Chaque année, 200 millions de tonnes de marchandises sont transportées par voies fluviales en Allemagne. Le Rhin, axe majeur des transports européens, représente environ 84 % du total des marchandises transportées par la voie d’eau au sein de l’UE et de la Suisse, suivi par le Danube (16 %). En milliards de tonnes par kilomètre, l’Allemagne et les Pays-Bas sont au coude à coude, avec environ 47 % du total transporté sur le continent.
L’Allemagne, engagée dans le virage énergétique avec les fermetures programmées de ses centrales nucléaires d’ici la fin de 2022 et des mines de charbon d’ici 2038, compte sur ses voies fluviales pour tenir ses engagements climatiques et délester les routes, sur lesquelles circulent plus de 70 % du fret.
Le défi s’annonce de taille. La sortie du charbon privera, en effet, à terme, les bateliers d’une partie importante des marchandises qu’ils transportent, les obligeant à trouver de nouveaux débouchés, notamment du côté des conteneurs, qui ont bien résisté à la crise sanitaire, et des colis lourds, effectués pour l’heure essentiellement par la route.
Le réseau fluvial, hérité des siècles passés, nécessite de lourds investissements pour redevenir compétitif. « On a hérité d’un bon réseau et de bonnes infrastructures. Toutefois, dans le passé, on n’a pas assez investi pour l’entretien de ces infrastructures. Nos écluses sont parfois plus que centenaires. Il est urgent de faire quelque chose. Nous avons adopté un important programme d’assainissement. Mais c’est du long terme », résume Norbert Salomon, chargé du fluvial au sein du ministère allemand des transports.
Le gouvernement sortant (les élections législatives du 26 septembre doivent déboucher sur la formation d’un nouveau gouvernement, sans la chancelière Angela Merkel qui ne se présente pas à sa propre succession) avait investi, fin 2020, 6 milliards d’euros pour l’entretien des 7 350 km de voies fluviales, 350 systèmes d’écluses, 300 barrages, 4 ascenseurs à bateaux, des kilomètres de digues et un millier de ponts. « L’investissement va dans deux directions. Les travaux bien sûr, mais aussi la création de nombreux emplois dans les différentes administrations -80 rien qu’en 2020- pour planifier les travaux de rénovation des infrastructures. En 2020, nous avons investi près de 1,7 milliard d’euros dans les voies fluviales. Et les investissements vont se poursuivre à un rythme soutenu dans les années à venir. Pour les prochaines années, le budget prévoit 1,5 à 1,6 milliard d’euros par an », souligne Norbert Salomon.
Des besoins considérables
Les besoins de fait sont considérables. Notamment sur le Rhin moyen entre Saint Goar et Mayence ainsi que sur le Rhin inférieur entre Duisbourg et Dormagen-Stürzelberg où sont planifiés d’importants travaux. Axe vital pour l’industrie de l’ouest de l’Allemagne, le Rhin relie les ports de la mer du Nord, en premier lieu Rotterdam, aux zones industrielles suisses et allemandes et plus au sud à l’Italie.
50 000 bateaux empruntent, chaque année, la portion du Rhin moyen, chargés de 60 millions de tonnes de marchandises. Les prévisions font état de 75 millions de tonnes dans les années à venir, ce qui ne sera possible qu’à condition d’approfondir le cours du fleuve.
« Pour le Rhin moyen, il s’agit d’approfondir le canal navigable pour passer de 1,90 mètre à l’heure actuelle à 2,10 mètres. Il s’agit, à la fois, d’améliorer la compétitivité de la navigation fluviale et de lever les restrictions à la circulation des bateaux en cas de niveau trop faible des eaux, ce qui risque de se produire régulièrement dans le cadre du changement climatique », explique Fabian Spiess, de la fédération allemande de la navigation fluviale (BDB). En temps normal, on compte en moyenne 20 jours de basses eaux par an sur le Rhin. L’ensemble de la filière fluviale et des industriels des bords du Rhin se souviennent du choc de 2018, année de sécheresse record. Cette année-là, le Rhin avait été impraticable pendant 100 jours, obligeant notamment l’industrie chimique dans la région de Duisbourg à recourir au rail et à la route pour répondre à l’immobilisation de la flotte fluviale. La construction de digues longitudinales doit notamment ramener les flots vers le centre du courant, pour augmenter le niveau de l’eau.
« Les travaux sur le Rhin sont hautement prioritaires », assurait le ministre des transports Andreas Scheuer en 2018. Dans les faits, les travaux ont pris un retard considérable. « Pour chacun des quatre tronçons prévus, il faudra respecter des procédures bien définies. D’après notre expérience, il faudra compter quatre ans au minimum par tronçon. Le projet ne sera donc pas achevé avant 2033 au plus tôt », rappelle Fabian Spiess.
Quant au Rhin inférieur, les travaux prévoient d’optimiser à 2,80 mètres de profondeur la portion du fleuve entre le site industriel de Duisbourg et Dormagen-Stürzelberg. Là encore, quatre tronçons sont prévus. « Les tronçons 1 et 2 sont les plus intéressants pour les bateliers. Ils devraient être achevés en 2035 et 2037. Les deux autres tronçons ont pour but de maintenir le niveau actuel du cours et devraient être finalisés en 2030 et 2033 », souligne Fabian Spiess.
D’autres projets de rénovation moins spectaculaires sont également prévus sur le Danube, le Main, la Moselle, l’Elbe ou le Neckar. Les écluses d’Aldingen, sur ce dernier fleuve, viennent ainsi de reprendre du service après réparation de dommages subis par le béton et l’installation d’une technique moderne. L’écluse est désormais accessible aux navires de 110 mètres. L’installation a été entièrement rénovée pour un coût de 25 millions d’euros et marque le coup d’envoi à un projet de rénovation plus large des 27 écluses du fleuve, construites entre 1925 et 1967. 1,5 million de tonnes de marchandises et 20 000 EVP franchissent, chaque année, les écluses d’Aldingen qui relient la région de Stuttgart au Rhin.
Sur le canal de l’Elbe (115 km inaugurés en 1976 et raccourcissant de 33 km la distance entre Hambourg et Magdebourg), la construction d’une écluse est prévue d’ici 2 030 à Scharnebeck, pour décongestionner l’ascenseur qui élève les bateaux de 35 mètres. Construite pour les unités de 85 mètres de long et 9,50 mètres de large, l’infrastructure est inadaptée aux standards actuels. La future écluse -225 mètres de long, 12,50 mètres de large- doit permettre de compenser un dénivelé de 38 mètres. Les travaux sont estimés à 350 millions d’euros.
« Verdissement » de la flotte
Au-delà des infrastructures, le gouvernement fédéral soutient la création de bateaux propres, plus plats, capables de transporter de grandes quantités même en cas de basses eaux, ou encore le développement du tourisme fluvial, considéré comme un facteur de croissance économique pour bien des régions du pays.
Selon Norbert Salomon : « Le montant des subventions accordées à la mise au point de bateaux innovants peut atteindre jusqu’à 90 % des coûts. L’Union européenne a mis longtemps à accepter nos programmes de subvention. On remarque déjà que certains bateliers s’intéressent à ces nouveaux bateaux. Je suis confiant que si l’hydrogène, par exemple, se développe dans la navigation, nous pourrons rapidement développer les infrastructures nécessaires à ces nouvelles technologies le long des fleuves ».