Avec le changement climatique, les infrastructures fluviales connaissent notamment des situations extrêmes de crues puis étiages et inversement d’une année à l’autre, la mission de gestionnaire de l’eau de VNF en devient plus importante.
« Nous sommes un acteur de l’eau, notre réseau fluvial de près de 7000 km a la capacité de gérer de l’eau pour autre chose que la navigation et c’est l’une des grandes évolutions actuelles de Voies navigables de France. Nous faisons des prélèvements dans le réseau pour alimenter les canaux pour la navigation mais aussi pour d’autres usages. Nous maintenons le niveau d’eau grâce à nos installations qui sont intégrées dans un système hydraulique naturel et artificiel », a dit Thierry Guimbaud, directeur général de VNF, lors d’une matinée de colloque organisée par l’inspection générale de l’environnement et du développement durable (IGEDD) le 28 octobre 2022 ayant pour thème « l'impact du changement climatique sur l'élévation du niveau des mers ; l'adaptation des infrastructures portuaires, maritimes et fluviales » (voir article de NPI pour un premier compte-rendu).VNF gère un réseau à grand gabarit de 2300 km en France, constitué de fleuves (Seine, Saône, Rhône, Rhin) et de « grands » cours d’eau qui traversent des agglomérations (comme Paris, Rouen, Lille Lyon, Marseille, Strasbourg, Metz, Nancy, Nantes, Bordeaux, etc.). Ce réseau sur lequel naviguent les plus grands bateaux permet d’atténuer le réchauffement climatique en réduisant les émissions de gaz à effet de serre par l’intermédiaire du report modal du transport routier de marchandises vers le fluvial. Il offre aussi une capacité à réguler les écoulements en fonction des aléas (crue/étiage) et de répondre aux besoins de divers usagers (agriculture, industries, énergies…) grâce aux équipements hydrauliques que sont les barrages.Le réseau au gabarit Freycinet (canaux et rivières canalisées) atteint 4400 km en France et remplit également un rôle dans la régulation et pour satisfaire les besoins de différents usagers, en plus de servir à la navigation et aux activités touristiques fluviales et de loisirs. « Il contribue ainsi à l’aménagement et à l’équilibre hydraulique d’un territoire », a ajouté le directeur général de VNF, citant en exemple le canal du Midi où « l’eau que nous mouvementons sert à moins de 50 % à la navigation et à plus de 50 % pour d’autres usages. C’est donc un immense aqueduc pour la région Occitanie ».
Des évolutions de plus en plus erratiques
L’évolution du volume global des réserves en eau de VNF montre pour 2022 un niveau « substantiellement inférieur » aux années précédentes alors que celui de 2021 était « substantiellement supérieur ». Le déficit hydrologique à la fin du premier trimestre 2022 a engendré un arrêt du remplissage des réserves qui d’habitude se poursuit jusqu’en mai ou juin. En 2022, un déstockage a été initié plus tôt que d’habitude (comme en 2020) pour pallier les restrictions d’usage. La situation en 2022 est bien différente de celle de 2021 qui a été une année plutôt pluvieuse après une météo plus sèche en 2019 et 2020.« Et la difficulté pour VNF, ce sont ces évolutions erratiques d’une année à l’autre », a précisé Thierry Guimbaud, de pluies et crues exceptionnelles en 2021 à des asséchements et des étiages également exceptionnels en 2022. « Le réseau de VNF a la particularité de gérer l’eau, c’est-à-dire d’amortir ces crises, pour combien de temps, nous ne le savons pas. Avec les ouvrages installés, en 2022, nous avons pu maintenir la navigation, donc les niveaux d’eau, sur 98 % du réseau grand gabarit ».Il a souligné qu’un opérateur de l’eau comme VNF « est lourdement affecté » par les évolutions liées au changement climatique et leurs conséquences hydrologiques, d’autant plus que « les infrastructures ont été conçues en fonction d’un certain volume historique d’eau qui désormais n’est plus aussi certain. Cette situation soumet à rude épreuve nos agents et nos installations ».
