Sur le canal du Midi, des visions différentes des activités s’affrontent entre des bateliers qui dénoncent un abus de redevance de stationnement et la division territoriale Sud Ouest de VNF qui considère cette voie d’eau classée à l’Unesco comme une opportunité économique fortement attractive. Présentation des positions et analyses de chacun.
Augmentation des redevances de stationnement, complexité de leur calcul, manque de visibilité, changement de statut, voire de ton, sur « radio canal du Midi », les politiques de gestion des places de stationnement de VNF font l’objet de nombreuses réclamations jusqu’à des procès, toujours perdus pour les bateliers…Les griefs portés haut par de nombreux acteurs de la navigation intérieure dénoncent une gestion de l’activité professionnelle « peu encourageante pour l’économie de la voie d’eau et en rupture avec l’esprit de service public ». Bateaux à passagers, bateaux-restaurant, chambres d’hôtes, bateaux-promenade, la batellerie professionnelle subit depuis 4 ou 5 ans une chasse à l’absence de convention d’occupation temporaire (COT) ainsi que des renouvellements avec mises en concurrence et inflation.Pour le secteur des bateaux à passagers, la donne a ainsi changé. Le domaine fluvial est un domaine public géré par un établissement public qui a, en charge, de faire appliquer une réglementation nationale. Mais sur le canal du Midi, des usages avaient habitué des bateliers navigants, professionnels ou de plaisance à stationner temporairement librement sans convention. Depuis quelques années, la division territoriale Sud-Ouest de VNF a décidé d’appliquer autrement le règlement national. « L’augmentation considérable du tarif de base peut atteindre l’équilibre des entreprises. Les facteurs de calculs correspondent à des usages stationnaires et non pour des navigants. La grille ne s’adapte pas au niveau d’exploitation. Les commissions d’attribution aboutissent à une augmentation de tarifs, même pour les petites exploitations », explique Pierre Gaudry, capitaine d’un bateau à passagers basé à Gardouch (31), vice-président de l'UPCM (Union des péniches de croisière du Midi) et délégué d’Entreprises fluviales de France pour le tourisme sur le canal des Deux Mers. Dans ses constats, une COT d’un bateau du canal du Midi de 150 m² varie actuellement de 1400 euros à 2900 euros par an après mise en concurrence et renouvellement, ajoutée d’un péage de 2000 euros pour naviguer. « Cela peut représenter 5 à 15 semaines d’activités selon les entreprises. VNF a aussi supprimé le mode de calcul au temps réel de stationnement pour les bateaux ne faisant usage du domaine public fluvial que pour l’hivernage. Cela permettait une réduction de 50 à 100 % ».
Pour VNF, une « privatisation » d’un canal attractif
Chez VNF, c’est un tout autre discours, pour une autre vision du contexte. Le canal du Midi est considéré comme représentant une opportunité économique fortement attractive. Chaque bateau ne naviguant pas au-delà d’une certaine période (une semaine environ mais non réglementée) doit statuer et conventionner une « privatisation du domaine public ». Là où, pour les navigants restant sur le canal du Midi, le stationnement est un arrêt forcé du bateau pour saisonnalité, il est considéré par les gestionnaires comme une opportunité de développer une activité économique en occupant un espace. « Les occupants des bateaux professionnels qui privatisent des emplacements doivent passer un contrat avec VNF du fait de cette occupation. Lors du renouvellement de leur COT, depuis l’ordonnance de 2017, une mise en concurrence est obligatoire. Notre but est de garantir la transparence et le respect de la concurrence. Cette redevance est fixée en fonction du type de bateau, du lieu et d’un ensemble de critères. Ils suivent une évolution tarifaire sensible lors de leur actualisation, tous les 5 ans », détaille Alexis Palmier, chef du service développement à la division territoriale