Le projet « Multirégio » avance dans le bassin du Nord-Pas-de-Calais, la désignation du chantier de construction des bateaux est prévue d’ci la fin 2022, un premier « hub » portuaire a été choisi dans la Somme, le long du canal du Nord, à Languevoisin, à terme desservi par Seine-Nord. C’est là qu’est implanté l’un des quatre investisseurs qui pilotent le projet depuis 2020.
Le projet « Multirégio » est piloté depuis janvier 2020 par quatre acteurs économiques qui sont aussi les investisseurs, Noriap, Axéréal, Vinci, Eiffage. VNF, qui a lancé ce projet en 2012 et l’a fait vivre jusqu’en 2019, leur a passé le relais. Les deux coopératives agricoles et les deux entreprises du BTP coopèrent dans le cadre d’un partenariat intra- et inter-filières pour construire collectivement un système de transport intégré sur le réseau Seine-Escaut. Le partenariat concerne aussi les ports de Dunkerque et de Rouen, la communauté de l’Est de la Somme.« Multirégio est un projet de développement d’une flotte fluviale adaptée au « petit » gabarit, avec des bateaux d’une capacité de 500 tonnes, mais pas seulement. Nous raisonnons en système de transport, c’est-à-dire pas seulement des bateaux mais aussi des plates-formes et du passage portuaires. Cette approche systémique prend en compte aussi les pré- et post-acheminements, la transition énergétique, la performance économique, la ré-industrialisation du territoire », a indiqué Bruno Bouvat-Martin, premier vice-président d’Axéréal, lors du séminaire Norlink (voir article de NPI)organisé le 3 mai 2022 à Lille. La transition énergétique se traduit par des bateaux respectueux de l’environnement et l’augmentation du report modal vers le fluvial.Ce responsable a rappelé que Multirégio a rassemblé à ses débuts de nombreuses filières (bois, chimie, recyclage, commerce/distribution…) dont seules deux restent désormais, l’agriculture et la construction. Il s’est toutefois dit « convaincu » que les autres filières reviendront plus tard vers la solution une fois qu’elle sera mise en place, et aura démontré sa pertinence. Les premiers bateaux sont annoncés pour 2024.
Des bateaux et un mode d'exploitation innovants
L’un des piliers de « Multirégio » est en effet la construction de 20 bateaux innovants en termes de capacité, de mode d’exploitation, de « décarbonation ».A l’origine de Multirégio, il y a la volonté de trouver une solution à la disparition des bateaux de fret adaptés au transport fluvial sur le « petit » gabarit alors qu’ils sont utiles pour aller chercher des marchandises (par exemple des céréales stockées dans des installations bord à « petite » voie d’eau) et les amener sur les voies « grand gabarit ». Le tout est aussi lié à l’arrivée du canal Seine-Nord Europe et aux besoins de transport fluvial lors de la construction de ce maillon français de la liaison européenne Seine-Escaut.Le choix du chantier de construction pour les 20 premiers bateaux est prévu d’ici la fin 2022 pour une livraison commençant en 2024. Dans le contexte actuel de hausse des prix, le montant total de l’investissement pour ces 20 bateaux atteint désormais 22 millions d’euros au lieu de 17 millions. Des fonds du plan de relance du gouvernement sont mobilisables pour un montant de 3 millions d’euros. La construction devrait être réalisée dans le cadre d’un « consortium européen » avec des pays comme les Pays-Bas, la Roumanie et une finalisation des bateaux en France.Ces 20 premières unités se répartissent en 8 barges poussées (donc non motorisées) et 12 automoteurs dotés d’une propulsion électrique (donc « décarbonée »). Parmi les 12 automoteurs, 11 seront alimentés à l’électricité par un générateur tournant à l’Oleo 100/biofuel, 1 sera équipé d’une pile à combustible à l’hydrogène.Elles seront exploitées 4000 heures par an pour une durée de vie de 40 ans. Les barges