L’éboulement en vallée de la Maurienne illustre la fragilité du trafic ferroviaire transalpin

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La circulation sur la ligne ferroviaire pour les trains de marchandises et de voyageurs demeure interrompue sur la ligne Chambéry-Turin, entre Saint-Jean de Maurienne et Modane (France-Italie). Des voix s’élèvent pour rappeler les difficultés chroniques du transport ferroviaire transalpin, toujours fragile et limité, compte tenu de la lenteur d’avancement du projet de liaison entre Lyon et Turin, composé d'un tunnel dit de base et de voies d'accès aussi bien côté français qu'italien. 

Ça va mieux pour la route. Deux semaines après l’éboulement en vallée de Maurienne ayant provoqué une interruption de la circulation sur l’A43 et dans les tunnels routier et ferroviaire du Fréjus, la situation s’améliore pour les poids lourds. Il n’en va pas de même pour le trafic ferroviaire : la circulation demeure interrompue sur la ligne Chambéry-Turin, entre Saint-Jean de Maurienne et Modane (France-Italie), aussi bien pour les voyageurs que pour le fret.

Incertitude pour la voie ferrée. La ligne ferroviaire présenterait de nombreux dégâts sur les voies, la signalisation a souffert, l’incertitude demeure concernant l’état de la galerie en elle-même.

L’horizon d’une reprise de la circulation des trains demeure lointaine : « au moins deux mois », a indiqué le ministre des Transports Clément Beaune il y a une semaine. Du côté de l’opérateur ferroviaire, certains interlocuteurs évoquent « plusieurs mois ». On comprend surtout qu’il est encore trop tôt pour avancer des prévisions à peu près fiables, les investigations doivent se poursuivre sur le terrain.

Un coup dur pour le fret ferroviaire. Selon une communication du comité pour la Transalpine, association « fédérant les collectivités publiques et les acteurs économiques mobilisés en faveur de la liaison ferroviaire fret et voyageurs Lyon-Turin » publiée début septembre : « C’est une véritable catastrophe pour les entreprises opérant habituellement entre la France et l’Italie via la ligne historique qui manquait déjà singulièrement d’attractivité. Les perspectives sont d’autant moins réjouissantes quand on connait les difficultés à reconquérir des clients utilisant le ferroviaire qui sont retournés vers le mode routier. Le nombre de poids lourds transitant à la frontière franco-italienne (trois millions par an) devrait donc logiquement encore progresser ».

Des élus montent au créneau. Quatre maires de la vallée de Chamonix ont diffusé début septembre une lettre ouverte pour demander « l’accélération du déploiement du fret ferroviaire par la liaison Lyon-Turin ». Ils estiment aussi avec le fait que le tunnel international, devant passer sous la montagne, s’il avait existé, aurait été épargnée par l’éboulement en surface du 27 août 2023. Cette affirmation est certes vraie pour cet éboulement mais il faut toutefois la prendre avec précaution : aucune infrastructure n’est jamais à l’abri d’aléas, d’incidents ou d’accidents.

L’un des quatre élus signataires de cette lettre s’est exprimé en fin de semaine dernière, mettant en avant « l’état d’urgence absolue du trafic transalpin. Il est absolument impératif de prendre les mesures d’investissements sur le report modal et sur le ferroviaire avec le Lyon-Turin. C’est ce qu’on attend depuis des années ».

Rééquilibrer le rapport route/rail. Le président du comité pour la Transalpine, Jacque Gounon va dans le même sens : « Cet épisode illustre les grandes problématiques du transport transalpin. D’un côté, le poids colossal du mode routier qui représente 92% des marchandises échangées. De l’autre, le manque de fiabilité et de performance d’une infrastructure ferroviaire datant de Napoléon III. Le Lyon-Turin est la seule solution technique crédible pour rééquilibrer ce rapport. A terme, la vocation de la ligne historique, qu’il convient sans doute de mieux sécuriser par endroit, doit être orientée vers les dessertes TER locales. Il est évident qu’elle ne peut absolument pas représenter l’avenir du ferroviaire sur un axe européen stratégique entre la France et l’Italie ».

Une ligne qui date du 19ème siècle. L’association rappelle que la ligne historique de Maurienne est « un cordon ombilical ferroviaire entre la France et l’Italie depuis le 19ème siècle ». Elle « passe par des zones de montagne dont on vient à nouveau de mesurer les signes de fragilité. A ses fortes pentes, son obsolescence structurelle et son manque de capacités, s’ajoute une problématique de sécurité ».

C’est quoi le projet Lyon-Turin ? L’éboulement remet sur le devant de la scène le projet Lyon-Turin, sur les rails (si l’on peut dire) depuis plus de 25 ans avec la création d'une commission intergouvernementale (CIG) en 1996. « La liaison Lyon-Turin est un programme d’infrastructures et d’équipements ferroviaires conçu comme un ensemble cohérent. Il est composé de trois projets relevant de la responsabilité de deux pays (France et Italie) et d’accords internationaux », indique le comité pour la Transalpine dans un rapport publié en 2021.

