Bateaux pilotés à distance : l’exemple des « River Drones »

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Spécialisé dans le transport fluvial de cargaison liquides, Naval Inland Navigation a vu grand pour ses débuts dans le transport de conteneurs, avec dix automoteurs qui présentent une particularité majeure : ils sont pilotés à distance, le capitaine restant dans un bureau à Anvers. La technologie, développée par Seafar, est déjà utilisée depuis deux ans en Flandre par Novandi.

Les automoteurs River Drone 1 et River Drone 2 ont été baptisés en mai 2023. Les numéros 3 et 4 l’ont été en juillet tandis que les six bateaux suivants sont attendus entre les mois d’août et octobre prochain. Pour sa première diversification hors de la cale citerne, Naval (pour « NAutical VAlue ») va vite et fort. Au total, ce sont dix automoteurs nommés « River Drones » pour le transport de conteneurs et dotés d’une technologie permettant leur pilotage à distance.

Disposant d’une flotte d’une quarantaine d’automoteurs double coque de 1 600 à 8 700 t, Naval Inland Navigation est surtout spécialisé dans le transport de carburants et produits pétroliers. L’entreprise néerlandaise, basée à Halsteren, entre Rotterdam et Anvers, transporte aussi désormais des conteneurs et cherche à se diversifier dans les transports de vracs secs, en particulier dans le domaine des engrais et produits agricoles.

Pour ces marchandises sèches, c’est le choix de la navigation « autonome » qui a été faite. Ou du moins, pour l’instant, du pilotage à distance. La particularité des « River Drones » est en effet d’être conduits à distance, le capitaine se trouvant dans un centre d’exploitation situé à Anvers. Cela permet de naviguer avec un équipage réduit à bord, constitué de deux matelots faisant les tâches qui ne peuvent être automatisées.

Du moins, en théorie. Car, pour l’heure, un capitaine reste à bord, qui supervise le pilotage à distance. « Nous devons prouver aux autorités que ce mode de fonctionnement est sûr avant de débarquer le capitaine présent à bord », explique Geert van Overloop, qui dirige l’activité vrac sec de Naval Inland Navigation. « Cette organisation est en place depuis avril et donne satisfaction ».

Les caractéristiques des « River Drones »

C’est l’armateur fluvial belge Erik Verstraeten qui a passé commande des dix automoteurs à Rensen Driessen, chantier naval basé à Zwijndrecht, près de Rotterdam. Les bateaux « River Drones », qui seront tous affrétés par Naval Inland Navigation, font 106 m de long, 11,75 m de large, 4,45 m de tirant d’eau et peuvent embarquer 276 EVP. La coque a été construite en Chine et les finitions ont été effectuées par le chantier néerlandais Asto.

Chaque bateau est équipé de propulseurs électriques, dont l’alimentation est fournie par deux générateurs diesel Stage V. Ces générateurs sont situés à l’arrière du bateau, alors que les logements et postes d’équipage sont situés à l’avant. Cette disposition permettra, par la suite, de modifier l’installation pour que l’électricité soit fournie par une pile à combustible fonctionnant au dihydrogène.

Un fonctionnement sur batterie est aussi envisagé. « Nous avons des propositions de ZES et d’autres fournisseurs pour nous équiper de batteries permettant de naviguer sans émission de CO2, affirme Geert van Overloop. Mais il faut pour cela un client qui soit prêt à payer le prix d’un transport zéro émission Nous espérons y passer dès que possible ».

Une technologie anversoise

La conduite à distance utilisée à bord des « River Drones » est une technologie développée pour les navires par Seafar. Cette société anversoise l’avait déjà adaptée au fluvial, en équipant il y a deux ans l’automoteur de 110 m du groupe liégeois Novandi, qui transporte des conteneurs entre Liège et Anvers. A bord, pas de capitaine mais un timonier et deux matelots assurent les tâches de maintenance et d’amarrage ; ils sont prêts à reprendre la main en cas de problème. A Anvers, trois capitaines se relaient toutes les huit heures dans les locaux de Seafar pour assurer la conduite du bateau 24 heures sur 24.

