L’association Saône Rhin Europe qui porte et défend le projet de liaison Saône-Moselle/Saône-Rhin a tenu son assemblée générale annuelle en octobre 2023. Par rapport à la réunion de 2022 (voir l’article de NPI) avec toutes les démarches engagées au cours de l’année passée et poursuivies depuis, le constat est décevant, confie Pascal Viret, président de cette association.
« Pour la liaison Saône-Moselle/Saône-Rhin, en quelque sorte, la messe est dite. Malgré tous les courriers, courriels, la motion de 8 associations représentatives, les rencontres au cours desquelles nous avons pu présenter tous les arguments favorables à la réalisation de cette liaison et la nécessité de l’inscrire dans les projets nationaux afin qu’elle figure dans la révision en cours du réseau transeuropéen de transport, le RTE-T, ce serait une énorme surprise si elle était finalement prise en compte par le gouvernement. Il est quasi certain que la liaison ne soit pas maintenue dans la programmation nationale, et par répercussion, européenne », précise ce président.
Un silence et un rapport qui ne passent pas
Comme l’Union européenne ne peut pas prendre en compte un projet d’infrastructure qui n’est pas retenu ni expressément recommandé au niveau du gouvernement de l’Etat membre, Saône-Moselle/Saône-Rhin perd toute chance d’être inscrit dans le RTE-T en cours de révision. Celle-ci entre dans sa dernière ligne avec une échéance d’ici à la fin de cette année 2023.
Comme, d’autre part, le projet de liaison ne peut se passer de financement européen, s’il n’est pas inscrit au RTE-T, une avancée apparaît impossible à l’horizon 2040 et est reportée, éventuellement, de 10 ans (qui est la durée du RTE-T révisé).
Le découragement affleure dans les propos de Pascal Viret, militant engagé dans le développement du fluvial depuis le début des années 2000. A cette époque, la part modale du fluvial était de 4%, elle est descendue actuellement à 2,7%. Si l’objectif de la multiplier par deux, qui est l’ambition affichée, est tenu elle reviendrait seulement à son niveau d’il y a plus de 20 ans. Il y a de quoi en effet doucher même l’optimisme et l’enthousiasme les plus affermis.
Il souligne notamment :
- Le mutisme du ministère des Transports aux différents courriers adressés en 2021, en 2022 et encore en 2023.
- L’intense déception du passage sur la liaison dans le rapport du Conseil d’orientation des infrastructures (COI) remis le 24 février 2023 à la Première ministre. Avec le COI, contrairement à ce qui est écrit, l’association n’a pu que participer en faisant parvenir une contribution écrite et n’a pas rencontré l’un ou l’autre des membres.
« Le fret et le transport fluvial ne sont pas des priorités dans ce rapport. Celui-ci pointe le mauvais état des réseaux ferroviaire et fluvial et insiste sur la nécessité de les remettre à niveau, moderniser et mailler mais propose seulement d’augmenter de moitié la part du transport fluvial. Il ne préconise pas d’investissements à la mesure des besoins d’entretien. Le canal Seine-Nord Europe, Mageo et Bray-Nogent sont retenus afin de « compléter le réseau ». Il oppose une fin de non-recevoir au maintien de Saône-Moselle/Saône-Rhin », liste le président de l'association.
Un réseau à deux vitesses sur le plan de la géographie et du gabarit
« On a le sentiment qu’on s’achemine à l’horizon 2030 vers un réseau fluvial à deux vitesses, poursuit le président de l’association. D’un côté, il y aura un quart nord-ouest, soit le quadrilatère Dunkerque/Jeumont/Nogent sur Seine/Le Havre, où tous les signaux sont au vert. Sur cette partie du territoire, les travaux de Seine-Nord Europe sont lancés, ceux du canal Condé-Pommeroeul, le recalibrage de la Deûle, la Lys mitoyenne sont en cours ou s’achèvent, les projets Mageo et Bray-Nogent avancent, l’accès fluvial direct à Port 2000 au Havre aussi. Partout ailleurs, Nord-Est, Sud-Est, le bilan des investissement engagés ou en cours est beaucoup plus modeste, et les travaux de bien moindre importance. C’est l’immobilisme qui domine dans le Grand Est, sur Rhône-Saône, alors qu’il y a tout de même le Rhin dans cette partie du pays ».
Une autre fracture du réseau fluvial se situe, pour lui, au niveau des gabarits eux-mêmes entre le petit et le grand gabarit « constatée depuis des années ». Le petit gabarit, « faute d’entretien subi l’envasement, la prolifération des plantes invasives, des déficiences ou des pannes de fonctionnement des ouvrages, des niveaux de service déplorables et des horaires de navigation restreint. Le deuxième bénéficie en général d’un entretien de bon niveau, de travaux réguliers, de réparation et de modernisation, de service de qualité… De plus, et cela est annoncé quasi officiellement : les voies navigables à grand gabarit seraient réservées au fret et celles du petit gabarit au tourisme fluvial et à la plaisance quand ce n’est pas seulement aux activités sportives et ludiques ! ».
Pascal Viret relève dans le même temps « un instant de grâce » lors du discours à Marseille du Président de la République en juin 2023. « Il a évoqué le fer et le fluvial, le projet « Mers-Rhône-Saône », l’avenir du Grand port maritime de Marseille et des ports de l’axe Rhône-Saône, et surtout, le projet de « se connecter jusqu’à la Bavière » (sic).
Mais les paroles présidentielles seront-elles suivies de décisions ? Et les régions concernées sont elles aussi prêtes à relayer de leur côté ce discours, en s’en saisissant et en agissant, pour que les intentions se concrétisent rapidement par des actes ? »
Pour lui, il y a peut-être ainsi « une prise de conscience au plus haut niveau de l’Etat mais il y a un gouffre entre les paroles et la réalité du terrain. La France ne prend pas les mesures légales et incitatives nécessaires au report modal. On parle toujours de l’alternative fer ou fluvial alors qu’il faudrait dire fer et fluvial ».
Lire aussi le compte-rendu de l’assemblée générale de 2022 et de 2021