« Avis favorable » pour l’accès fluvial direct à Port 2000

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L'accès fluvial direct consiste en la réalisation d’une digue de 2 kilomètres de long, destinée à protéger le passage des bateaux fluviaux depuis le port du Havre vers les terminaux de Port 2000 (photo CM).

La commission d’enquête publique a rendu un « avis favorable » assorti de deux réserves au projet d’accès fluvial direct à Port 2000, dans son rapport de bilan tout juste remis à la préfecture de Seine-Maritime. La lecture du document éclaire aussi sur les enjeux et les défis environnementaux de la future digue.

« L’enquête s’est déroulée dans un climat serein, aucun incident n’est à signaler. Le public a pu consulter le dossier mis à sa disposition en toute liberté, ainsi que déposer sur les registres papier des observations et propositions, pendant les quarante-sept jours consacrés à cette enquête, aux heures d’ouverture des mairies concernées », soulignent d’abord les trois commissaires-enquêteurs dans leur rapport de bilan publié le 21 février 2023 sur le site de la préfecture de Seine-Maritime.

Réalisée entre le 1er décembre 2022 et le 16 janvier 2023, cette enquête publique avait pour objet « une demande d’autorisation environnementale en vue de la création d’un accès direct à Port 2000, « la chatière », sur le territoire de la commune du Havre ».

Par accès fluvial direct, il faut comprendre la réalisation d’une digue de 2 kilomètres de long, destinée à protéger le passage des bateaux fluviaux depuis le port du Havre vers les installations de Port 2000.

Le rapport indique que « le dossier a été présenté dans les formes règlementaires. De bonne qualité, bien que volumineux et parfois technique sur certains aspects » ce qui rend son « étude approfondie difficile, de par sa densité et sa présentation (…) peu accessible pour un public non initié ».

Malgré ce point de vue, 150 contributions (139 sous forme « dématérialisées » et 11 déposées sur les registres à disposition dans les mairies concernées) ont été recensées, auxquelles s’ajoutent 7 courriers (dont 1 hors délai).

Engagement de Haropa

La lecture du document intitulé « conclusions et avis motivé » permet de rappeler le long chemin parcouru par le projet d’accès fluvial direct à Port 2000, éclaire sur ses enjeux et ses défis notamment environnementaux sans oublier le principe de réalité largement économique et de développement du fluvial sur l’axe Seine dans le contexte des impératifs climatiques de « décarbonation » des activités de transport de marchandises.

Quasi d’emblée, les auteurs abordent l’une des questions qui fait mal même si cela ne sert plus à grand-chose aujourd’hui sauf peut-être pour les passionnés d’histoire des aléas des projets de grandes infrastructures : mais pourquoi n’a-t-on prévu un tel accès fluvial direct dès la conception de Port 2000 ? Pour le construire en même temps que les premiers quais et qu’il soit là dès l’inauguration de cette nouvelle infrastructure portuaire en 2006 ?

Les auteurs estiment que la réponse du maître d’ouvrage Haropa élude davantage la question qu’elle n’y répond. Pour eux : « Un historique détaillé aurait permis de comprendre pourquoi cet accès fluvial, pourtant essentiel, n’a pas été engagé en même temps que Port 2000 handicapant ainsi un développement prometteur de nature à se positionner comme une alternative aux ports du Nord ».

Les commissaires enquêteurs notent ensuite l’engagement résolu de Haropa sur le projet à partir de 2015 et qui ne s’est pas démenti depuis. Le maître d’ouvrage a lancé de nombreuses études « permettant de faire la synthèse de toutes les pistes possibles pour agir sur les freins et leviers afin de disposer d’éléments socio- économiques, environnementaux et techniques permettant de comparer toutes les solutions alternatives possibles ».

Haropa « a engagé, de manière volontaire en 2017-2018 une concertation en amont de l’enquête publique sous l’égide d’une garante désignée par la CNDP », rappelle le rapport. Celle-ci « après avoir rencontré de nombreux acteurs associés à ce projet, a remis ses conclusions qui invitait le maitre d’ouvrage à examiner « la complémentarité des options et la notion de temporalité des options » et à poursuivre la démarche dans le cadre d’une post-concertation ».

Des recommandations qui ont été suivies par Haropa en transmettant régulièrement de « l’information à l’intention des acteurs et du public par le biais d’un site internet, d’une newsletter et de réunions publiques. Au travers des groupes de travail mis en place, le projet s’est enrichi des différentes expertises pour constituer, in fine, le dossier mis en enquête ».

Le constat d’un « dilemme »

Les questions lors de l’enquête publique ont permis d’obtenir des précisions sur les trafics fluviaux attendus avec la construction de l’accès direct : « On peut visualiser l’augmentation des flux sur la route nord qui passeraient, avec la chatière, de 33 000 EVP en 2022 à 124 000 EVP en 2030 puis 203 000 EVP en 2050 et enfin 299 000 EVP en 2070 ».

Les auteurs nuancent quelque peu : « La commission prend acte de ces données qui auraient mérité de figurer dans le dossier mis en enquête. Resterait à argumenter l’accroissement des flux de la route sud (de 73 000 EVP à 177 000 EVP) qui ne peut se concevoir qu’avec une augmentation du nombre de barges fluvio-maritimes ». Se pose aussi la problématique des capacités portuaires le long de l’axe Seine pour accueillir ces nouveaux flux.

Les interrogations autour des impacts environnementaux de la construction de la digue dans un milieu naturel particulièrement sensible sont largement évoquées dans le rapport, reflétant les préoccupations du public et des riverains.

