Le secteur fluvial européen freiné par des basses eaux

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De très faibles précipitations, des températures très élevées, un ensoleillement record au cours de l’été 2022 entraînent des étiages sévères sur nombre de fleuves et canaux en Europe, réduisant les capacités des bateaux pour le transport des marchandises, freinant les activités du tourisme fluvial. Ce qui rappelle, encore une fois, le besoin d’investir dans les infrastructures fluviales avec un engagement ferme des autorités concernées « qui fait actuellement défaut », relève l’EBU.
L’European Barge Union (EBU en anglais ou UENF, en français, soit Union européenne pour la navigation fluviale) a alerté le 18 août 2022 sur « des niveaux d'eau extrêmement bas sur les voies navigables européennes », conséquence « d’une vague de chaleur depuis plusieurs semaines » sur l’ensemble du Vieux continent. Sur le Rhin, le niveau d’eau, relevé au point de référence pour la profondeur de ce fleuve qu’est l’échelle de Kaub en Allemagne, « devient critique » et fait que « les bateaux ne peuvent transporter que moins du quart de leur capacité normale » pour éviter de racler les fonds, indique l’EBU. Cette organisation met aussi en avant la situation difficile sur le Danube où « les transports ont été confrontés ces dernières semaines à un niveau d'eau extrêmement bas dû à un manque d'entretien de la voie navigable par les autorités bulgares ». Selon l’EBU, « de telles situations ont des conséquences négatives considérables pour les entreprises européennes qui dépendent structurellement du transport fluvial », citant notamment les secteurs de l’agriculture (céréales, engrais…), de la sidérurgie, de la chimie, etc. L’organisation poursuit : « De toute évidence, le manque d'investissements dans les infrastructures fluviales au cours des dernières années a conduit à la situation actuelle. En raison d'un manque d'investissement dans les infrastructures fluviales et d'un entretien négligé, des situations d'étiage apparaissent plus fréquemment et compromettent la fiabilité du secteur de la navigation intérieure. La navigation intérieure devrait augmenter considérablement sa part modale. Au cours des dernières années, cela n'a pas pu se concrétiser en raison de l'entretien négligé des infrastructures fluviales et du manque d'investissements ». Pour l’EBU, il ne suffit pas d’appeler à une augmentation de la part modale de la navigation intérieure au niveau européen, notamment dans le Green Deal… Encore faut-il que cela aille « de pair avec un engagement des autorités, qui fait actuellement défaut. L'infrastructure est l'épine dorsale des services et de la fiabilité du secteur fluvial qui a donc besoin d'un réseau fiable, sûr, rentable et résilient au changement climatique ». L’EBU appelle donc « toutes les parties concernées, en particulier les États membres disposant d'infrastructures fluviales pertinentes, à assumer leurs responsabilités dans l'accomplissement de leurs tâches ».

Le Rhin sur le chemin de 2018 ?

Avec plus de 40 000 km de voies navigables et 250 ports intérieurs, le secteur fluvial européen transporte environ 550 millions de tonnes de marchandises par an et prend une importance croissante dans le domaine des croisières et du transport de passagers. Le Rhin est la principale voie fluviale européenne sur laquelle sont transportées environ 300 millions de tonnes de marchandise chaque année. Pour le Rhin, le 13 août 2022, le niveau à l’échelle de Kaub était de 37 centimètres, sachant que le passage devient encore plus difficile quand il tombe en dessous de 35 centimètres, même pour des bateaux peu chargés. En dessous de 30 centimètres, la navigation devient impossible. Le 20 août, suite à des précipitations, le niveau est remonté à 44 centimètres à Kaub. A cette situation exceptionnelle, des aléas imprévisibles s’ajoutent ponctuellement comme la panne d’un bateau le 17 août non loin de Kaub qui a contrarié encore davantage pendant quelques heures la navigation dans ce secteur rhénan. Rappelons qu’en octobre 2018, à Kaub, un point bas « historique » de 25 centimètres avait été mesuré. En 2018, les basses eaux du Rhin, à partir de début août et d’une durée d’une centaine de jours, avaient coûté -0,4 % de croissance à l'économie allemande. Cette année 2022, l’étiage pourrait réduire de 0,25 % la performance économique de ce pays, ramenant sa croissance à moins d'1 %, selon la Deutsche Bank. En Allemagne, le Rhin constitue le transport privilégié et essentiel pour l’approvisionnement en matières premières de nombre d’industries chimiques ou sidérurgiques situés le long du fleuve (BASF, ThyssenKrupp…). Il s’ajoute en cette année 2022 une difficulté nouvelle liée à la guerre en Ukraine : l’Allemagne pour se détacher d’une trop grande dépendance vis-à-vis du gaz russe s’approvisionne massivement par le fleuve en charbon (pour alimenter des centrales électriques fonctionnant avec cette matière première et qui ont été relancées). Avec cette demande allemande, les taux de fret s’envolaient déjà, la disponibilité de la cale était faible, les délais de livraison plus longs… La baisse du niveau d’eau sur le Rhin en lien avec la sécheresse accentue ces tendances. En Allemagne, plusieurs entreprises et industries ainsi que leurs organisations représentatives renouvellent leur demande auprès du gouvernement d’agir en lançant des travaux d’approfondissement du lit du Rhin, selon un plan élaboré depuis quelques années mais resté lettre morte faute de financement, et en favorisant la construction de bateaux adaptés aux basses eaux (voir article de NPI) La Suisse souffre aussi de la situation de l’étiage rhénan, choisissant d’utiliser une partie de ses réserves de produits pétroliers jusqu’en septembre pour compenser la réduction des possibilités d’approvisionnement par le fleuve. Selon, un point de situation de Voies navigables de France (VNF) en date du 18 août : « Sur la partie française du Rhin, la circulation est assurée, mais subit les restrictions imposées sur le réseau allemand (à courant libre) en aval de Strasbourg du fait de l’étiage très sévère du fleuve plus important que celui de 2018. Les bateaux de commerce voient leurs emports limités à 20 %, et une grande partie sont utilisés pour le transport du charbon vers les centrales allemandes pour faire face à la crise énergétique. Le coût du fret de conteneur a été multiplié par 6 ».

