Avec l’ouverture du canal Seine-Nord en 2030, la liaison européenne Seine-Escaut à grand gabarit deviendra réalité. Un nouvel axe fluvial de 1100 km qui devrait davantage profiter aux vracs qu’aux conteneurs, selon les acteurs portuaires, qu’ils se situent au Nord ou au Sud du futur canal. Compte-rendu d’une conférence du salon Riverdating le 30 novembre 2022 au Havre.
Représentants des ports de l’axe Seine, du Nord de la France et de Belgique étaient réunis pour une conférence sur Seine-Nord, en ouverture de Riverdating le 30 novembre 2022. Le rendez-vous annuel organisé par VNF s’est tenu au Havre cette année, ce qui n’est pas anodin puisqu’il se dit dans ce port : « On a passé des années à lutter contre Seine-Nord pendant que les ports du Nord préparaient l’arrivée du canal ».
Ces considérations n’ont désormais plus cours, avec le lancement effectif des travaux du canal. « Les tergiversations du passé sont derrière nous, les travaux sont désormais lancés et il n’y aura pas de retour en arrière, a ainsi assuré Thomas Doublic, chef du département du transport fluvial du ministère chargé des transports. La perspective, c’est l’ouverture de Seine-Nord en 2030 ».
Une perspective à laquelle tous les ports se préparent, notamment Le Havre avec l’accès fluvial direct à Port 2000, la fameuse « chatière », au sujet de laquelle l’enquête publique a démarré le 1 décembre. L’objectif est une livraison de l’ouvrage en 2025.
Indéniable intérêt pour les vracs
Un canal pour quels trafics ? Pour Haropa, les avantages apportés par Seine-Nord devraient surtout concerner le vrac, l’intérêt d’une utilisation pour les conteneurs étant limité par la possibilité d’empiler seulement deux couches de boîtes à bord des bateaux, alors que le chargement peut atteindre quatre couches entre Le Havre et Gennevilliers. « Pour le vrac, la massification jouera à plein, avec par exemple un gain de compétitivité pour les transports de céréales à destination de Rouen en vue de leur exportation maritime », explique Antoine Berbain, directeur général délégué de Haropa Port, qui pointe aussi l’intérêt de Seine-Escaut pour les matériaux de construction : « L’Île-de-France continuera à construire beaucoup dans les années à venir. La logistique voie d’eau y est très bien organisée, et l’on tient à y garder un réseau de centrales à béton bord à voie d’eau, y compris au cœur de l’agglomération. Seine-Nord permettra de créer de nouveaux flux d’approvisionnement en granulats depuis le Nord de la France, en particulier le Calaisis, et aussi depuis la Belgique ».
À l’autre bout de l’axe Seine-Escaut, c’est aussi sur les vracs que reposent les espoirs fondés sur la nouvelle liaison fluviale. North Sea Port, qui regroupe depuis 2018 le port flamand de Gand et les ports néerlandais de Terneuzen et Flessingue, accorde déjà une importance prédominante au fluvial pour ses trafics terrestres, avec une part modale de 60 % contre 30 % pour la route. L’objectif est de diminuer à 25 % la part de la route. Et la liaison Seine-Escaut constitue pour cela une opportunité, selon Isabelle Van Vooren, directrice du port : « Le port réalise 60 Mt en navigation intérieure, dont 2,2 Mt en direction de la France. Nous espérons augmenter ce tonnage, en particulier dans les vracs car pour les conteneurs, notre activité est surtout celle d’un hub de transbordement pour les ports d’Anvers et Rotterdam ».
La hauteur des ponts en question
Le port d’Anvers, justement, très attaché au fluvial qui transporte 30 % de ses conteneurs, a « quelques réserves » sur Seine-Escaut, selon son responsable des relations internationales, Philippe Le Petit : « Sur le territoire flamand, Seine-Escaut passe par la Lys. Mais une meilleure connexion de la Lys avec Zeebrugge n’est pas été prévue. L’Escaut supérieur n’a pas non plus été pris en compte. Le transport de conteneurs est confronté aux goulets d’étranglement que constitue la hauteur libre de seulement 5,25 m sous les ponts entre le nouveau canal et la Lys mitoyenne ». Le représentant du port de l’estuaire de l’Escaut, qui voit lui aussi davantage d’intérêt pour les vracs, se dit « modérément positif pour les conteneurs, parce que le Nord de la France reste proche du port d’Anvers, donc la route restera compétitive. Ce sont donc Le Havre et Dunkerque qui verront davantage de conteneurs grâce à Seine-Nord ».
La création de plateformes multimodales le long du futur canal est aussi en question. « Quelle va être l’implication des compagnies maritimes ? s’interroge ainsi Philippe Petit. Vont-elles permettre l’installation de dépôts de conteneurs vides sur les terminaux intérieurs ? »
« Sans activité économique le long du canal, ce ne sera qu’un axe de transit pour les flux des ports de la mer du Nord, estime le directeur des Ports de Lille, Alain Lefebvre. On prend souvent en exemple le canal Albert, qui va avoir 100 ans et passe actuellement ses ponts à 9 m. La chance de Seine-Nord, c’est de partir d’une feuille blanche ». Quel sera, pour le port de Lille, le potentiel de trafic fluvial permis par la liaison Seine-Escaut ? « Je n’en sais rien du tout à cette heure-ci ! », répond Alain Lefebvre, qui note cependant, lui aussi, que des trafics fluviaux de matériaux de construction devraient se créer : « Les granulats de Lille viennent surtout du bassin du Tournaisis, distant d’une vingtaine de kilomètres par la route mais de 120 km en fluvial, donc tout se fait aujourd’hui par la route ».
Activités logistiques et coopérations transfrontalières
Au port de Dunkerque, déjà connecté à l’Escaut à grand gabarit, on pousse Seine-Nord à miser sur l’activité logistique : « Seine-Nord doit avoir la même stratégie que le port de Dunkerque : développer l’infrastructure, certes, mais aussi la création de valeur ajoutée par le développement de l’activité logistique sur les plateformes, déclare le directeur général du port, Maurice Georges. Les logisticiens belges investissent déjà à Dunkerque, ils le feront demain sur Seine-Nord ; c’est à cette échelle européenne qu’il faut réfléchir ».
Une échelle européenne bien prise en compte par North Sea Port, selon Isabelle Van Vooren : « Depuis cinq ans, avec la fusion des ports, nous avons appris à créer des liens transfrontaliers tant au niveau logistique qu’institutionnel. Nous avons ainsi développé des projets d’infrastructures qui n’auraient pas eu lieu, ou moins vite : par exemple un réseau ferroviaire transfrontalier, un réseau d’hydrogène, ou encore l’écluse de Terneuzen. Il faut travailler, de la même façon, à des partenariats entre les ports qui se trouvent sur l’itinéraire Seine-Escaut, pour qu’ils travaillent ensemble et non l’un contre l’autre ».