L’adoption de la loi « aménagement du Rhône » par le Sénat le 17 février 2022, après l’Assemblée nationale le 19 janvier, marque la fin du log processus, engagé depuis 8 ans, pour prolonger la concession du Rhône à la CNR jusqu’en 2041. L’ultime étape est celle de la promulgation de cette loi et sa publication au Journal officiel.
Cette loi « entérine la prolongation de la concession du Rhône à CNR jusqu’en 2041. Elle donne également valeur législative au cahier des charges général et au schéma directeur de la concession, tout en modernisant certaines dispositions de la loi de 1921 et de la loi n° 80-3 du 4 janvier 1980 relative à la Compagnie nationale du Rhône ».
Les dossiers législatifs disponibles sur les sites du Sénat et de l’Assemblée nationale suite à l’engagement de la procédure accélérée par le gouvernement le 27 décembre 2021 renseignent sur les raisons de l’abandon d’un avenant au contrat de concession approuvé en Conseil d’Etat au profit d’une loi ainsi que sur la volonté d’aller vite dans le contexte du contentieux entre la France et la Commission européenne sur la mise en concurrence des concessions hydroélectriques dépassant la durée de 75 ans lorsque la puissance de l’installation est supérieure à 4 500 kW, ce qui allait être le cas de la concession du Rhône à la CNR après le 31 décembre 2023. Cette durée ayant commencé à courir à partir « de l’expiration du délai d’exécution des travaux du premier ouvrage hydroélectrique sur le Rhône, soit le barrage-centrale de Génissiat, achevé en 1948 ».
Eviter une mise en concurrence
Tout d’abord, pour les parlementaires, « le modèle de concession mis en place est unique et ne recouvre pas les seuls usages hydrauliques. La concession du Rhône permet en effet une gestion intégrée du fleuve. CNR dispose ainsi d’une triple mission s’agissant de l’aménagement du fleuve : l’utilisation de la puissance hydraulique, la navigation et enfin l’irrigation, l’assainissement et les autres emplois agricoles ».
Ensuite, ils indiquent « les concessions hydrauliques sont soumises à des procédures de publicité et de mise en concurrence lors de leur renouvellement, une fois leur durée initiale échue. L’article L.52-1 du code de l’énergie dispose que les contrats de concession sont soumis aux dispositions de la troisième partie du code de la commande publique, qui résulte de la transposition de la directive européenne dite « Concessions » en droit français. La procédure est précisée par voie réglementaire aux articles R. 521-1 et suivants du code de l’énergie ».
Puis ils ajoutent : « La France fait l’objet de plusieurs mises en demeure de la Commission européenne pour manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence de ses concessions hydroélectriques. En octobre 2015, la Commission européenne a adressé une première mise en demeure à la France. En mars 2019, elle a adressé de nouvelles mises en demeure à 7 États membres de l’Union européenne, dont la France ».
Au final, pour le député Patrick Mignola : « Le droit européen de la commande publique aurait normalement imposé une remise en concurrence de la concession à l'échéance des 75 ans. Mais l'histoire particulière de cette concession justifie d'une prolongation sans remise en concurrence ».
Si le rapporteur de la loi au Sénat « s’interroge sur le devenir à long terme de cette proposition de loi, dans le contexte plus général de la réforme envisagée par le gouvernement pour résoudre le contentieux européen sur les concessions hydroélectriques. Pour autant, il soutient pleinement ce texte, qu’il estime indispensable à la souveraineté et à la transition énergétiques » du pays.
Le calcul pour définir la nouvelle date d’échéance de 2041
Pour le fondement juridique de la prolongation, « des circonstances imprévisibles » sont mises en avant en remontant « aux conséquences de la seconde guerre mondiale » et de la loi n° 46-628 du 8 janvier 1946 sur la nationalisation de l’électricité et du gaz a nationalisé la production d’électricité, l’offre privée étant insuffisante pour faire face à la demande croissante.
Dès lors, entre 1948 et 2006, soit durant 58 ans, c’est EDF et non CNR qui a exploité les ouvrages hydroélectriques sur le Rhône. CNR a donc perdu son statut de producteur durant cette période, mais cela retarde aussi l’exécution de son programme de travaux.
Ainsi, c’est l’absence d’exploitation effective des ouvrages hydrauliques du Rhône par CNR pendant près de 58 ans qui justifie la prolongation de la concession qui lui est attribuée ».
