Saône-Rhin Europe (SRE) a tenu son assemblée générale en octobre 2022, l’occasion de faire le point avec son président, Pascal Viret, sur les actions menées ces derniers mois et de présenter les priorités pour l’avenir en faveur du développement du fluvial et du projet de liaison fluviale Saône-Moselle/Saône-Rhin portée par cette association.
Peu avant l’été 2022, aux côtés de SRE, 7 autres associations représentatives de la filière fluviale française avaient publié une « motion commune » pour soutenir la réalisation de la liaison Saône-Moselle/Saône-Rhin (voir article de NPI) dans le contexte de la révision du RTE-T qui doit aboutir fin 2023 et des travaux du conseil d’orientation des infrastructures (COI) qui prépare un nouveau rapport et de nouveaux scénarios sur les infrastructures nécessaires pour les 20 ans prochains.
Continuer les démarches communes
Pour Pascal Viret : « Nous sommes de plus en plus proches d’autres associations comme Agir pour le fluvial ou le Consortium international des voies navigables et multimodales. L’avenir est à une plus grande coordination de nos démarches plutôt que de continuer à travailler séparément ». Cette démarche commune à la mi-2022 faisait en effet suite à d’autres menées par plusieurs de ces associations fluviales dont SRE, mais chacune de leur côté, pour interpeller le gouvernement sur ses intentions vis-à-vis du projet en soulignant l’importance de le maintenir dans les schémas de planification français et européen avec une réalisation à l’horizon 2040.
Le président de l’association SRE poursuit : « Nous sommes décidés à ne rien lâcher et planifions nos actions en fonction du calendrier de révision du RTE-T qui doit être finalisé à la fin 2023 et est un enjeu stratégique. Notre objectif est d’obtenir une inscription du projet de liaison Saône-Moselle/Saône-Rhin avec une planification de sa réalisation à l’horizon 2040 dans les programmes français et européens. C’est un projet de liaison fluviale européenne qui possède une dimension transfrontalière et qui ne peut se concevoir qu’avec des financements européens très élevés comme pour Seine-Nord/Seine-Escaut.
Il doit y avoir une logique dans les projets fluviaux : après Seine-Nord/Seine-Escaut, dont la mise en service est pour 2028-2030, Saône-Moselle/Saône-Rhin est l’autre maillon fluvial manquant des réseaux français et européen ».
L’argumentaire de l’association sur ce point précise : « Sur le plan international, la liaison relie la Saône à l’extrémité sud du Rhin navigable au travers du corridor franc-comtois, axe naturel et historique de communication. Dans le réseau de l’Europe de l’Ouest, elle occupe une position centrale, rattachée à la « dorsale européenne », zone économique principale, dont elle prolonge la colonne vertébrale : le Rhin. Elle relie le monde méditerranéen, l’axe rhodanien avec le bassin rhénan, l’Europe du Nord, et par « Rhin-Main-Danube », avec l’Europe centrale et danubienne, le plus directement possible. Elle contourne l’arc alpin, au franchissement difficile et coûteux. Elle permet la desserte fluviale de l’Allemagne et de la Suisse par un itinéraire fluvial alternatif, notamment en cas de basses eaux du Rhin. Elle croise des axes routiers (A35, A39, RN57, RN19) et ferroviaires importants (Bienne-Delle-Belfort). Elle affirme donc une véritable dimension européenne en reliant une grande partie du territoire français depuis le Sud-Est, avec le Nord de la Suisse, l’Ouest de l’Allemagne, les Pays-Bas et la Belgique ».
Les travaux en cours du COI
Tout récemment, suite à des courriers de relance en septembre 2022 rappelant la motion commune d’avant l’été, des réponses ont été reçues dont l’une de David Valence, député, conseiller régional (Grand Est), et président du COI qui a demandé à l’association de lui faire parvenir davantage d’informations sous la forme d’une note écrite, précise Pascal Viret.
Une demande qui s’inscrit dans le contexte des travaux en cours du COI pour élaborer un nouveau rapport et au moins un scénario, actualisant ceux délivrés en 2018 par ce conseil d’orientation des infrastructures qui était alors présidé par Philippe Duron (voir encadré).
Pour SRE, il s’agit de convaincre en France (le COI, le gouvernement…) de la nécessité de la réalisation de la liaison Saône-Moselle/Saône-Rhin pour qu’elle soit inscrite dans les programmations à l’horizon 2040. En se souvenant que le rapport du COI de 2018 préconisait un horizon à 2050, alors que le RTE-T de 2013 mentionnait 2030, rappelle Pascal Viret.
Pour l’heure, le gouvernement ne semble pas avoir vraiment compris les contours les plus récents de la révision en cours du RTE-T, son évolution vers un « réseau central étendu », la planification au-delà de 2030 et la volonté de faire coïncider les programmes nationaux et européens concernant les infrastructures... En témoigne sa réponse, par l’intermédiaire du ministère des transports, à une question parlementaire du député du Haut-Rhin Raphaël Schellenberger en juillet 2022 : « La proposition de révision du règlement RTE-T publiée en décembre 2021 tend à renforcer en priorité l'objectif de réalisation du réseau central à l'horizon 2030. A cette échéance, l'objectif est de finaliser le plus grand projet fluvial d'Europe qu'est le projet Seine-Escaut, conformément à la décision d'exécution du 27 juin 2019 ».
