La confirmation de la reprise de la navigation fluviale sur la partie du canal à partir de Cuinchy en passant par Mardyck pour arriver au ou partir du grand port maritime de Dunkerque est venue de la préfecture du Nord dans la soirée du 17 janvier 2024. Cette reprise est rendue possible par le retrait des deux dispositifs de pompage de gros débits qui avaient été installées dans les deux écluses du canal Dunkerque-Escaut pour évacuer les eaux lors du nouvel épisode de crues depuis fin décembre 2023.
Pompes retirées des écluses mais... « Près de deux semaines après les épisodes pluvieux, les niveaux d’eau à Cuinchy et Mardyck sont revenus à la normale. Par conséquent, les moyens de pompage mis en place à ces points névralgiques seront désactivés ces 18 et 19 janvier 2024 permettant notamment la reprise de la navigation fluviale. Les moyens de pompage structurels sont, quant à eux, pleinement opérationnels et permettent de gérer les évacuations d’eau », dit le communiqué de la préfecture du Nord.
… Elles restent à proximité. La préfecture prend le soin d’ajouter : « Les moyens de pompage de secours restent sur place. Ils sont simplement mis à l’arrêt tant que le niveau d’eau dans le canal le permet et seront réactivés en tant que de besoin. Si un nouvel épisode pluvieux venait à le justifier, leur maintien dans les Hauts-de-France permettra de les réactiver à la demande ».
Une décision qui concrétise l’un des engagements pris par le Premier ministre Gabriel Attal lors de sa visite éclair le 9 janvier, jour de sa nomination, dans le Pas-de-Calais où la colère s’exprimait, entre autres, sur le retrait considéré comme trop rapide des moyens de pompage après le premier épisode de crue et d’inondation de novembre 2023.
De l’incompréhension… La décision de la préfecture de retirer les pompes des deux écluses permettant la reprise de la navigation fluviale était attendue par la trentaine d’artisans-bateliers coincés sur la partie du canal Dunkerque-Escaut avec leurs bateaux et leur chargement pour certains d’entre eux. Lors d’une réunion organisée par la préfecture le 12 janvier, le refus de celle-ci de retirer les pompes et donc d’empêcher la reprise de la navigation fluviale entre Cuinchy et Mardyck alors qu’elle était de nouveau possible sur le reste du canal avait suscité l’incompréhension.
… A l’apaisement ? La reprise de la navigation fluviale devrait apporter un peu d’apaisement, les bateaux vont pouvoir de nouveau naviguer sur ce canal qui permet d’approvisionner les industriels installés dans le port mais aussi d’en évacuer les marchandises pour aller les livrer aux destinataires. Il se dit d’ailleurs que certains industriels de la zone portuaire commençaient à rencontrer des difficultés d’approvisionnement mais aussi pour évacuer certaines de leurs productions.
Pour les artisans-bateliers, il reste toutefois en suspens la question de leur demande d’aide et d’indemnisation pour la mise à l’arrêt de leur activité pendant un mois en novembre 2023 et une quinzaine de jours en janvier 2024.
Les artisans-bateliers auront-ils des aides ?
« Un bateau de 1000 tonnes, c’est 1000 euros par jour, 30000 euros par mois. Il faut retenir qu’une tonne de capacité d’emport correspond à 1 euro. Ce n’est pas une évaluation au doigt mouillé mais la réalité, un ordre de grandeur précis, indique Pascal Rottiers, vice-président d’Entreprises fluviales de France (E2F). Cela veut dire quand un bateau fluvial est arrêté dans son voyage, c’est une perte de 1000 euros par jour pour le chef d’entreprise. En maintenant les pompes dans les deux écluses, pour une raison que je ne m’explique pas, on sacrifiait 30 entreprises ».
Pour les demandes d’indemnisation pour le mois d’arrêt de navigation en novembre 2023 qui a concerné entre 40 et 50 artisans-bateliers, il est difficile de savoir où en est l’analyse du côté de l’Etat (ministère des Transports, préfecture de région, du Nord).
Un casse-tête. Sachant que les artisans-bateliers ne font pas partie des acteurs économiques qui peuvent obtenir une indemnisation de la part des assurances car ils n’ont pas connu dommages matériels, ils n’ont pas déclaré de sinistre en lien avec l’état de catastrophe naturelle. Ils sont des victimes collatérales des crues et des inondations mais non directement impacté sauf sur le plan de l’activité économique de leur entreprise.