  • Une section transfrontalière (maître d’ouvrage TELT, une société franco-italienne publique contrôlée à 50-50 par les deux États et qui sera aussi chargée de l’exploitation) aussi nommé tunnel international dit de « base » ou tunnel transfrontalier d’une longueur de 66,5km entre Saint-Jean-de-Maurienne et Suse/Bussoleno (dont 57,5km de tunnel « bitube » sous les Alpes et 9km de raccordements de part et d’autre de l’ouvrage). C’est une « section à haute performance entièrement mixte pour le fret et les voyageurs ». Sa réalisation est entamée avec des travaux débutés en 2005. Sa date de livraison est prévue vers 2030-2032. C’est la partie clé de la liaison mais elle est encadrée par des sections à ses deux extrémités, côté français et côté italien.
  • Une section italienne (maître d’ouvrage RFI) : d’une longueur de 55 km entre Suse/Bussoleno et l’agglomération turinoise (Settimo Torinese), elle comporte un tunnel et a une double fonctionnalité fret et voyageurs portée par deux lignes distinctes. Après une interruption pour raison politique en Italie entre 2018 et jusqu’à juillet 2019 (opposition du mouvement 5 étoiles au projet), la dynamique a été relancée. La volonté est de parvenir à une mise en service concomitante de la section italienne et du tunnel transfrontalier. Ce n’est pas vraiment le cas en France.
  • Une section française (maître d’ouvrage SNCF Réseau) est, dans sa configuration issue de la déclaration d’utilité publique (DUP) de 2013 (valable jusqu’en 2028), d’une longueur totale de 130 km entre l’agglomération lyonnaise (aéroport Saint-Exupéry) et Saint-Jean-de-Maurienne en Savoie. Elle comporte cinq tunnels et possède une double fonctionnalité fret et voyageurs portée par deux lignes distinctes. Mais ce plan connaît depuis plusieurs années des retards liés à des hésitations françaises sur les travaux à mener en priorité sur les différents tronçons concernés voire d’autres dans le même périmètre.

Et ainsi, la France ne démontre pas complètement sa volonté d’une mise en service des accès de son côté en même temps que le tunnel international, soit entre 2030-2032.

Homogénéité de l’itinéraire ou pas. Pour les partisans de la liaison, la France freine le projet. « Compte tenu des impulsions données par l’Italie, une accélération de la réalisation des accès français au tunnel transfrontalier est nécessaire pour pouvoir disposer au plus près de 2030 d’un ensemble d’infrastructures interconnectées, avec des niveaux de capacité et d’exploitabilité homogènes de bout en bout de l’itinéraire », dit le comité pour la Transalpine dans son rapport. Ou encore : « Il faut une coordination sur l’ensemble de l’itinéraire, parce que, dans le tunnel, les trains de voyageurs circuleront à 220 kilomètres par heure et les trains de fret à 120 kilomètres par heure. Si le tunnel est terminé, mais que les accès ne sont pas aménagés, on ne pourra pas utiliser les capacités du tunnel ».

Les raisons du retard du projet. Selon un rapport de la Cour des comptes européenne publié en 2020, la réalisation de la liaison ferroviaire Lyon-Turin a pris 15 ans de retard sur le calendrier initial. « Plusieurs facteurs en sont à l’origine : l’ampleur et la grande complexité technique du projet. Le portage franco-italien du programme exige une constante harmonisation des prises de décisions entre deux Etats dont les priorités politiques peuvent se désynchroniser au fil du temps et des alternances électorales. A cela s’ajoutent des procédures juridiques, administratives et budgétaires très différentes entre la France et l’Italie ».

Combien ça coûte ? « La faisabilité du Lyon-Turin repose sur la mutualisation des coûts entre la France, l’Italie et l’Union européenne dont les nouveaux règlements rendent possible un cofinancement à 50% de la liaison ».

Le coût du projet :

  • 6 milliards pour la France,
  • 1,9 milliard pour l’Italie,
  • 8,6 milliards d’euros (en € 2012) pour le tunnel de base.

Les prévisions de trafics. Le tunnel transfrontalier aura une capacité fret maximale de 40 Mt/an et permettra de faire circuler, à terme, jusqu’à 344 trains fret et voyageurs par jour. Il doit rendre possible le report sur le rail d’au moins un tiers des trois millions de poids lourds qui franchissent chaque année la frontière franco-italienne.

Une avancée du projet a eu lieu le 31 août. L’éboulement en vallée de Maurienne le 27 août et ses conséquences sur les trafics routiers et ferroviaires entre les deux pays ont éclipsé une annonce du maître d’ouvrage TELT faite le 31 août. Les entreprises attributaires des marchés relatifs au percement de la partie italienne de l’infrastructure ont été désignés. Le groupe français Spie Batignolles -présent depuis longtemps sur le chantier côté français- et les entreprises italiennes Itinera et Ghella, ont ainsi été chargés du creusement des deux tubes de 13 km côté italien pour un montant de 1,1 milliard d’euros. Deux tunneliers et 700 personnes seront mobilisés pour percer la montagne.

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