En France, regrouper les bateaux aux écluses

Selon un autre communiqué de VNF daté du 19 juillet, « au 1 juillet, le taux de remplissage global de nos réserves en eau à l’échelle nationale est de 60 % contre 72 % au 1 juin 2022, et une moyenne de 80 % à la même date sur les 10 dernières années ». L’établissement annonçait également dans ce document que « des mesures de réduction des consommations d’eau étaient mises en place progressivement, notamment des mesures de restriction de la navigation, par exemple le regroupement des bateaux pour le passage des écluses, afin de limiter le nombre d’éclusées et donc la consommation en eau ». Cette mesure concernait alors notamment les canaux de Briare, latéral à la Loire, de Saint-Quentin, de la Sambre à l’Oise. Elle concerne aussi le canal des Deux Mers, précise la direction territoriale Sud-Ouest de VNF dans un communiqué publié début août : « Le caractère précoce de la sécheresse a conduit à une mesure de restriction exceptionnelle. En raison de l’insuffisance de la ressource en eau et de la forte affluence de touristes navigants, il a été décidé de mettre en place le regroupement de bateaux lors du passage des écluses du canal des Deux Mers ». Pour le canal du Midi, la mesure a été mise en place à partir du 5 juillet et court jusqu’au 31 août, pour le canal latéral à la Garonne du 2 au 31 août. Cette DT nuance toutefois les conséquences de la mesure en rappelant que « l’étiage est un phénomène courant sur le réseau de VNF Sud-Ouest qui est régulièrement touché par des mesures de restrictions liées à l’usage de l’eau ».

Le réseau grand gabarit français plutôt épargné

A l’autre bout de la France par rapport au Sud-Ouest, le bassin du Nord-Pas-de-Calais n’est pas épargné non plus, relève la direction territoriale de VNF dans un communiqué publié fin juillet. « Délimité, au Sud, par les collines de l’Artois et du Cambrésis », le réseau géré par cette DT (680 km au total répartis sur les deux départements) « s’écoule vers la mer (Aa) ou la Belgique (Deûle-Lys, Escaut, Sambre) et recueille près de 80 % des eaux de surface ». Surtout, « le réseau des rivières naturelles a été fortement artificialisé au fil des siècles, et complété par un réseau de canaux destinés à répondre aux besoins des populations (approvisionnement en eau des villes de Douai puis de Lille au Moyen-Age, besoins militaires ou commerciaux par la suite) ». Il faut retenir que ce sont les voies d’eau « artificielles » qui sont le plus à la peine avec le manque de précipitations car elles sont tributaires d’apports extérieurs (cours d’eau « naturels », barrages, réservoirs). Sans oublier que les usages et les besoins en eau sont très divers, en plus de la navigation (agriculture, centrales nucléaires…). Toutefois, la DT du Nord-Pas-de-Calais ajoute : « Le secteur est particulièrement réactif aux précipitations : les pluies des 20 et 21 juillet y ont, par exemple, permis un retour temporaire à la normale ». Dans son point au 18 août, VNF indique : « Pas de limitation sur le réseau Nord-Pas-de-Calais relié à l’Escaut et à la Lys ». Plus globalement, le réseau à grand gabarit français apparaît épargné : Seine, Oise, Rhône, Grande Saône, canal Dunkerque-Escaut. « La desserte des grands ports maritimes est assurée », dit VNF. L’établissement rappelle que la Seine bénéficie des apports en cas de besoin des 4 grands barrages-réservoir gérés par l’EPTB grands lacs de Seine. Sachant que ce fleuve voit passer 40 % du transport fluvial français de marchandises.