Ils connaissent en effet un préjudice financier, ne pouvant naviguer et donc ne pouvant effectuer les transports et les livraisons convenus avec leurs clients mais même ceux qui ont souscrit une garantie perte d’exploitation ne peuvent la faire jouer car la perte ne résulte pas, là non plus, d’un sinistre.
L’artisan-batelier dont le bateau n’a pas pu naviguer et qui n’a pas connu de sinistre n’est pas indemnisé, tout comme ne l’est pas un commerçant qui n’a pas eu de sinistre mais n’a pas eu de clients empêchés de se déplacer ou d’accéder à son magasin.
Les élus des Hauts-de-France se sont mobilisés, après avoir été alerté par E2F) :
- Lettre datée du 7 décembre 2023 du président de région, Xavier Bertrand, au ministre des Transports Clément Beaune. Celui-ci aurait demandé à la DGITM d’évaluer le préjudice, ce qui aurait été fait, E2F ayant été sollicité et ayant répondu. La suite est inconnue. Une difficulté est, entre autres, le remaniement du gouvernement avec la nomination d’un nouveau Premier ministre le 9, une première liste de ministres annoncée le 11 où ne figure pas de ministre des transports. Il pourrait figurer dans une autre liste à venir à une date indéterminée.
- Question le 14 décembre du sénateur du Nord Franck Dhersin au gouvernement (voir encadré) ; elle est à ce jour « en attente de réponse du ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique », peut-on lire sur le site du Sénat.
Pour Pascal Rottiers : « Il faudra bien trouver un moyen pour obtenir une indemnisation et savoir qui la prend en charge. C’est l’Etat qui est responsable de l’arrêt de la navigation. Un rapprochement avec d’autres collectifs constitués par exemple par les agriculteurs ou d’autres à venir est envisageable pour obtenir gain de cause, éventuellement par une action en justice ».
Une avancée pour les péages. Concernant une remise des droits de navigation (« péage ») correspondant aux voyages bloqués en raison des crues sur le réseau Nord-Pas-de-Calais en novembre, le conseil d’administration de décembre de Voies navigables de France a validé le principe.
Seuls les bateaux chargés peuvent en bénéficier, pas ceux qui voyagent à vide, relève Pascal Rottier qui ajoute que le montant « est comme une tartine sur le plat bord », autrement dit une goutte d’eau (environ 300 euros) par rapport aux niveaux des pertes.
Une avancée avec Norlink. Dans les Hauts-de-France, il y a une solution qui se met en place avec la fédération Norlink et le fonds de prévention régional.
Lors d’une réunion de Norlink à l’occasion du salon Riverdating à Lille les 13 et 14 décembre 2023 a été confirmée la mise à disposition d’un montant dédié à des prêts d’honneur pour aider les artisans-bateliers qui ont été concernés par l’arrêt de navigation de novembre, précise Pascal Rottiers.
Il appartient à chacun d’entre eux de faire la démarche qui permet d’obtenir un prêt à taux zéro pour la somme empruntée qui doit ensuite être remboursée de manière différée sans intérêt.
Le texte de la question au Sénat sur la situation des artisans-bateliers coincés sur les canaux du Nord-Pas-de-Calais
« M. Franck Dhersin attire l'attention de M. le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique au sujet de la situation financière de la batellerie à la suite des inondations dont a fait l'objet le Nord de la France au mois de novembre 2023. Lors de ces crues et inondations, le canal à grand gabarit de Dunkerque-Valenciennes a subi une période de fermeture, en raison du blocage des écluses par la montée du niveau des eaux. Cette liaison Dunkerque-Escaut permet non seulement le transport fluvial de marchandises en provenance et à destination de Dunkerque, mais assure le drainage de la Flandre maritime, notamment au niveau des eaux de l'Aa.
En novembre 2023, une cinquantaine de bateaux d'un emport de 50000 à 55000 tonnes sont restés à quai, avec un manque à gagner estimé à 1 euro par tonne et par jour, soit environ 50000 euros par jour. Composée à 80 % d'artisans et de très petites entreprises (TPE), la batellerie française, faute de moyens, souscrit peu à une assurance couvrant ses pertes d'exploitation. De ce fait, elle n'entre pas dans le dispositif d'indemnisation au titre de « catastrophe naturelle ».
Alors que le transport fluvial fait partie des transports décarbonés pour lequel la région fait pleinement le choix d'investir, il l'interroge sur la prise en compte de la situation de « catastrophe naturelle » également subie par la batellerie française.