La nouvelle date d’échéance de la concession en 2041 est le résultat d’un calcul comme savent les imaginer les services de l’Etat.
« Cette nouvelle date d’échéance a été calculée de manière à ce que la durée moyenne d’exploitation de chacun des 19 ouvrages hydroélectriques que compte la concession soit de 75 ans. Ces ouvrages ont été mis en service entre 1948 (centrale de Génissiat) et 1987 (barrage de Sault-Brenaz).
La méthode de calcul a été précisée au rapporteur par les services ministériels : « Il a été procédé à un nouveau calcul de la date d’échéance, en ajoutant 75 années à compter de la moyenne de la date de mise en service de chacun des 19 aménagements de la concession, pondérée du productible moyen de l’ouvrage concerné, à savoir 1966 ». Donc 1966+75 = 2041. CQFD.
Le choix de la voie législative et non pas réglementaire
Les documents législatifs rappellent : « Il était initialement prévu que la concession soit prolongée par voie réglementaire, sous la forme d’un 9e avenant au contrat de concession approuvé par décret en Conseil d’État ».
Puis, ils ajoutent : « Toutefois, tant au regard du fondement juridique de cette prolongation que de la nature particulière de la concession du Rhône, qui se distingue d’une concession hydroélectrique classique, c’est la voie législative qui a été choisie.
Selon la direction générale de l’énergie et du climat (DGEC), « une prolongation de concession sur le fondement des circonstances imprévues ne fait l’objet d’aucune jurisprudence nationale susceptible d’éclairer cette situation. La prolongation par la voie législative, compatible avec le droit européen, offre donc une sécurité juridique supplémentaire sur ce point ».
La sécurisation de la prolongation de la concession par la voie législative vise notamment à prévenir le risque d’annulation contentieuse, qui aurait des conséquences extrêmement préjudiciables et porterait atteinte non seulement aux missions du concessionnaire mais plus généralement à la réalisation des objectifs de l’État en matière de transition énergétique.
En cas d’annulation, la concession serait poursuivie selon le régime des « délais glissants », donc aux conditions antérieures de la concession et a minima, sans possibilité de mettre en œuvre le programme de travaux prévu par le cahier des charges général. De plus, compte tenu des spécificités de la concession du Rhône, la DGEC fait observer qu’un renouvellement de la concession par mise en concurrence « pourrait durer plus d’une dizaine d’années » et impliquerait donc un statu quo durant cette période ».
Pas de notification nécessaire à la Commission européenne
Enfin, bien en amont, c’est-à-dire dès 2016, le gouvernement a échangé avec la Commission européenne (direction générale de la concurrence et celle du marché intérieur, de l’industrie, de l’entrepreneuriat et des petites et moyennes entreprises) pour sécuriser le projet de prolongation de la concession du Rhône, indiquent les dossiers législatifs.
« Le but était d’assurer que le projet de prolongation ne serait pas retoqué par la Commission européenne en raison d’une incompatibilité avec le régime des aides d’État ou des dispositions applicables en matière de commande publique. À la suite de ces échanges et après des précisions apportées sur le fondement juridique de la prolongation, la DG COMP a confirmé en octobre 2020 que le projet ne nécessitait pas de notification à la Commission européenne au titre des aides d’État ».
Concrètement…
Au-delà des arguments déployés par le gouvernement et les parlementaires pour parvenir à prolonger la concession du Rhône à la CNR, concrètement, celle-ci va pouvoir déployer le programme d’investissements prévus d’un montant de 500 millions d’euros. Celui-ci « concernant la navigation, prévoit le doublement des portes aval des écluses de Châteauneuf-du-Rhône et de Bollène pour accompagner et encourager l’augmentation du trafic fluvial sur le Rhône », indique un communiqué de la CNR.
Il est aussi prévu « une actualisation du schéma directeur, permettant à CNR d’engager des investissements de 165 millions d’euros par période de 5 ans (Plans 5Rhône) autour des 5 volets au service de la Vallée du Rhône : «énergie » pour développer les énergies vertes, « navigation » pour renforcer le transport fluvial, « agriculture » pour contribuer à une agriculture durable, « environnement »pour favoriser un corridor de biodiversité plus vivant et dynamique, « actions complémentaires » pour accompagner les projets de territoires ».