Des canaux du petit gabarit à la peine

Dans la région Grand Est, zone que se partagent les directions territoriales de VNF Strasbourg et Nord-Est, la situation apparaît particulièrement difficile compte tenu d’un réseau très diversifié avec des canaux mais aussi des fleuves ou rivières internationaux (Rhin, Moselle). Il en va de même pour les canaux en Bourgogne-Franche Comté et en Centre-Val de Loire. Selon le communiqué de VNF du 18 août, « sur le réseau petit gabarit, les activités touristiques (plaisance et péniches hôtels), très intenses en cette période estivale, sont impactées sur plusieurs secteurs » dans ces zones géographiques. VNF indique des « limitations de mouillage dans les canaux des régions Grand Est, Bourgogne-Franche Comté, bassin de la Seine et Centre-Val de Loire ». Il y a « des arrêts de la navigation, principalement sur les bassins Nord-Est et Centre Bourgogne, sur tout ou parties des canaux de la Meuse, de la Marne au Rhin branche Ouest, entre Champagne et Bourgogne, des Vosges et embranchements (Epinal et Nancy), de Bourgogne, de la Robine, des Ardennes ». Toutefois, « de grands itinéraires touristiques comme le canal du Midi, la Petite Saône, le canal du Rhône au Rhin, une grande partie du canal de Bourgogne, le canal du Nivernais restent ouverts à ce jour sans évolution attendue à 10 jours ». A partir du 21 août, « 280 km de canaux en lien avec la Loire qui connaissent jusqu’à présent des limitations de mouillage, ferment », a annoncé l’établissement. Il s’agit des canaux de Briare, latéral à la Loire, de Roanne à Digoin. « La priorité est donnée à l’alimentation en eau des populations et aux refroidissements des centrales nucléaires. Grâce à une bonne coordination avec VNF, les loueurs de bateaux ont pu anticiper et déplacer leurs unités sur le canal du Nivernais et l’Yonne », explique l’établissement. En tout, avec l’ajout des 280 km de Loire, ce sont 919 km de canaux fermés en France soit 14 % du réseau en date du 21 août 2022, par rapport à plus de 600 km début août. Toujours pour la région Grand Est, VNF indique que « la partie française de la Moselle en aval de Nancy reste navigable mais, comme sur le Rhin, la partie au Luxembourg et en Allemagne subit des basses eaux ce qui limite les capacités de fret au départ des ports français. La partie en amont de Nancy est fermée à la navigation sur 30 km. A Epinal, le débit de la Moselle se rapproche du débit le plus faible enregistré en 1961. Pas d’évolution attendue à 10 jours ».

Des conséquences économiques

Dans la région Grand Est, il ne faut pas oublier les conséquences pour les ports intérieurs que leurs activités soit la plaisance ou le fret. Depuis le 11 aout, le port de plaisance de Toul est fermé comme il l’avait déjà été en 2020. Le port de Metz, leader pour les céréales, est particulièrement à la peine. Selon CFNR Transport, l’activité de ce port pourrait baisser de 20 à 25 % par rapport à ce qui avait été envisagé avant les basses eaux. Sur l’ensemble du réseau, les mesures prises face à ces étiages, regroupement des bateaux, limitation ou arrêt de navigation, ont des conséquences économiques pour les activités fluviales, pour les entreprises qui les réalisent, aussi bien fret que tourisme. Il est encore trop tôt pour en dresser un premier bilan. Autre conséquence, un possible report modal vers le ferroviaire ou la route. Pour les marchandises, les basses eaux signifient une baisse de la capacité d’emport à bord des bateaux et une augmentation des coûts du transport fluvial. Pour le tourisme fluvial, le regroupement de bateau rallonge le temps d’attente aux écluses, les arrêts de navigation empêchent de réaliser certains itinéraires prévus dans les offres proposées aux clients, conduisent à déplacer des bateaux sur d’autres parties, d’autres unités sont bloquées dans certaines zones des voies d’eau… Enfin, autre conséquence des températures élevés, de l’ensoleillement, de la sécheresse… La prolifération des plantes et espèces envahissantes exotiques qui gênent elles aussi la navigation des bateaux dans les canaux. Après deux ans de pandémie, 2022 n’est toujours pas un long fleuve tranquille pour les activités fluviales.

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