Le financement de la gestion de l’eau
Pour adapter le réseau et ses installations afin de faire face à ces évolutions extrêmes, « nous pouvons encore le faire », selon Thierry Guimbaud, l’établissement avance sur plusieurs axes de travail. Le premier est de parvenir à une meilleure anticipation en déterminant mieux les ressources disponibles et les besoins en eau mais aussi l’état des ouvrages et du réseau. Cela suppose une instrumentation du réseau et une actualisation de la connaissance du fonctionnement hydraulique de ce réseau et de ses ouvrages ainsi que le développement d’outils de prévision et d’aide à la décision.La modernisation des modes d’exploitation et de la maintenance, la fiabilisation et l’adaptation des infrastructures sont d’autres axes de travail tout comme davantage de collaboration avec tous les acteurs et utilisateurs de l’eau (collectivités, agences de l’eau, représentants du monde agricole, armateurs fluviaux, fédérations de pêche, associations de loisirs…).« Notre modèle est aujourd’hui largement tourné vers le transport et financé par lui. Nous avons besoin de financement d’autre nature s’adaptant à notre modèle d’affaire qui change, nous avons d’ailleurs transformé la taxe hydraulique en redevance, par exemple. Le changement climatique conduit aussi à un vrai changement de l’établissement : passer d’un gestionnaire d’infrastructure de transport à un gestionnaire d’infrastructure hydraulique dans toutes ses composantes tout en conservant la dimension transport ».Accepter l’incertitudeFabrice Daly, directeur du département port et navigation du Cerema, a relevé la difficulté pour les gestionnaires d’infrastructures portuaires et fluviales de passer des prévisions scientifiques sur le changement climatique (du GIEC et autres organismes) à des mesures et actions concrètes et efficaces. Pour cela, « il y a la recherche appliquée, le partage d’information sur de bonnes pratiques et le retour d’expérience, la méthodologie et l’accompagnement des ports » portant notamment sur l’adaptation au changement climatique des infrastructures de transport.Il a cité ici la réalisation d’un rapport il y a quelques années qui peut servir de référence. Schématiquement, il comptait trois parties : connaissance des aléas et enjeux, analyse de la vulnérabilité aux aléas (autrement dit, analyse des risques), un plan d’actions.Parmi les aléas, il y a l’élévation du niveau de la mer, les pluies, les courants, les vents… et leurs évolutions possibles au cours du temps.Pour les enjeux, il y a non seulement l’adaptation des ouvrages (digues de protection…) mais aussi de toutes les installations des ports (équipements, réseaux…) et « la fonction portuaire en général » (les trafics, les activités…).Pour les plans d’action, selon Fabrice Daly, « il peut y en avoir de deux sortes : soit des analyses plutôt stratégiques qui orientent vers des priorités mais sans chiffrage très précis, soit des études détaillées consistant à qualifier exactement les mesures de protection et d’adaptation à mettre en œuvre en donnant un dimensionnement. Les échéances peuvent être assez différentes, entre 30 et 40 ans, avec un horizon souvent à 2050-2070, mais peuvent aussi se projeter à 100 ans ou davantage ». Les gestionnaires d’infrastructures raisonnent aussi le temps différemment pour les infrastructures neuves (long terme/100 ans) et pour celles existantes (moyen terme).Tout au long des travaux, il faut accepter que « l’incertitude domine », souligne Fabrice Daly, car les travaux reposent sur des prévisions. L’incertitude règne aussi pour le choix du bon scénario même si la question apparait simple : il y a cet ouvrage et pour assurer sa pérennité en 2050, que faut-il faire ? « La réponse n’est jamais simple car elle repose sur un ensemble de probabilités ». Ce responsable a également mis en avant « une prise de conscience partagée de tous les acteurs portuaires et fluviaux » pour avancer sur les adaptations de leurs infrastructures au changement climatique et à ses conséquences.
Projet de « jumeaux numériques du fleuve » à Bordeaux
Jean-Frédéric Laurent, directeur général du grand port maritime (GPM) de Bordeaux, a présenté le projet européen Ecclipse.A côté du GPM, le projet rassemble des acteurs de l’eau (agence de l’eau Grand Sud-Ouest, VNF…), des « experts » (Cerema, OFB…) l’objectif étant de « développer une plate-forme commune pour évaluer les impacts du changement climatique et les adaptations possibles dans les ports ». Il est prévu de réaliser des « jumeaux numériques du fleuve » (Gironde et son estuaire) et 4 thématiques ont été définies : navigation, dragage, caractéristique des milieux, prévisions. De premiers résultats sont attendus au cours de l’année 2023.