Sud-Ouest.La tension sur la demande de places sur le canal du Midi devenant un facteur déterminant : « L’attractivité du canal du Midi exerce une pression foncière pour les professionnels. Pour ces bateaux qui travaillent à la production de services, l’attribution des places doit faire l'objet d’un choix de VNF. Sur certaines zones nous ne pouvons répondre à toutes les demandes. Il y a réellement une tension », reprend le gestionnaire.Pour Pierre Gaudry, l’espace sur le canal du Midi ne justifie pas cette politique : « Il y a 500 km de berges de chaque côté, ce ne sont donc pas les emplacements qui manquent et qui gênent ».Le rôle des collectivités localesDans sa politique globale, la tendance de VNF à transférer la compétence de la gestion du domaine aux collectivités locales s’amplifie, ouvrant au développement économique des sites et à de nouvelles conventions.C’est le cas pour le hameau du Somail (11) où un vaste projet de valorisation touristique porté par la communauté d’agglomération du Grand Narbonne n’est pas sans conséquence sur les choix d’attributions de COT privilégiant les activités lucratives et attractives au détriment de péniches de travail.Autre conflit aux écluses de Fonséranes à Béziers où VNF propose 75 mètres linéaires à louer par l’office de tourisme.Sur la zone de Castelnaudary, un couple habitant sur une péniche et louant deux chambres d’hôtes a vu, à l’échéance de sa COT, leur emplacement mis en concurrence. « Au même titre que, dans les communes, louer des chambres d’hôte n’est pas une activité professionnelle. Nous proposons de l’accueil aux vélo-touristes du canal du Midi, nous n’avons pas de bénéfices importants et c’est une activité saisonnière. Avec cette mise en concurrence, notre redevance s’est élevée de 600 euros à 2000 euros», commente Pierre Isaac, le propriétaire.Ces bateliers, professionnels ou pas, ne relevant pas de l’accueil de luxe, s’interrogent sur la place qui leur est encore accordé sur ce réseau fluvial. « Les petites entreprises familiales qui vivent du et pour le canal des Deux Mers, avec des chiffres d’affaires inférieurs à 100 000 et allant jusqu’à 150 000 euros ne peuvent absorber ces augmentations, estime Pierre Gaudry. Il semble que le calcul des redevances ou le fait que le petit gabarit surpaye un service public ne soit pas un problème. À croire que la « dénavigation » est toujours dans le logiciel du gestionnaire ». Tout autre son de cloche à la division territoriale Sud-Ouest qui donne une vision plus optimiste de l’activité sur ce canal classé Unesco : « La pandémie a provoqué de nombreuses fermetures mais nous observons que les bases rouvrent de nouveaux comme à Trèbes. Ce qui augure une reprise », reprend Alexis Palmier.
Canal historique versus canal provincial
En quelques années, quatre procès ont été perdus par les bateliers sur des litiges d’amarrage ou de stationnement.Pour ces affaires, Pierre Gaudry défend l’esprit de la loi et un tourisme tourné vers une clientèle plus modeste : « On se bat contre VNF qui ne connaît pas nos caractéristiques professionnelles. Il y a, pour moi, une confusion entre l’occupation des dépendances et la privatisation du domaine public. Ce qui amène à une vision catastrophique où les plaisanciers du canal ont pour mission de payer l’infrastructure. La commission d’examen des dossiers pourrait adapter le tarif en tenant compte des bilans d’activité. En exemple, en Garonne, une vraie commission est constituée avec des représentants des professionnels. Ne pas aller dans ce sens serait un très mauvais signal donné aux exploitants et à la clientèle française qui paye déjà l’entretien des infrastructures fluviales ». Le vice-président de l’UPCM rappelle aussi la spécifité du canal du Midi dont le gabarit est limité à 30 mètres : « Il est impossible d’aller au-delà de 8 à 10 passagers à bord. Sans oublier le tirant d’eau limité à 1,4 mètre et 5 à 6 mois d’arrêt l’hiver. C’est un canal très provincial ».