poussées feront 44 mx5,70 m, les automoteurs 45x5,70, le tirant d’eau sera le même (2,80 m, à terme 3,50 m). Elles seront donc un peu plus grandes que des péniches « Freycinet » tout en étant adaptées au canal du Nord et à des voies d’eau similaires comme la Marne. Elles pourront aussi former des convois sur les voies navigables de grand gabarit comme, bien sûr, le futur canal Seine-Nord Europa mais aussi la Seine, l’Oise, le Rhône, etc.Leur capacité sera de 500 t d’emport ou 20 EVP. L’objectif est de parvenir de 12 000 à 20 000 tonnes par semaine sur des distances comprises entre 70 et 300 km. Parmi les défis à relever, la réduction des voyages à vide, a souligné Bruno Bouvat-Martin, pour lequel l’offre multi-lots, la mutualisation inter- ou intra-filières constituent des atouts, tout comme la possibilité d’emporter une large gamme de marchandises (vracs, conteneurs, palettes, éléments préfabriqués, colis exceptionnels, etc.) ce qui correspond aux besoins variés des industriels et des chargeurs, sans oublier la souplesse des bateaux adaptés à des gabarits différents de voies navigables. Avec les 4 entreprises qui portent le projet et l’organisation prévue des flux, 75 à 80 % de ceux-ci s’effectueront déjà chargés. Il reste à compléter le solde.Dans une deuxième phase, entre 2025 et 2030, 50 unités supplémentaires pourraient s’ajouter ainsi qu’un rétrofit vers des batteries ou autres solutions « décarbonées » des 11 unités à l’Oléo 100/biofuel pour un montant total de 50 millions d’euros (dont 20 millions d’euros du plan de relance). Les porteurs du projet pensent également à des évolutions vers des bateaux « autonomes ».Parmi les autres innovations, la suppression du logement à bord permet un gain d’emport et correspond à un mode d’exploitation nouveau pour l’équipage (1 seul pilote) qui devient salarié et change toutes les 8 à 10 heures. Il s’agit ici de mettre en place une solution pour attirer vers la batellerie un type nouveau de personnel, dans un contexte de manque d’attractivité du métier. L’année 2022 doit d’ailleurs être celle du recrutement puis de la formation de premiers salariés (total de 50 annoncés).
Jusqu’à 6 « hubs » Multirégio
Un autre volet de « Multirégio » concerne le besoin de « hubs » portuaires. Pour celui du Nord-Pas-de-Calais, depuis septembre 2021, la plate-forme Euroseine de Noriap (avec d’autres coopératives agricoles) à Languevoisin a été choisie.Languevoisin se trouve dans la Somme, le long du canal du Nord, et sera à terme desservi par Seine-Nord. Elle voisine Nesle où est prévue l’installation de l’un des 4 ports intérieurs du futur canal Seine-Nord Europe. Elle est aussi bien située par rapport à Dunkerque et Rouen, Paris et Lille.L’évolution de cette plate-forme (implantation de nouvelles activités, etc.) est prévue en plusieurs phases avec une mise en œuvre pour la solution Multiregio en 2024 et d’autres évolutions jusqu’en 2030 pour un montant total de 180 millions d’euros (dont 60 millions du plan de relance). En 2021, a été signé un protocole de financement avec la Commission européenne (50 %) pour le volet de développement de la plate-forme de Languevoisin et la mise en œuvre de la solution logistique Multiregio.D’autres hubs « Multirégio » (jusqu’à 6) sont envisagés sur les bassins français, Nord-Pas-de-Calais (un deuxième), Rhône-Saône (voir article de NPI) y compris sur le canal du Rhône à Sète, la Seine. Ont été cités les sites de Denain, Valenciennes, Limay, Montereau, Arles, Avignon...D’ici la fin 2022, les 4 partenaires du projet Multirégio devraient créer entre eux la structure juridique qui les associe, sans doute une SAS. Sachant qu’il y aura d’un côté une société qui sera propriétaire des actifs (les bateaux) et de l’autre le pacte d’actionnaires pour l’exploitation, la location avec des engagements de trafics.