L’Ukraine, avec 45,8 Mt de grains exportées en moyenne quinquennale (dont 17,8 Mt de blé et 23,2 Mt de maïs), figure parmi les tout premiers pays exportateurs de produits agricoles, fournissant environ 10 % du marché mondial. En 2020, jusqu’à 6 Mt sortaient chaque mois des terminaux portuaires céréaliers ukrainiens de la mer Noire, au premier rang desquels Mykolaïv et Odessa. Or, depuis l’invasion russe qui a débuté fin février 2022, ces ports sont soumis à blocus. Le pays, de juillet 2021 à février 2022, avait déjà exporté 17,9 Mt de blé, 19,2 Mt de maïs et 5,7 Mt d’orge au cours de la campagne 2021. Mais il disposait encore de 5,6 Mt de blé et surtout 14,6 Mt de maïs à expédier avant la fin de la campagne, pour lesquelles il faut remettre sur pied une logistique export. Selon le cabinet spécialisé UkrAgroConsult, seulement 1 à 1,5 Mt de céréales peuvent franchir chaque mois les frontières de l’Ukraine.
A la recherche de solutions alternatives
Le transport par camion est long et incertain tandis que celui par train est handicapé par les nécessaires ruptures de charge, du fait d’un écartement des rails différents entre l’Ukraine et les pays voisins. Dans les deux cas, des formalités de dédouanement sont nécessaires, qu’il s’agisse de rejoindre les ports roumains de la mer Noire ou les ports polonais de la Baltique. Des corridors terrestres de sortie d’Ukraine sont étudiées par l’Union européenne et le gouvernement ukrainien pour trouver des solutions alternatives. « Pour l’instant, cela n’a pas beaucoup avancé, note Marc Zribi, chef de l’unité grain et sucre de l’office agricole français FranceAgriMer. Les possibilités par fer, camion ou bateau fluvial sont limitées, permettant seulement d’exporter 1,5 Mt, au mieux 2 Mt par mois en levant tous les obstacles administratifs. L’évacuation par la Russie de l’île aux Serpents, du fait d’une contre-offensive ukrainienne, pourrait cependant sécuriser l’accès au Danube ».
Le transport fluvial sur le Danube est justement la meilleure alternative de l’Ukraine pour expédier ses céréales. Le grand fleuve d’Europe centrale sépare en effet l’Ukraine de la Roumanie, constituant la frontière entre les deux pays. Il constitue aussi entre eux une voie de communication. Les céréales parviennent par train ou par camion jusqu’aux ports fluviaux ukrainiens d’Izmaïl, Reni et Kiliia : des sites délaissés ces dernières années, qui retrouvent aujourd’hui un regain d’intérêt et réalisent actuellement environ la moitié des exportations de céréales ukrainiennes. De ces ports danubiens, quelques exportations rejoignent directement la mer Noire par navire maritime via le canal de Sulina, dont la profondeur est toutefois limitée à 7 m. La plupart des tonnages sont transportés en fluvial jusqu’au port roumain de Constanta.
Constanta, au bout du canal Danube-mer Noire
Premier port céréalier de l’Union européenne, Constanta, sur les rives de la mer Noire, a expédié en 2021 17,65 Mt de céréales en maritime, dont 7,52 Mt étaient parvenues jusqu’à ses silos d’exportation par transport fluvial, provenant de tous les pays du bassin du Danube. Le principal port roumain est en effet relié au fleuve par le canal Danube-mer Noire, long de 95 km. « Le contexte actuel de guerre en Ukraine a donné au port de Constanta un rôle stratégique en tant que voie importante, sinon essentielle, pour le trafic de marchandises dans la région. Les navires chargés de marchandises pour les ports de Moldavie et d’Ukraine ont demandé à être déchargés dans les ports maritimes roumains », expliquent les représentants de l’administration des ports maritimes de Constanta.
Fin mai 2022, 240 000 t de céréales ukrainiennes avaient été exportées via Constanta. Depuis, la cadence s’est accélérée : fin juin, quatre mois après le début de l’offensive russe, l’autorité portuaire a recensé environ 847 000 t de céréales en provenance d’Ukraine, dont 588 000 t ont déjà été réexportées à bord de navires maritimes. À la même date, le port fait état de 137 637 t qui sont attendues, « la plupart sur des barges en provenance des ports de Réni et Izmaïl. »
Le transport fluvial a concerné depuis février plus de 80 % des céréales ukrainiennes exportées via Constanta, selon l’administration portuaire qui précise que « pour le trafic ferroviaire, à notre connaissance, un seul opérateur portuaire a signalé depuis le début de la guerre l'arrivée d'un train d'environ 1 600 t. » La logistique ukrainienne des céréales à destination des ports d’exportations d’Odessa ou Mykolaïv reposait pourtant habituellement sur le train. Cependant, l’écartement des voies ferrées étant différent entre l’Ukraine et la Roumanie, le passage de la frontière nécessite un transbordement long et coûteux d’un train à l’autre. Une autre solution a été trouvée par les ports fluviaux ukrainien : saisir à la grue les wagons de céréales pour les vider dans les barges à destination de la Roumanie.
La signature d’un accord pour permettre une reprise des exportations de céréales ukrainiennes bloquées suite à l’invasion russe est annoncée pour ce 22 juillet sous l'égide de la Turquie. Les détails de l'accord ne sont pas entièrement connus au moment où cet article est écrit. L'objectif est de mettre en place des « corridors sécurisés » pour l'export des céréales, au départ notamment de trois ports (Odessa, Pivdenny et Tchornomorsk) avec une surveillance basée à Istanbul. Il semblerait également que l'accord réduise les restrictions visant actuellement les engrais et céréales russes.