassent les déchets sur les plages.
Eranova, qui prévoit de construire une usine d’une capacité de production annuelle de 30 000 tonnes à horizon 2025 pour un investissement de 63 millions d’euros, sous-traite pour l’heure sa production à une usine basée en Rhône-Alpes en fonction du cahier des charges de ses clients.
« À Port-Saint-Louis-du-Rhône, nous fabriquons des petits lots de plusieurs centaines de kilos. Ce sont les essais clients. Pour les grosses productions, une usine lyonnaise fabrique les produits selon notre recette », détaille Vincent Gernigon. Ingénieur en bioprocédés, il fait partie des neuf employés d’Eranova.
L’entreprise annonce 140 recrutements à l’ouverture de l’usine sur une ancienne friche de plus de 100 ha dont la localisation est, pour l’heure, confidentielle. Une chose est sûre, elle sera à proximité de la mer, Eranova misant sur les marchés exports avec des contacts avancés avec le Maroc, l’Indonésie, l’Arabie Saoudite.