Du fret sur les canaux Freycinet
Globalement, les différentes positions, ou parfois même le silence, du gouvernement, des candidats à l’élection présidentielle, et autres élus, à quelques exceptions près, concernant le fluvial font réagir l’association et son président : « A nos courriers aux candidats à la présidence de la République en avril, nous avons reçu une réponse, d’Anne Hidalgo. Ce qui illustre hélas le peu d’intérêt que la classe politique accorde à ce sujet. Alors que dans le contexte des transitions écologique et énergétique, l’alternative réside bien dans les transports massifiés, par le fer ou la voie d’eau, sans privilégier l’un par rapport à l’autre. Il faut additionner les bonnes solutions et les vertus et n’en soustraire aucune. Le fluvial comme le ferroviaire fait partie de la réponse au report modal. Il est regrettable que la loi « climat et résilience » en 2021 ait fixé à la France un objectif de doublement du fret ferroviaire en 2030 et de seulement +50 % pour le transport fluvial ».
Pascal Viret consent à admettre que les crédits de VNF ont augmenté ce qui permet à l’établissement d’investir 345 millions d’euros en 2022 pour entretenir, moderniser et développer les infrastructures, à comparer aux 320 millions de 2021. « Ces deux années correspondent à un réel progrès en comparaison avec les 170 millions de 2019. Mais nous continuons d’affirmer qu’un montant de 500 millions d’investissements au total seraient nécessaires pour satisfaire les besoins, et craignons une baisse post-plan de relance, même si selon le contrat d’objectif et de performance entre VNF et l’Etat, leur montant devrait normalement tourner autour de 300 millions d’euros par an sur la durée du COP ».
Pour l’association, un montant plus élevé « permettrait notamment d’engager rapidement la lutte contre la dégradation du réseau à petit gabarit et de ses ouvrages, conséquence du manque d’entretien accumulé ces dernières décennies, aggravé par des restrictions d’enfoncement et par la prolifération de plantes aquatiques invasives. Toute la navigation est pénalisée ».
Sur la dégradation du réseau à petit gabarit, là aussi, une tribune commune « stop à la mort des canaux» (voir article de NPI) a été signée en décembre 2021 par une quarantaine d’organisations (dont SRE) pour « dénoncer les multiples effondrements de berges, fuites, ouvrages dégradés et déficients, envasements… ».
Pour Pascal Viret : « Notre position est que même si l’essentiel des trafics de fret fluviaux se fait et se fera sur les voies navigables du grand gabarit, il ne faut pas laisser disparaître le transport de marchandises quasi totalement des canaux du réseau Freycinet qui ont encore un intérêt pour la desserte fine des territoires en voies de rabattement des axes fluviaux à grand gabarit et sur des itinéraires ayant des potentiels de trafics recensés; sans oublier la courte distance pour la distribution urbaine, les déchets… ».
Il cite la réalisation d’une étude par APLF et E2F qui a mis en évidence les potentiels de transports sur des liaisons interbassins à petit gabarit, mais aussi du tourisme, dans l’attente de la réalisation à long terme de liaisons à grand gabarit. La présentation « officielle » de cette étude est annoncée pour le 28 novembre 2022.
En conclusion, le président de l’association relève : « Nombre de travaux fluviaux ont été engagés ou poursuivis en 2022, mais, c’est essentiellement dans les bassins de la Seine, de l’Oise et du Nord-Pas-de-Calais que les avancées sont les plus spectaculaires. La plupart de ces travaux sont directement liés au grand projet devenu réalité, maillon central de la liaison européenne Seine-Escaut, le canal Seine-Nord, et aux projets d’aménagements connexes : la DUP de MAGEO a été signée le 22 avril et celle de Bray-Nogent, le 22 juillet. Le Nord-Ouest du réseau fluvial bénéficie d’un alignement des planètes ! Pour nous, dans la foulée de Seine-Nord, premier maillon du maillage à grand gabarit du réseau navigable de la France, il serait logique de le poursuivre. Dans la suite des SRADDET des régions Grand Est et Bourgogne, l’Etat ne doit plus hésiter à inscrire le projet de liaison fluviale Saône-Moselle/Saône-Rhin dans les prochaines planifications nationales (COI) et européennes (RTE-T) ».
Vers un nouveau rapport du COI
« La lettre de mission du gouvernement, signé par Clément Beaune nous fixe une livraison au printemps 2023, a dit David Valence lors d’une réunion de TDIE le 25 octobre. Elle nous donne mandat pour une réflexion sur les infrastructures à l’échelle du quinquennat mais nous réfléchissons à un calendrier de 20 ans, c’est-à-dire jusqu’en 2040. Ce sera le troisième rapport du COI. La lettre détaille quatre axes : priorité à la régénération et à la modernisation des réseaux existants, priorités aux mobilités du quotidien, la nécessité de la « décarbonation » des mobilités par un développement du ferroviaire et du fluvial, sans insister sur la question des motorisations, la résilience des infrastructures. Elle insiste aussi sur la nécessité d’identifier des financements alternatifs les plus larges possibles, de proposer une ingénierie juridico-financière. Nous comprenons qu’une infrastructure doit aider à économiser de la tonne de CO2, ce qui devrait être le premier critère pour les infrastructures et leur financement ».