Les auteurs notent que « la justification du projet accorde un poids plus important aux aspects économiques et à la réduction des gaz à effet de serre (GES) que sur les conséquences sur la biodiversité et le fonctionnement de l’estuaire ».

Ils font part d’un « dilemme » qui « se pose dans la mesure où le projet impacte la biodiversité de l’estuaire » tandis que « le développement du mode fluvial va éviter un essor important du mode routier générateur de GES mais ce dernier va demeurer prépondérant encore quelques anées ».

Ils ajoutent « prendre acte que le développement du report fluvial de la chatière devrait permettre un impact sur le mode routier, mais la croissance espérée du trafic conteneur risque de maintenir la noria de camion à un niveau relativement élevé encore de nombreuses années ».

Ils rappellent que le maître d’ouvrage a indiqué dans l’une de ses réponses lors de l’enquête publique la réalisation de deux études (nouvel inventaire de l’ensemble des poissons vivants dans l’espace géographique du futur ouvrage et un recensement de l’état initial de l’environnement pour les mammifères marins).

Ils concluent : « L’impact du projet sur le milieu maritime est indéniable. Mais il est difficile de prévoir si les mesures annoncées, d’autant qu’elles le sont en termes très généraux, seront de nature à minimiser les conséquences sur les différentes espèces protégées. Un suivi régulier et transparent s’impose de manière à apporter, s’il n’est pas trop tard, les corrections qui pourraient s’avérer indispensables. Il sera toutefois impossible de disposer d’un espace aux fonctionnalités strictement identique à celle de la zone avant projet ».

La part modale du fluvial stagne à 10 % au Havre

Avec l’accès fluvial direct à Port 2000, les avis se partagent comme pour toute nouvelle infrastructure entre les impératifs de la protection de l’environnement et les besoins en lien avec la réalité du développement économique.

Le rapport souligne que « plusieurs solutions d’accès direct ont été étudiées : toutes ont un impact environnemental (…) le plus important étant celui de la chatière avec 48 ha d’aménagement sur l’estuaire. Néanmoins, les problématiques techniques » des autres solutions « induisent des coûts qui rendent le projet non viable à moins d’un péage important qui serait prohibitif pour les usagers. Seule la chatière s’avère pertinente pour atteindre l’objectif d’augmenter le report fluvial fixé par l’Etat à Haropa Port Le Havre. Parmi les solutions analysées (…), il s’agit clairement de l’option ayant l’effet le plus significatif sur le report fluvial (14 à 15 % selon l’étude socio-économique menée en 2017 et mise à jour en 2022 par Setec) et la seule à atteindre l’objectif de 12 % visé par le projet stratégique de Haropa Port ».

Le rapport rappelle que « malgré les nouvelles solutions de service qu’offre le terminal multimodal, et qui ont fermement consolidé son offre et sa clientèle au cours des dernières années, le transport fluvial ne représente que près de 10 % du trafic hinterland du port du Havre en 2020 tandis que le trafic routier représente plus de 85 % des acheminements et ce de façon stable depuis plus de dix ans ».

Or, « l’étude socio-économique indique que trois fois plus de conteneurs qu’actuellement pourraient transiter par la Seine. En cause notamment : le manque de compétitivité du fluvial par rapport au routier à cause des critères de délai d’une part, et de coût d’acheminement d’autre part. Pour augmenter cette part de 10 % que représente le mode fluvial, il s’agit donc de réussir à abaisser ces critères en travaillant sur des freins structurels, économiques et logistiques actuels ».

Un projet à enjeu national

Le rapport relève que le projet concerne certes l’axe Seine mais « représente un enjeu national, visant à développer le report modal via un mode de transport plus respectueux de l’environnement, notamment pour l’approvisionnement de la région parisienne, et d’améliorer l’offre de transport fluvial conteneurisé ».

La future digue « s’inscrit dans une politique publique plus large, portée par l’Etat et l’Union européenne de développement du transport modal par d’autres moyens que la route, et notamment le fluvial. L’enjeu national est majeur car la massification du trafic permise par le fluvial comparé au routier est un vrai levier pour limiter et abaisser les émissions de CO2 liées au transport de marchandises et limiter l’impact du transport routier. D’autres bénéficies sont amenés par le mode fluvial, tels que la diminution de la nuisance sonore, de la congestion ou encore de l’accidentologie sur les routes, de la pollution atmosphérique, etc ».

Un financement bouclé

Après avoir ainsi détaillé et motivé leurs conclusions, les trois commissaires enquêteurs rendent un « avis favorable assorti de deux réserves » :

1/ Libeller les objectifs des mesures ERC (éviter, réduire, compenser), en reprenant l’objectif général tel qu’il est proposé dans le dossier, mais en y assortissant pour chacune des mesures :

  • des objectifs opérationnels et mesurables
  • des indicateurs fiables et partagés, permettant de s’assurer de la réalisation effective de la mesure.

2/ Établir un bilan annuel de l’avancement des mesures ERC et le transmettre aux acteurs en charge du suivi du fonctionnement et de la biodiversité de l’estuaire.

Rappelons que le plan de financement de la future digue est bouclé en se répartissant entre l’Etat (3,6 millions d’euros), la région Normandie (82,75 millions), l’Union européenne (24,9 millions) et Haropa Port (13,75 millions d’euros) pour un montant total de 125 millions d’euros. L’objectif est une mise en service de l’accès fluvial direct en 2025.

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