« La technologie fonctionne et a été progressivement améliorée, explique Vincent Brassinne, directeur du groupe Novandi. Les antennes, par exemple, ont été changées pour mieux capter lorsqu’il y a des bouchons sur l’autoroute qui longe le canal Albert et que le réseau, de ce fait, est très sollicité ».

« Le chef n’est plus à bord, donc toute l’organisation change, ajoute Vincent Brassinne. En plus du capitaine qui conduit le bateau en navigation déportée depuis Anvers, nous avons notre propre capitaine à terre, disponible sur demande pour le suivi de la maintenance et des équipages, puisque les équipes de Seafar ne s’occupent que de la navigation ».

La question de la réglementation

Un capitaine doit aussi monter à bord lorsque le bateau de Novandi, venant d’Anvers, franchit la frontière linguistique et pénètre en région wallonne. La conduite à distance n’est en effet jusqu’à présent autorisée qu’en Flandre, pour tester des projets pilotes comme celui de Novandi et de Naval Inland Navigation. En Wallonie, une nouvelle réglementation a été adoptée en mai dernier, qui va permettre à ces projets de monter des dossiers pour obtenir également des dérogations.

Le groupe Novandi se tient prêt, et a d’ailleurs équipé un second bateau, naviguant entre Tournai et Rotterdam, qui continue cependant d’être exploité avec un équipage classique à bord.

« La difficulté n’est pas la technologie mais la réglementation, explique Vincent Brassinne. Même en Flandre, nous devons prendre un pilote portuaire qui vient à bord pour naviguer dans le port d’Anvers et sur l’Escaut maritime. Pour le deuxième bateau, nous sommes prêts et attendons le feu vert de la région wallonne et des Pays-Bas, qui sont encore un cran en dessous de la Flandre en termes de réglementation ».

Une évolution réglementaire est aussi attendue avec impatience par Naval Inland Navigation, comme l’explique Geert van Overloop : « A ce jour, la réglementation pour naviguer avec un équipage réduit existe seulement en Belgique, mais nous espérons qu’une réglementation similaire soit adoptée prochainement aux Pays-Bas et sur le Rhin. Nous savons que la CCNR étudie le sujet de la navigation télécommandée. Nous montrons, avec les River Drones, que cela peut fonctionner de façon sûre et rentable ».

Faire face à la pénurie de capitaines

Théoriquement, la navigation à distance permet au bateau de naviguer davantage, et contribue à résoudre un des problèmes des armateurs fluviaux : la difficulté à recruter des capitaines, dont la moyenne d’âge en Belgique est aujourd’hui de 55 ans. Pendant les phases d’attente ou de chargement ou de déchargement, le capitaine peut conduire un autre bateau.

Pour l’heure, le groupe Novandi estime que cela revient plus cher, puisqu’un équipage doit rester à bord. Mais si le nombre d’employés à bord est encore réduit dans un deuxième temps, et que le nombre de bateaux conduits à distance augmente, la mutualisation des capitaines entre plusieurs bateaux permettra sans doute de faire des économies.

Vers une navigation totalement autonome ?

S’agit-il d’une première marche vers des bateaux naviguant de façon totalement autonome ? On peut penser que cela pourrait voir le jour, plus rapidement que dans la conduite automobile puisque les itinéraires sont plus prévisibles et le nombre de véhicules plus réduit.

Mais ce n’est pas, dans l’immédiat, l’objectif de Novandi selon Vincent Brassinne : « Sur ces grands bateaux industriels, il faut tout de même quelqu’un à bord. L’étape suivante prendra forcément un certain temps. Pour l’heure, nous suivons l’évolution réglementaire qui nous permettra d’équiper de nouveaux bateaux en conduite à distance. Et nous adaptons la technologie à la manutention, en équipant un de nos portiques du port de Liège ».

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