Le canal Seine-Nord Europe dont les travaux se déroulent actuellement dans l'Oise, et plus généralement, la liaison Seine-Escaut, a été l'objet d’une table-ronde lors du quatrième sommet de l’axe Seine, organisé par nos confrères du Journal du Grand Paris, le 10 octobre 2023. L'occasion de revenir sur les enjeux du projet pour les axes Seine et Nord.
Une échelle européenne. « La bonne échelle du canal Seine-Nord Europe est européenne avec la liaison Seine-Escaut, c’est-à-dire la création d’un grand corridor fluvial depuis Le Havre, en passant par l’Ile-de-France, Dunkerque, la Wallonie, la Flandre, soit 1100 km pour une navigation fluviale à grand gabarit pour permettre au transport fluvial de donner son plein potentiel. Le canal Seine-Nord Europe, 107 km entre Compiègne et Aubencheul-au-Bac, en est le maillon central, va permettre de donner naissance à cette liaison », a rappelé Pierre-Yves Biet, directeur partenariats et territoires de la Société du canal Seine-Nord Europe (SCSNE).
Un projet en coopération. « C’est aussi une coopération entre les axes du Nord et de la Seine, a poursuivi ce responsable, car la réalisation de Seine-Escaut est conduit par plusieurs maîtres d’ouvrage. Voies navigables de France pour tout ce qui relève des aménagements de modernisation et de développement sur la Seine, amont et aval, sur l’Oise et sur le bassin du Nord-Pas-de-Calais. La SCSNE qui est maître d’ouvrage du canal ».
Désenclaver et décarboner l’axe Seine. « Il s’agit de développer le transport fluvial en désenclavant le bassin de la Seine, en levant le goulet d’étranglement sur la partie du réseau entre la Seine et le Nord de l’Europe actuellement limité en gabarit pour permettre le passage des plus grands bateaux de 4000 tonnes », a ajouté Pierre-Yves Biet.
La liaison est aussi une solution de « décarbonation » en favorisant le report modal vers la navigation intérieure, avec des prévisions de trafics multipliés par 5 sur l’axe Nord-Sud, un essor de +20% sur la Seine aval et de 40% sur la Seine amont.
La question du financement. « Le canal Seine-Nord Europe présente un coût de 5,1 milliards d’euros », a indiqué Pierre Bergès, délégué général au développement de l’axe Nord. « Son financement est partagé à 50/50 entre l’Etat (soit un montant de 1,1 milliard d'euros, NDLR) et les collectivités territoriales (soit 1,1 milliard d'euros, NDLR), selon un accord. Il y a un co-financement de l’Union européenne dans le cadre du MIE, compris entre 40% et 50% (soit jusqu'à 2,1 milliards d'euros, NDLR) compte tenu du caractère central de cette infrastructure dans la stratégie de l’UE ».
« Une partie du financement a été renvoyée par les partenaires publics à un emprunt dit de bouclage (pour un montant de 800 millions d'euros, NDLR) qui doit être couvert par une imposition (« taxe nationale à assiette locale », NDLR) incitant au report modal, a poursuivi ce responsable. Une imposition en France doit être créée par une loi de Finances. Les collectivités territoriales, qui ont pris la main sur le projet, feront une proposition à l’Etat ».
Réindustrialiser et décarboner l’axe Nord. « Pour les Hauts-de-France, il ne s’agit pas seulement de disposer d’une nouvelle infrastructure, l’enjeu est de réindustrialiser et de décarboner le territoire », a ajouté Pierre Bergès, pointant les efforts en ce sens autour du grand port maritime Dunkerque.
« Le canal doit contribuer à décarboner les transports créés par la réindustrialisation, les rendre plus compétitifs par l’effet de la massification », d'abord autour de Dunkerque. Puis regarder territoire par territoire de la région quelles peuvent être les opportunités avec le canal.
Il a estimé qu’avec la perspective de la mise en service de la liaison Seine-Escaut en 2030 « pour le bassin de la Seine, il y a sans doute une stratégie à réfléchir et à arrêter » pour prendre en compte l’arrivée de la nouvelle infrastructure.
4 ports intérieurs. La région des Hauts-de-France va aménager 4 plates-formes le long du futur canal Seine-Nord Europe (Noyon, Nesle, Péronne et Marquion-Cambrai) « qui seront autant de zones de réindustrialisation, de drainage des territoires locaux pour amener des transports vers la voie d’eau. C’est un enjeu très fort du projet ».
Pour gérer ces 4 ports, un « syndicat mixte des ports intérieurs du canal Seine-Nord Europe » a été créé, regroupant la région et les cinq établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) concernés par les emprises foncières (communautés de communes Osartis-Marquion, de l’Est de la Somme, du Pays noyonnais, Haute-Somme et communauté d’agglomération de Cambrai).
Du côté de la Métropole du Grand Paris. « Notre point de vue est que le développement du transport fluvial est un moyen de décarbonation, pouvant retirer des poids lourds des routes de la métropole du Grand Paris. Le canal Seine-Nord Europe avec ses 4 plates-formes peuvent permettre une logistique décarbonée alliant transport fluvial et véhicules électriques ou vélo-cargo pour desservir la zone dense métropolitaine », a dit Nathalie Van Schoor, directrice générale adjointe de la Métropole du Grand Paris.
Pour Sylviane Delmas, présidente de la commission aménagement du territoire du Ceser Ile-de-France, « le canal Seine-Nord Europe est un élément qui va transformer complètement le fonctionnement de la Seine ».
Faut-il craindre l’arrivée du canal Seine-Nord Europe ? Du côté du Havre, la future infrastructure n'est pas toujours vu d'un très bon oeil. « C’est clair que l’ouverture du bassin de la Seine est un événement majeur pour la logistique, la réindustrialisation. Oui, il y aura un nouvel équilibre à trouver », a répondu Pierre-Yves Biet à cette question.
Mais pour lui, « la mise en réseau à venir invite les acteurs économiques à travailler sur des coopérations futures ». Il a cité des possibilités pour la filière des céréales entre des acteurs normands (Rouen) et de la Picardie. « On peut imaginer des collaborations entre les acteurs des bassins de la Seine et du Nord-Pas-de-Calais au profit d’une logistique décarbonée ».
« Anvers ou Gand vont sans doute tirer parti de l’opportunité créée par la liaison Seine-Escaut et le canal pour fluidifier leurs sorties portuaires, a enchaîné Pierre Bergès. Ce sera toujours autant de gaz à effet de serre en moins. Après on peut déplorer la concurrence, sauter sur sa chaise, mais il est aussi possible de s’y préparer ».
« Le canal Seine-Nord Europe va aussi mettre un coup de projecteur sur le transport fluvial qu’on est tous d’accord pour développer mais encore faut-il que des hommes et des femmes choisissent les métiers de la batellerie, a conclu Pierre-Yves Biet. Le fait d’avoir cette mise en lumière du fluvial avec le canal peut susciter des vocations. Il y a aussi le monde de la banque et de la finance qui va voir tout ce qu’il se passe et c’est un élément très fort de développement du transport fluvial dans le cadre de la liaison Seine-Escaut ».